Les élections sénatoriales sont souvent mal aimées et peu traitées dans les médias. À tort. Le renouvellement partiel de la Chambre haute est un indicateur de la santé des forces politiques du pays.

En politique, il existe une tactique de communication bien connue, celle du contre-feu. Il s’agit de prendre la parole sur une thématique censée occuper l’espace médiatique et d’occulter une situation que l’on préférerait oublier. En prenant la parole le dimanche 24 septembre au soir pour évoquer le pouvoir d’achat ou l’immigration, Emmanuel Macron a tenté de cacher sous le tapis le résultat du renouvellement partiel du Sénat dévoilé dans le même temps. Cela peut se comprendre puisque son camp est l’un des perdants du scrutin.

La Macronie fait grise mine

Les élections municipales de 2019 avaient été un échec pour Emmanuel Macron. Les conséquences de cette déconvenue ont des répercussions sur le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (RDPI) présidé par François Patriat. Fort de 24 sénateurs, il perd 4 sièges. Certaines défaites sont symboliques : c’est notamment le cas de celle de Julien Bargeton à Paris. Désormais, la majorité présidentielle ne possède plus aucun sénateur dans la capitale. Alain Richard, vice-président du Sénat et ministre de la Défense sous Lionel Jospin, est battu dans le Val-d’Oise qu’il représentait depuis 2011. Dans le Pas-de-Calais, Brigitte Bourguignon, ancienne présidente de la Commission des Affaires sociales et éphémère ministre de la Santé lors de la réélection d’Emmanuel Macron (elle a été contrainte de quitter son poste après sa défaite aux législatives) n’est pas parvenue à l’emporter. Enfin, soulignons la contre-performance de Sonia Backès en Nouvelle-Calédonie. La secrétaire d’État à la Citoyenneté devrait selon toute logique quitter le gouvernement. La jurisprudence exige en effet la démission d’un membre battu à une élection.

Le Philippisme se notabilise

Si le président de la République a des raisons d’être déçu, Édouard Philippe peut avoir le sourire. Son parti, Horizons, est en grande partie constitué d’élus locaux de villes de grande taille pourvoyeuses de grands électeurs (Reims, Angers, Fontainebleau…). Conséquence, les "philippistes" possèdent désormais le même nombre de sénateurs que les macronistes historiques et siégeront dans le groupe Les Indépendants présidé par Claude Malhuret, lequel se réjouit d’être le groupe "qui progresse le plus, de l’ordre de 30 %".

Les partisans d'Edouard Philippe progressent fortement, les macronistes "pur sucre" reculent

LR toujours en pole position

Du côté de LR, tout s’est passé comme anticipé. Les pronostics prévoyaient que le parti de droite perdrait quelques sièges (notamment à cause d’Horizons) mais conserverait sa place de première force politique grâce à son maillage territorial, notamment dans les villes moyennes. Le groupe présidé par Bruno Retailleau devrait perdre entre 3 et 4 sièges et compter sur un total compris entre 142 et 145 sénateurs. Gérard Larcher est donc bien parti pour conserver son poste de président du Sénat.

La gauche se porte bien

Au Palais du Luxembourg, l’ancien monde est bien vivant, notamment à gauche où le PS est encore en position de force. Jusqu’au renouvellement de septembre, le parti à la rose possédait 64 sénateurs sur les 91 du bloc de gauche. C’est donc les socialistes qui ont imposé leur tactique : une alliance avec les Verts et les communistes mais sans LFI. Objectif de Patrick Kanner, président du groupe PS : "Dépasser la barre des 100 sièges". Mission presque accomplie avec 96 strapontins. Si les socialistes gardent le même nombre de sièges, les écologistes passent de 12 à 15 et les communistes de 15 à 17. Le succès s’explique en partie par le fait que l’Île-de-France et plusieurs départements du Sud-Ouest, terres de gauche, étaient concernés par le renouvellement. Quelques figures connues du grand public font leur entrée au Palais du Luxembourg. C’est notamment le cas de l’écologiste Yannick Jadot et du communiste Ian Brossat à Paris.

LFI termine Fanny

LFI, en revanche, est sans conteste le grand perdant du scrutin puisqu’il obtient un zéro pointé du fait de son ostracisation par les autres membres de la Nupes qui ont refusé de lui céder quelques sièges dans le cadre d’un accord. Dès le lendemain de l’élection, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a publié un communiqué assassin dans lequel il fustige une "vieille gauche" qui "a refusé tout accord d’union" et "a empêché l’élection d’un seul sénateur ou sénatrice insoumise". Ce qui n’a pas empêché la gauche de progresser. Voilà qui devrait enterrer encore un peu plus l’idée d’une liste unique aux prochaines élections européennes.

Yannick Jadot fait son entrée au Sénat

Le RN s’implante (un tout petit peu)

Le parti dirigé par Marine Le Pen s’enracine progressivement dans les territoires et cherche à créer un "frontisme municipal" susceptible de montrer sa capacité à gouverner et à envoyer des élus au Sénat. En 2014, le mouvement d’extrême droite avait fait entrer son premier élu, le Marseillais Stéphane Ravier qui a depuis rejoint Reconquête!. Les compteurs du camp lepéniste étaient donc bloqués à zéro. Depuis le 24 septembre, il est remonté à 3 avec l’entrée à la Chambre haute de Christopher Szczurek (Pas-de-Calais), Joshua Hochart (Nord) et Aymeric Durox (Seine-et-Marne). Notons que les départements de la région Sud, où le RN possède le plus de grands électeurs, n’étaient pas concernés par le renouvellement partiel.

Des sénateurs sans trop de pression

Le scrutin sénatorial a la réputation d’offrir une large prime aux sortants. Le cru 2023 en apporte encore une fois la preuve : sur les 119 sénateurs candidats à leur réélection, 80 % ont conservé leur siège. Le meilleur ratio est pour la gauche puisque 30 sénateurs sur 35 ont été reconduits à leur poste soit un ratio de 85 %. La droite pour sa part obtient un taux de 80 % avec 51 réélus sur 63 candidats. En revanche, le bloc macroniste est en retrait avec 75 % de sénateurs renouvelés.

Lucas Jakubowicz