Constitution d’une garde rapprochée, lancement d’un mouvement politique à son service, retour sur la scène médiatique… L’ancien premier ministre semble vouloir replonger dans l’arène. Une aventure qui a un goût de déjà-vu.

En quittant le PS au printemps dernier pour protester contre l’alliance avec LFI, certains pensaient que Bernard Cazeneuve allait tirer une croix sur sa carrière politique pour se concentrer sur sa vie d’avocat. Mais le pouvoir est une drogue, même pour celui qui, lors du lancement de la campagne d’Anne Hidalgo, mettait en garde contre les "Narcisse en politique". Peu à peu, l’homme semble rêver d’un retour au premier plan.

La technique de la carte postale

Comme de nombreux responsables politiques en retrait mais en quête de retour, l’ancien premier ministre de François Hollande a utilisé la bonne vieille tactique de la carte postale. Objectif, montrer que l’on existe toujours et que l’on peut servir de recours au cas où. Puis observer si ces ballons d’essai suscitent du sarcasme, de l’indifférence ou de l’adhésion.

La première banderille est plantée en septembre avec la publication d’un texte de seize pages intitulé Manifeste pour une gauche sociale‐démocrate, républicaine, humaniste et écologique. Il y est théorisé ce que pourrait être une gauche ni Macron-compatible, ni pro-Nupes. Les quelques 400 signatures apposées à la fin du texte permettent de montrer que Bernard Cazeneuve n’est pas seul. Autour de lui se trouvent de nombreux anciens hollandais tels que Matthias Fekl, Christian Eckert, Clotilde Valter, Patrick Mennucci ou encore Guillaume Lacroix, président du Parti radical de gauche (PRG). Mais aussi le président de la région Bretagne Loïg Chesnais-Girard, les députés PS hors Nupes David Habib et Jean-Louis Bricout ainsi que quelques représentants de la société civile à l’instar des avocats Patrick Klugman et François Zimeray. Si cela rassure l’ancien premier ministre qui peut compter ses troupes, le reste de la Nupes se gausse de cet attelage trop has been, masculin et âgé.

Mais Bernard Cazeneuve n’en a cure et continue de tracer son sillon. D’autant plus qu’il compte également parmi les signataires Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy qui ont failli écarter Olivier Faure de la tête du PS et tissent leur toile dans l’appareil du parti à la rose. En février, l’ancien ministre de l’Intérieur réussit son passage sur Quotidien où il tacle la Nupes en expliquant notamment que "la politique, ce n’est ni les décibels ni la brutalité". Dix jours plus tard, une tribune est publiée dans le JDD. Son titre ? 110 élus appellent à soutenir Bernard Cazeneuve et son projet de fédération de la gauche républicaine. Ne reste plus que le dernier étage de la fusée à monter : la création d’un mouvement politique.

Opération Convention

Celle-ci est officialisée le jeudi 9 mars à Lyon lors d’un rassemblement organisé dans la salle Édouard Herriot, ancien maire de la capitale des Gaules et figure du centre gauche sous la IVe République. Un choix qui n’a sans doute pas été fait au hasard… Le nom du mouvement ? La Convention. Sur le papier l’objectif est de créer un lieu de débat transpartisan, un espace où structurer le programme d’une social-démocratie appelée à redevenir le cœur de la gauche.

"Il faut une offre de gauche non populiste pour les prochaines européennes et, pourquoi pas, en cas de dissolution"

Il suffit de converser avec Guillaume Lacroix pour comprendre que la structure est hybride. "Le mouvement a une forme souple, fait converger des membres de partis, des personnes n’appartenant à aucune formation, des intellectuels, des macronistes de gauche en rupture de ban... La plateforme permet de travailler sur le fond et de promouvoir une gauche républicaine." Selon lui, La Convention est le lieu idéal pour organiser des débats de haut niveau sur des sujets tels que "les parents isolés, le big data, les ressources naturelles, l’environnement…".

Mais La Convention semble plus qu’un simple think tank. Des élus locaux sont impliqués, des référents départementaux se déploient sur tout le territoire. "Oui, on installe la tuyauterie", sourit Guillaume Lacroix qui estime qu’il faut "une offre de gauche non populiste pour les prochaines européennes et, pourquoi pas, en cas d’éventuelle dissolution. Une chose est certaine, il faut tout reconstruire de zéro." Avec Bernard Cazeneuve à la baguette ?

