Bien qu’habituée à accompagner des deuils en tant que femme rabbin, Delphine Horvilleur ne peut que constater la finitude du langage quand il s’agit de parler de la mort à ceux qui restent. L’histoire de l’humanité et les textes sacrés apportent des pistes de réflexion à ceux qui voudraient apprendre à vivre avec leurs fantômes.

Femme rabbin, Delphine Horvilleur vit avec le deuil. Ceux des membres de sa communauté souvent, ceux de ses proches parfois. Dans son dernier essai, Vivre avec la mort, la quadragénaire raconte des moments de vie marqués par des décès et qui ont jalonné son parcours, de Paris à New York en passant par l’Alsace ou encore Jérusalem. Cérémonie d’une ancienne déportée qui aura tu son passé douloureux, enterrement de la psychiatre de Charlie Hebdo qui a succombé aux attentats de 2015, accompagnement d’une amie qui n’aura pu survivre au cancer, hommage à Simone Veil... Le religieux est au cœur de la société, au cœur de ses blessures, au cœur de l’une des plus grandes peurs de l’humanité : la finitude.

Tenir l’émotion à distance

 "À force d’accompagner des mourants ou de passer votre vie au cimetière, forcément, la mort ne vous fait plus peur, à vous…", lui arrive-t-elle d’entendre. En réalité, "la mort fait croire à ceux qui peuvent s’en tenir à distance, que ceux qui la côtoient auraient avec elle une relation apaisée", constate l’une des figures influentes du judaïsme libéral tricolore. "À supposer que vous soyez "religieux", et l’on vous prête immédiatement un autre privilège : la foi comme puissant pare-frayeur." 

Mais on ne s’habitue jamais à la fin d’une vie. Peut-être apprend-on tout juste à trouver la bonne attitude vis-à-vis de ceux qui restent. Et encore, l’exercice reste périlleux. Pas facile, même pour Delphine Horvilleur, qui confie essayer de toujours garder un sas entre sa vie privée et la mort, de tenir l’émotion à distance tout en écoutant les déchirures, de répondre à des questions face auxquelles même les sages se trouvent démunis.

La religion juive n’apporte pas d’explication précise à ce qu’il advient après notre vie sur terre. Pourtant, c’est bien vers son rabbin qu’une communauté peut se tourner pour chercher la colonne vertébrale qui lui fait défaut dans un tel moment, pour "être le pilier d’une verticalité qui les a abandonnés". Mais que répondre à un petit garçon qui a perdu son frère et qui cherche à comprendre ce qu’il est devenu. La mort reste un mystère. Elle "échappe aux mots, car elle signe précisément la fin de la parole".

"La mort échappe aux mots car elle signifie précisément la fin de la parole"

Conteuse

L’écrivaine convoque sans cesse l’histoire dans son récit. Celle de l’humanité tout d’abord. En hébreu le mot génération se dit dor, qui signifie littéralement l’action de tisser des paniers. "Une génération en hébreu est une rangée d’un panier. Elle s’attache à la force de la précédente et anticipe la consolidation de la suivante", explique l’auteure. "Une rangée fragilisée met en danger tout l’édifice", ajoute-t-elle, évoquant les générations marquées par la Shoah, tous ces survivants abîmés et leurs enfants, nés après le drame, qui s’accrochent à l’envers des mailles des histoires parentales. Il y a aussi les histoires contées dans les textes sacrés. Celle de Moïse, celle de Rebecca, celle de Salomon ou de Caïn... Si tous les parcours de vie s’avèrent différents, les écrits religieux peuvent devenir un support auquel se rattacher quand le sol se dérobe sous les pieds des croyants comme des moins croyants. Non sans humour, non sans respect, non sans recul, non sans difficultés parfois, Delphine Horvilleur raconte ces passages de vie, ces passages de la vie à la mort, avec une grande finesse pour apporter, à qui le voudrait, des pistes de réflexion sur la manière de faire la paix avec ses fantômes.

Olivia Vignaud