Olivier Faure pensait avoir verrouillé le PS. Mais son poste de premier secrétaire se voit menacé par Hélène Geoffroy, une personnalité pour le moment peu connue, qui agrège les mécontents.

Des motions, des courants, des alliances contre nature, des piques assassines envoyées dans la presse… Les élections de premier secrétaire du PS font souvent les délices des amateurs de "politique politicienne" et de débats d’idées. Le 80e congrès du parti à la rose prévu les 27, 28 et 29 janvier à Marseille devrait respecter la tradition. Cette fois-ci, deux grandes lignes se font face : l’une "pro Nupes" incarnée par Olivier Faure, candidat à sa succession, l’autre plus "autonomiste" portée par une personnalité peu connue du grand public : Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, devenue par la force des choses l’arme des anti-Faure.

Bosseuse

Hélène Geoffroy ne s’en cache pas, elle n’est pas une habituée des plateaux télé, des réseaux sociaux et a une sainte horreur des punchlines, des effets sémantiques et des incantations. Elle préfère le travail de fond et la politique par la preuve. Ces opposants, et quelques partisans, lui reprochent un certain manque de charisme et de médiatisation. "Certes, ce n’est pas un tribun, mais elle est capable de gérer un collectif et c’est une grosse bosseuse. Ce sont les qualités qui comptent le plus en politique", pointe Philippe Doucet, ancien député PS du Val d’Oise, ancien maire d’Argenteuil et membre de sa garde rapprochée. Contrairement à de nombreux dirigeants de son camp, souvent diplômés de sciences sociales et amateurs de joutes verbales, la quinquagénaire est avant tout une femme de dossiers et une scientifique.

HG

Née à Creil, elle grandit en Guadeloupe, se spécialise dans la mécanique et soutient à Polytechnique une thèse intitulée "Étude de l’interaction roche/outil de forage : influence de l’usure sur les paramètres de coupe". Un parcours professionnel qui la mène au laboratoire GéoMatériaux de l’École nationale des travaux publics de l’État à Vaulx-en-Velin en 1997. C’est dans ce fief communiste de la banlieue nord de Lyon que démarre son aventure dans un parti alors tenu par Lionel Jospin.

Lire ici : Hélène Geoffroy, "Il est nécessaire d'avoir un PS fort, ce que ne permet pas la Nupes"

Ancrage local

Elle intègre le conseil municipal de la ville en 2001 puis, en 2008, défie le communiste Maurice Charrier, premier édile inamovible depuis 1985 qui est réélu au premier tour. En 2012, elle remporte la 7e circonscription du Rhône où se situe sa ville d’adoption. Une "circo en or" qui fut notamment le fief de Charles Hernu, le "Monsieur Défense" de François Mitterrand, et de Jean-Jack Queyranne, président de région. Deux ans plus tard, elle rafle enfin la mairie de Vaulx-en-Velin. Son action à la tête d’une commune de banlieue populaire l’amène à devenir début 2016 secrétaire d’État chargée de la Ville. Elle s’y distingue notamment par un tour de France pour rencontrer les habitants réunis autour de conseils citoyens qu’elle avait mis en place avec succès dans sa ville et qu’elle souhaite remettre au goût du jour en cas de prise de contrôle du PS. Un parti sur lequel cette discrète ambitieuse lorgne depuis quelques années.

Haro sur la Nupes

Lors du dernier congrès qui s’est tenu à Villeurbanne en septembre 2021, elle est déjà la première signataire de la motion qui s’oppose à celle d’Olivier Faure. Contre toute attente, elle rassemble 28 % des suffrages. "Une proportion importante qui constitue un socle pour construire le futur", estime Philippe Doucet pour qui "les voix de Villeurbanne nous sont restées fidèles et la Nupes nous en apporte de nouvelles".

Il faut dire que cet accord électoral est une rupture dans l’histoire du PS. Habitué à être la force prédominante à gauche, le parti, sous l’impulsion d’Olivier Faure, a laissé le leadership aux Insoumis pour tenter de sauver les meubles aux législatives à l’issue d’une élection présidentielle désastreuse qui a vu Anne Hidalgo tomber sous la barre des 2 %. Pour la motion portée par Hélène Geoffroy, la Nupes est une catastrophe qui conduit le parti à "l’effacement" et le transforme en "filiale de LFI". Sa première mesure de première secrétaire ? "Suspendre la participation du PS à la Nupes !"