L’âme d’un chef ?

Il suffit de faire un petit tour sur le site internet de La Convention pour remarquer un fait troublant. Même si l’initiative joue la carte du collectif, celui qui a pris la suite de Manuel Valls place Beauvau est partout. C’est même la seule personnalité mise en avant : "Entretien avec Bernard Cazeneuve", "Bernard Cazeneuve en visite à Libourne", "Communiqué de presse de Bernard Cazeneuve", "Chronique de Bernard Cazeneuve dans L’Opinion". La partie actualité, pour sa part, renvoie vers… le compte Twitter de Bernard Cazeneuve. Seule personnalité différente : l’ancienne députée européenne Martine Roure. Mais son interview en date du 18 mars est "dans la ligne". Son titre ? "Bernard Cazeneuve nous apporte de l’espoir". Tout cela ressemble furieusement à une machine mise au service d’un homme.

Ce que ne dément pas vraiment Guillaume Lacroix qui loue son leadership et estime que, contrairement aux idées reçues, l’ancien maire de Cherbourg a l’âme d’un chef. "Il aurait pu rester silencieux, se taire dans l’espoir d’un poste et il ne l’a pas fait", souligne le patron du PRG qui ne supporte pas d’entendre les critiques accusant Bernard Cazeneuve de se dérober, de ne pas aller au combat. "C’est faux et archifaux, il a soutenu Anne Hidalgo alors qu’il aurait pu faire le service minimum comme beaucoup de socialistes." Pour lui les choses sont claires : "Les gens qui pensent qu’il esquive se trompent. Il se met en avant, se fait attaquer, encaisse les coups, est déterminé. Je pense qu’il attendait son moment ; celui-ci est venu."

"Bernard Cazeneuve attendait son moment, je pense qu'il est venu"

Seul hic, le principal intéressé donne l’impression de manquer de grinta. Ainsi, dans une interview accordée à L’Hémicycle mi-mars, il ménage la chèvre et le chou : "Si on me demande de prendre mes responsabilités, je les prendrai" mais "je ne serai pas de ceux qui détruiront une hypothèse si ce n’est pas leur pomme qui est en situation d’incarner les choses." Aux yeux de certains, cela prouve qu’il est prêt à défendre des idées avant tout et à s’effacer derrière le collectif. Et qu’il ne se lancera que sous l’acclamation d’une foule qui criera "Bernard reviens !" Pour les fins observateurs de la vie politique, le scénario a un air de déjà-vu.

Le nouveau Jacques Delors

En 2019, le PS est en pleine déliquescence : des forces vives parties en Macronie, aucun candidat à présenter aux européennes, encore moins à la présidentielle. Tapi dans l’ombre, Bernard Cazeneuve fourbit ses armes. La machine se met peu à peu en marche. Une aventure parfaitement relatée par le journaliste Olivier Pérou dans son ouvrage Autopsie du cadavre paru chez Fayard: "Dans les bureaux de son ami Louis Schweitzer, il réunit un petit groupe de personnes." Parmi elles, la présidente du groupe PS à l’Assemblée nationale Valérie Rabault, Patrick Kanner, son homologue au Sénat, Carole Delga, présidente de la région Occitanie… Un programme et un maillage territorial se mettent en place, une petite musique se fait entendre.

Mais de manière inexplicable, "à mesure que les semaines passent, il se fait plus discret". Jamais il n’aura déclaré qu’il se lancera dans la course, jamais qu’il ne se retirera. Est-ce par peur ? Par manque de confiance ? Par envie de privilégier sa vie privée ?  Souffre-t-il du syndrome Jacques Delors qui, selon François Mitterrand, voulait être "désigné et non pas élu ?". Personne ne le saura vraiment. Le scénario pourrait se reproduire. Au moment de se lancer dans l’arène électorale pour de bon, Bernard Cazeneuve pourrait à nouveau opter pour une réponse de Normand : "p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non". Un moyen de rendre hommage à sa commune de Cherbourg. Et tant pis pour la social-démocratie française en recherche d’un leader qui a "les crocs".

Lucas Jakubowicz