Ca y est. Dans un discours prononcé à Rouen le 12 septembre, Anne Hidalgo s’est officiellement lancée dans la course à l’Élysée. Objectif : finir en tête des listes de gauche et pourquoi pas plus…

"Socialistes cherchent candidat pour la présidentielle de 2022. Qualités requises : plaire aux derniers éléphants et à la nouvelle garde, séduire les électeurs écologistes mais aussi les déçus de la Macronie, s’appuyer sur l’électorat des grandes métropoles, tout en parlant aux classes moyennes et populaires de la France périphérique. Probabilité d’accéder au second tour : incertaine". Cette fiche de poste à tout l’air d’un cadeau empoisonné. Pourtant, Anne Hidalgo a décidé de relever le défi et de franchir le Rubicon : "Aujourd’hui, je suis prête. C’est pourquoi, humblement (…), j’ai décidé d’être candidate à la présidence de la République française (…). Je suis candidate pour offrir un avenir à nos enfants, à tous nos enfants" a-elle déclaré dans un discours prononcé à Rouen le 12 septembre. Aussitôt, une partie de la gauche non PS, de la droite et de la majorité a tiré à boulets rouges sur la candidature. Après tout, la maire de Paris a un bilan municipal facilement attaquable et a trahi la promesse de ne pas se présenter en 2022. Derrière cette offensive, se cache une peur justifiée puisque la maire de Paris a, sur le papier, de belles cartes en main.

Séduire ses camarades...

Si l’élection présidentielle est avant tout la rencontre entre un candidat et un peuple, la première phase d’une candidature est un peu moins romantique. Il s’agit, a fortiori en l’absence de primaires, de séduire l’état-major du parti. Et à ce petit jeu, Anne Hidalgo est, de fait, la mieux placée pour incarner une candidature PS. Côté PS, son profil fait quasi l’unanimité en interne où les récalcitrants tels que Stéphane Le Foll semblent peu nombreux. Contrairement à d’autres personnalités de son camp, elle est toujours restée fidèle au parti à la rose et n’a jamais cherché à fonder son propre mouvement. "Son parcours en interne, son ADN rocardien et son attachement à la social-démocratie peuvent rassurer la vieille garde", estime Pierre Monquet qui a participé à sa dernière campagne municipale. Du reste, Olivier Faure, premier secrétaire du PS est même allé jusqu’à affirmer fin décembre 2020 qu’elle ferait "une excellente présidente". D’autres élus, peu connus mais influents, poussent également à sa candidature : Valérie Rabault, présidente du groupe à l’Assemblée nationale, Patrick Kanner, son homologue au Sénat, ou encore Johanna Rolland, maire de Nantes, Michael Delafosse, maire de Montpellier, Mathieu Klein, maire de Nancy….

... et les électeurs verts

Du côté d’EELV, les choses semblent plus délicates. Chez eux, le silence règne puisque les Verts sont en pleine primaire et ont la ferme intention d’être sur la grille de départ du premier tour de la présidentielle. Mais quel que soit le choix du scrutin interne, il pourrait être profitable à Anne Hidalgo. Côté pile, la victoire du centriste Yannick Jadot laisse espérer des convergences et des accords électoraux. Côté face, la victoire d’un candidat plus à gauche tel qu’Eric Piolle ou Sandrine Rousseau ferait "fuir" de nombreux électeurs écolos modérés vers Anne Hidalgo

La maire de Paris semble la meilleure au PS pour parler aux électeurs écolos

Par rapport à d’autres membres du PS, Anne Hidalgo est la mieux à même de séduire les électeurs écolos. Principale corde à son arc : son bilan parisien et son rôle dans l’alliance rose-verte qui gère la capitale depuis 2001. Mais, depuis quelques temps, le moteur tousse : hommage à Samuel Paty, construction de logements sociaux, crispations sur les valeurs républicaines… Des tensions que relativise Pierre Monquet qui note que "pour l’essentiel, il s’agit de divergences de méthode plus que de fond. Elles sont liées à l’arrivée d’une nouvelle génération écolo à Paris plus intransigeante, plus militante. Les électeurs de gauche se moquent de ces querelles, en matière d'écologie urbaine, elle paraît imbattable" Un avis partagé par Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos. D’après lui, "au niveau national, elle est perçue comme la plus verte des socialistes". Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pour rallier les électeurs "rose-vert" peut-être. Pour susciter l’enthousiasme des Français, moins.