"La vocation des socialistes, c'est de gouverner. Pas de s'enfermer dans l'opposition tribunicienne avec LFI"

La chef de file de l’opposition interne ne mâche pas ses mots contre Olivier Faure, accusé d’avoir "agi en catastrophe, sans consulter les adhérents". Le tout pour un résultat désastreux  : "Cette opération comptable ne fonctionne pas puisque le PS n’a pas augmenté son nombre de députés, que le contingent global des sièges de gauche est encore plus faible que lorsque Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy disposaient d’une large majorité." En outre, cela aurait contribué à l’élection d’un groupe RN conséquent puisque les électeurs ont, dans des dizaines de circonscriptions, jugé que le parti de Marine Le Pen était moins dangereux que LFI. "Les socialistes, eux, ont majoritairement remporté leurs duels face à l’extrême droite", note la candidate qui déplore que "les thématiques portées par la Nupes et théorisées par LFI ne rassemblent pas. "Elles repoussent les classes moyennes, la France périphérique et condamnent les socialistes à rester dans une opposition tribunitienne". Un crime de lèse-majesté pour un parti de gouvernement.

Nupes

Balle au centre ?

Hélène Geoffroy propose un revirement stratégique. Alors qu’une partie de l’appareil du parti pense que le salut consiste à se déporter encore plus à gauche, Hélène Geoffroy reste fidèle à la logique mitterrandienne : s’il faut assumer son positionnement socialiste, les élections se gagnent au centre. Plutôt que de se lancer dans une course à l’échalote avec LFI ou EELV, il est nécessaire selon elle de s’adresser aux macronistes de gauche, principal gisement électoral. "Ils ont fui le PS mais doutent, perçoivent une droitisation de la majorité, même s’ils peuvent rester attachés à la personne d’Emmanuel Macron qui ne pourra pas se représenter", confie-t-elle. "Je veux à nouveau les associer, leur ouvrir la porte." Ce qui suppose de prendre à bras-le-corps les questions de méritocratie, de travail, de sécurité pour ne pas laisser à la droite et à l’extrême droite ces valeurs. "Les socialistes doivent être entendus sur ces sujets."

Geoffroy, combien de divisions ?

Mais Hélène Geoffroy a-t-elle les moyens de peser ? Qui compose son cercle proche ? Deux sons de cloche se font entendre. Alexandre Goutagny, responsable PS de Seine-Saint-Denis et partisan de la ligne Faure, estime qu’elle rassemble "des militants sincères mais, globalement, ce sont des vieux de la vieille qui n’ont jamais eu un rôle de poids. Patrick Mennucci, Marie-Arlette Carlotti, François Kalfon, Philippe Doucet… Ce n’est pas le renouveau." Dans le camp Geoffroy, on estime l’assise assez large. "La direction actuelle tente le coup de bluff en claironnant que l’élection est jouée. Mais Olivier Faure n’a pas verrouillé le parti. Il devrait se rappeler qu’au dernier congrès nous avons fait le double des prévisions", estime le "vieux de la vieille" Philippe Doucet. Selon lui, "beaucoup de grosses fédérations en Occitanie, à Paris, dans le Nord vivent très mal le fait d’avoir été effacées au bénéfice de LFI, et leurs militants pourraient se reporter vers nous". Mais attention, chez les socialistes, les scrutins internes sont toujours complexes. Il faudra aussi compter avec une troisième motion : Refondations.

Une alliance avec la mystérieuse motion Refondations pourrait permettre à l'opposition interne de peser voire de prendre le parti

Combinazione de derrière les fagots ?

Même chez les fins connaisseurs des congrès, cette dernière semble bien mystérieuse. "Moi-même, je n’y comprends pas grand-chose, je ne sais pas qui y fait quoi", glisse Alexandre Goutigny pourtant habitué à l’arrière-cuisine du parti. Si elle n’est portée par aucun leader, la motion rassemble plusieurs figures influentes : Nicolas Mayer-Rossignol, jeune maire de Rouen, le sénateur David Assouline, fidèle d’Anne Hidalgo, Claire Fita, vice-présidente de la région Occitanie et proche de Carole Delga, Lamia El Aaraje, candidate parisienne sacrifiée sur l’autel de la Nupes.

Une Nupes qui justement est traitée de manière floue. Si Refondations estime que l’union de la gauche est vitale, elle souhaite un changement de "centre de gravité de l’accord" pour "sortir la gauche de l’impasse minoritaire". De quoi laisser présager une alliance d’entre-deux-tours avec Hélène Geoffroy ? Le plan serait machiavélique : le camp Faure termine en tête, mais Refondations se range derrière Hélène Geoffroy qui mettrait de l’eau dans son vin concernant la Nupes. Un cauchemar pour l’actuel premier secrétaire que les pronostiqueurs placent toutefois favori. Les manœuvres s’annoncent passionnantes comme au bon vieux temps du parti. Avec un détail de poids, l’hémorragie des votants. Plus de 130 000 ont élu Martine Aubry en 2008, ils étaient 37 000 lors du dernier scrutin. Ils devraient être 20 000 en 2022. Ce qui n’empêche pas la bataille pour les décombres de battre son plein.

Lucas Jakubowicz