Spécialiste du populisme italien, la journaliste Anna Bonalume analyse les rapports de force faisant suite à l’élection générale du 25 septembre. Elle est également l’auteur de l’étude "Italie 2022 : populisme et droitisation" pour la Fondapol.

Décideurs. Où Giorgia Meloni a-t-elle réalisé ses meilleurs scores ?

Anna Bonalume. Fratelli d’Italia a recueilli 26,4 % des suffrages et a multiplié par cinq son résultat par rapport à 2018. Selon l’Ipsos, Giorgia Meloni obtient également 29 % chez les électeurs âgés de 35 à 54 ans, soit le gros de la population active, mais se place seulement troisième chez les 18-34 ans, derrière le mouvement Cinq étoiles et le parti démocrate. De même, il est intéressant de constater un léger survote dans l’électorat masculin (28 %). Partout, le "melonisme" tisse sa toile. Il s’impose à Rome avec 28,4 %. Point intéressant, il réalise un vieux rêve de l’extrême droite française en regroupant autour d’un même leader bourgeoisie et classes populaires.

Anna

De son côté, le grand parti de gauche, le parti démocrate, n’a attiré que 19 % des suffrages. Comment analyser cette déconvenue ?

Elle est multifactorielle. Les Italiens sont plus que jamais gagnés par le dégagisme, et le parti démocrate, notamment son chef Enrico Letta, incarne le "vieux monde". De plus, la gauche italienne est minée par des frondes, des désaccords idéologiques et n’a pas à sa tête un leader charismatique considéré comme proche du peuple. À l’instar de nombreux partis de gauche occidentaux, le PD prône une politique économique plutôt libérale et est perçu comme mettant trop en avant des questions sociétales. Résultat, il vire en tête dans les principales grandes villes telles que Milan, Turin, Florence, fait encore bonne figure dans ses fiefs de Toscane ou d’Émilie-Romagne. Il perd toutefois l’électorat populaire qui se tourne vers l’extrême droite, ainsi que vers le mouvement Cinq étoiles, notamment dans le Sud.

"Le mouvement Cinq étoiles s'est notabilisé"

Le mouvement Cinq étoiles, justement, est passé de 33 % à 15 % depuis 2018. Est-il mort ?

Non. Malgré un fort recul, il se place devant la Ligue de Matteo Salvini, le parti de Silvio Berlusconi et pas loin derrière le PD. En revanche il a muté, a perdu une partie de son côté « anti-élite » en se notabilisant. Il a gouverné en coalition, a permis l’émergence de personnalités comme Giuseppe Conte et Luigi Di Maio qui ont occupé de manière conforme les fonctions de président du Conseil des ministres ou de ministre des Affaires étrangères. Le parti reste influent dans le sud du pays. Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, n’est qu’à 8 % et devient la troisième roue du carrosse de la coalition désormais au pouvoir.

 Quel avenir pour la droite italienne ?

 Le futur semble plutôt moribond. Silvio Berlusconi a 85 ans et n’a jamais voulu désigner de successeur à la tête d’un parti centré uniquement sur lui-même. Son cœur de cible ne se renouvelle pas puisque, depuis plusieurs années, il est essentiellement constitué de retraités mais attire moins de 5 % de la jeunesse. Son espace politique se réduit et se trouve coincé entre une extrême droite identitaire et un centre qui se construit autour d’Azione, parti de Carlo Calenda. Plusieurs cadres de Forza Italia ont du reste rejoint ce parti qui s’inspire du macronisme et siège avec Renaissance au Parlement européen.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

Italie 2022, populismes et droitisation, Anna Bonalume, Fondapol

Un mois avec un populiste, Anna Bonalume, Pauvert, 336 pages, 20 euros