Alors que la campagne présidentielle entre dans sa dernière ligne droite, Nicolas Sarkozy reste bien silencieux. S'il n'a pas apporté de soutien franc à Valérie Pécresse, il s'est bien gardé de soutenir Emmanuel Macron. Un jeu d'équilibriste...

Fumée blanche ! Le 4 décembre, à l’issue d’une éprouvante campagne interne, LR a désigné son candidat. Ou plutôt sa candidate, Valérie Pécresse, élue au second tour face au très droitier Éric Ciotti avec 60,95 % des suffrages. Aussitôt, les messages de tous les responsables de droite affluent. Même François Fillon, pourtant retiré de la vie politique, se fend d’un tweet de félicitations. Mais Nicolas Sarkozy reste publiquement muet. Une semaine plus tard, à la Mutualité, la présidente de la région Ile-de-France tient son premier meeting de campagne. Sans la présence de Nicolas Sarkozy. Évidemment, cette absence fait jaser. Que fait l’ancien président ? Serait-il devenu macroniste ? Pourquoi ne s’exprime-t-il pas en faveur de la candidate de sa famille politique ? Les choses semblent compliquées et mêlent rapports humains, politique politicienne et ego.

Sarkozy-Pécresse : je t’aime moi non plus

Les relations entre Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy ne sont ni noires ni blanches. L’ancien président a une certaine estime pour celle qu’il a fait entrer au gouvernement afin d’occuper les fonctions sensibles de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche puis de ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État ainsi que de porte-parole du gouvernement. "Il la considère comme une excellente technocrate, une sorte de bonne élève, une bosseuse, une techno un peu trop marquée par l’ENA. Il l’appelait Madame Moi-je, la trouvait un peu obsessionnelle mais fiable et rassurante", explique Olivier Beaumont, grand reporter politique au Parisien et coauteur avec Nathalie Schuck de Chérie, j’ai rétréci la droite ! Dans les secrets de la relation Macron-Sarkozy. Pour autant, certains témoignages recueillis dans l’ouvrage soulignent que Nicolas Sarkozy ne considère pas qu’elle dispose de l’étoffe d’une présidente. "Des déclarations à relativiser puisqu’il tend à penser que, dans sa famille politique, il n’y a pas de dauphin à sa hauteur", complète le journaliste qui souligne qu’il n’a soutenu personne durant la primaire.

L’ouvrage, qui compile de nombreux témoignages, montre que Nicolas Sarkozy estime que son ancienne ministre a pris la grosse tête depuis son élection à la tête de la région la plus riche et la plus peuplée de l’Hexagone. "Elle a le melon, elle ne passe plus sous l’Arc de triomphe", aurait raillé Nicolas Sarkozy à certains indiscrets qui se sont épanchés dans la presse. Cela ne l’a pas empêché de la "quasi-adouber" en octobre 2019.

Ce mois-là, elle reçoit la légion d’honneur et choisit Nicolas Sarkozy pour épingler la précieuse décoration et prononcer le discours traditionnel. Touché, il prononce des phrases qui ne passeront pas inaperçues : "Je te souhaite le plus fort, le plus haut Valérie. Quitte à rêver, autant rêver grand, je sais que tu peux y arriver." Derrière ce discours et les verbatims récoltés, on comprend que l’ex a "plutôt à la bonne" Valérie Pécresse. Problème, il nourrit également une certaine admiration pour Emmanuel Macron.

Une relation sinusoïdale avec Emmanuel Macron

Si Nicolas Sarkozy voue un mépris féroce et tenace à François Hollande, les relations avec Emmanuel Macron sont plus complexes voire "sinusoïdales", pour reprendre le terme d’Olivier Beaumont. Côté pile, le président, en véritable animal politique, admire le talent de son cadet qui est parvenu au graal élyséen à la hussarde en jouant avec ses propres règles. Sur le plan personnel, les épouses, Carla et Brigitte entretiennent de bons rapports.

Véritable animal politique, Nicolas Sarkozy a de l'admiration pour Emmanuel Macron, sans avoir succombé à sa danse du charme

Et le président de la République est un séducteur qui a réussi à s’attirer les bonnes grâces de son prédécesseur grâce à des gestes très appréciés : escorte du cortège funéraire de sa mère, missions de représentation à l’étranger et consultations. De plus, Nicolas Sarkozy joue le rôle de "DRH" en plaçant certains de ses fidèles dans les rouages de l’État.

Côté face, si le Président est avide de conseils, il en tient rarement compte sauf exceptions (remise en place des heures supplémentaires défiscalisées pour sortir de la crise des gilets jaunes). Surtout, Nicolas Sarkozy ne mâche pas ses mots pour critiquer la gestion de la crise sanitaire, ce qui a le mérite d’ennuyer Emmanuel Macron qui tend à l’appeler un peu moins. Ces deux dernières années, les nuages se sont peu à peu accumulés. Au point de se retrouver privé de la neutralité bienveillante du successeur de Jacques Chirac ? Pas certain…

"Coincé entre deux chaises"

L’ancien président est donc confronté à une situation délicate. D’un côté, il sera difficile de ne pas apporter dans les jours qui viennent un soutien officiel à la candidate de sa famille politique dont il est encore encarté. De l’autre, il compte de nombreux amis dans le camp macroniste et entretient des rapports amicaux avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, tandis que le Premier ministre Jean Castex est un ancien membre apprécié de son cabinet. Trancher pourrait s’avérer un crève-cœur pour un dirigeant politique réputé affectif.

"Sarko, c'est quelqu'un qui déplace au minimun un million de voix à lui seul"

Ajoutons également que le président de la République le "traite", le consulte, lui donne de l’importance. Porter ouvertement le fer contre lui pourrait s’avérer périlleux si Emmanuel Macron est reconduit. Les macronistes ont donc intérêt à le maintenir dans la neutralité le plus longtemps possible. "En politique expérimenté, il ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Il n’a aucun intérêt à se manifester trop tôt pour ne pas se démonétiser en cas de réélection d’Emmanuel Macon", explique Olivier Beaumont qui, crûment, juge que Nicolas Sarkozy a "le cul coincé entre deux chaises". Et le fait d’en choisir une pourrait avoir des conséquences puisque sa parole continue à peser.

Faiseur de roi (ou de reine)

Alors que François Hollande a perdu toute autorité à gauche, l’ancien président demeure une figure tutélaire pour le peuple de droite. Si Sylvain Fort, expert en stratégie politique, calcule qu’un ralliement à Emmanuel Macron "apporterait en même temps de l’adhésion et du rejet et serait un « jeu à somme nulle", tous ne sont pas de cet avis. Selon un conseiller du président cité dans Chéri j’ai rétréci la droite!, "Sarko, c’est quelqu’un qui déplace au minimum un million de voix à lui tout seul". D’après un autre stratège témoignant anonymement, "ça peut faire bouger d’un, de deux ou trois points au premier tour de la présidentielle". Ce qui est colossal même, selon les derniers sondages, Valérie Pécresse est largement distancée par le président de la République. De quoi éviter à Nicolas Sarkozy de se "mouiller" dès le premier tour puis, de prendre de la hauteur en appellant à faire barrage à un probable candidat d'extrême droite au second.

Lucas Jakubowicz