Michel Barnier a été commissaire européen au marché intérieur et aux services financiers avant d’être nommé négociateur en chef du Brexit. Celui qui se qualifie lui-même de "patriote et européen" conseille aujourd’hui Valérie Pécresse dans le cadre de l’élection présidentielle. Pour Décideurs, il revient sur sa vision de l’Europe.

Décideurs. Vous avez été commissaire au marché intérieur et aux services financiers de 2010 à 2014. Soit après la crise de 2008. Quelle a été la réponse de Bruxelles à celle-ci ?

Michel Barnier. Au moment de la chute du mur de Berlin et de la globalisation, l’UE a dérégulé de manière un peu unilatérale son économie pour faciliter les échanges. Ce qui a conduit à des comportements insensés de la part d’un certain nombre d’acteurs financiers qui se sont crus tout permis après trente ans de dérégulation. Je considère que l’une des grandes fautes de l’Europe a été ce vent d’ultralibéralisme, qui ne correspond pas à ce que je crois être le libéralisme. Voilà pourquoi on a ressenti aussi violemment la crise venue des États-Unis. Le G20 s’est réuni plusieurs fois et en 2010 j’ai trouvé sur mon bureau une feuille de route assez précise, que j’ai mise en œuvre à travers 41 lois de régulation financière. Mon travail a consisté, avec l’aide du Parlement européen et des gouvernements, à remettre de l’ordre, de la responsabilité, de la régulation et un peu plus d’éthique et de morale, là où elle avait disparu afin que les services financiers soient un peu plus au service de l’économie réelle. Vous qui vous êtes frotté aux négociations européennes.

Pensiez-vous qu’un accord sur un plan de relance comme celui voté en 2020 était possible ?

C’était encore improbable il y a cinq ans. Mais à l’époque on n’avait jamais connu de crise comme celle-ci qui a conduit à un arrêt de l’économie dans le monde. À crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Un mouvement considérable a été fait, en particulier, avec et par l’Allemagne pour que les pays empruntent et investissent ensemble. Je crois que c’est la bonne méthode pour protéger les citoyens.

L’Europe fait-elle ce qu’il faut pour être plus compétitive ?

La compétitivité de l’Europe ne dépend pas que de l’UE mais aussi de la compétitivité de chaque pays, de leurs faiblesses. En France, nous avons les nôtres : 35 heures, niveau d’imposition, bureaucratie… Chacun doit mettre de l’ordre chez lui et par lui-même. Au niveau européen, nous devons être moins naïfs dans nos échanges avec la Chine et les États-Unis qui, eux, ne se gênent pas pour soutenir leurs secteurs stratégiques. On devrait aussi évaluer un certain nombre de règles d’État lorsqu’elles freinent des regroupements sur des marchés où des initiatives industrielles devraient être encouragées.

"La compétitivité de l'Europe dépend de la compétitivité de chaque pays. Chacun doit mettre de l'ordre chez lui"

Pensez-vous qu’il faudrait aller vers davantage de souveraineté européenne ?

Je n’aime pas beaucoup ce mot de souveraineté européenne. Je lui préfère celui de la liberté pour les Européens. C’est d’ailleurs le titre d’un livre que j’avais écrit en 2014 : Se reposer ou être libre, dans lequel je cite Périclès disant aux Athéniens au moment de la guerre du Péloponnèse: "Être libre ou se reposer. Il faut choisir." Je milite davantage pour une addition des souverainetés nationales, pour des souverainetés plus solidaires. Mais sans que cela mène à une Europe fédérale. Il faut faire attention aux peuples et ne pas "les broyer comme dans une purée de marrons", selon la formule du général de Gaulle, et respecter leurs identités. Il faut assumer la complexité du fonctionnement de l’Europe qui ne peut par principe être simple. Il faudrait également réaliser une évaluation critique de la manière dont nous avons appliqué les normes européennes dans notre propre pays. Car parfois nous avons fait preuve de trop de zèle.

Propos recueillis par Olivia Vignaud