Clivante

Un candidat à la présidence de la République doit avant tout être rassembleur. Or, dans l’opinion publique, Anne Hidalgo est perçue comme clivante. "L’anti-hidalgisme" semble même être devenu un genre littéraire à part entière. On ne compte plus les livres à charge sur son bilan à la tête de la Ville lumière ou encore les articles et comptes Twitter s’en prenant à sa gestion. Notamment le célèbre #saccageparis depuis peu transformé en #saccagelafrance. Une situation qui ne semble pas préoccuper outre mesure Pierre Monquet qui estime qu’ "être clivant, c’est la preuve que l’on agit, que l’on a un bilan à présenter, des réalisations concrètes. Que l’on déplaît à certains, mais que l’on plaît également à d’autres".

Son image de Parisienne bobo pourrait lui poser des difficultés pour séduire la France périphérique malgré le soutien de barons locaux

Pour ce qui est de plaire à gauche, Anne Hidalgo est effectivement plutôt bien placée. Certes, selon le baromètre Odoxa Dentsu Consulting de janvier 2021, celle qui a été facilement réélue aux dernières municipales est la sixième personnalité qui suscite le plus de rejet dans l’opinion (35 %), le podium étant occupé par Jean-Luc Mélenchon (52 %), Marine Le Pen (49 %) et Marion Maréchal (44 %). Toutefois, à gauche, elle est, toujours selon le même sondage, la mieux positionnée. Si 40 % des Français ont une bonne opinion d’elle, la proportion est de 66 % chez les sympathisants PS, 67 % chez ceux d’EELV, 56 % chez ceux de LFI et 43 % chez ceux de LREM. Mais, Vème République oblige, un candidat doit faire preuve d’incarnation. Et, sur ce terrain, la route semble longue.

Attention, bobo !

Si Anne Hidalgo est candidate, il lui faudra s’adresser à la France des petites villes, des campagnes et des banlieues. Un sacré défi pour celle qui est solidement ancrée dans sa commune à la sociologie très éloignée de la moyenne française. Les pistes cyclables, le bio dans les cantines scolaires, la tolérance sur les questions sociétales et migratoires ainsi que la construction de logements sociaux semblent être la martingale pour séduire un électorat cosmopolite et ouvert sur la mondialisation. Son logiciel paraît néanmoins inadapté pour s’adresser à l’ensemble de la communauté nationale.

Quand bien même son programme conçu par son équipe de campagne permettrait d’améliorer la situation de la majorité des Français, Anne Hidalgo serait-elle la mieux placée pour le "vendre" ? Son image de grande élue parisienne pourrait être néfaste dans une France post-gilets jaunes qui se plaît à rejeter ce qui vient des métropoles et à dénigrer ce qui incarne les classes sociales supérieures. Or, Anne Hidalgo est le symbole même des élites urbaines. Un problème qui, pour Pierre Monquet, n’en est pas un : "Cela fait des années qu’on lui promet des défaite, qu’on la décrit comme froide et autoritaire. En réalité, je pense qu’elle est en capacité de se présenter et de rassembler largement dans son sillage. Le défaut majeur de nos adversaires, c’est d’avoir toujours sous-estimé Anne Hidalgo"

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Grâce à son poste de maire de Paris, Anne Hidalgo dispose d'un rayonnement national, voire international.

Inexpérience ?

Il lui faudra également un gros travail de persuasion pour montrer qu’elle est capable de gérer un pays de 67 millions d’habitants. Anne Hidalgo n’a jamais eu d’expérience politique au niveau national et n’a jamais exercé de fonction ministérielle, ce qui pourrait, semble-il, rebuter une partie de l’opinion publique puisque, selon l’étude mentionnée plus haut 77 % des Français estiment qu’elle n’a pas l’étoffe d’une présidente. Pourtant, ce procès en inexpérience peut être contré : Anne Hidalgo est à la tête d’une ville dont le PIB est supérieur à celui de la Suède ou de la Belgique. L’aura de Paris lui permet également d’entretenir des relations régulières avec ses homologues des grandes villes mondiales mais aussi de chefs d’État.

Une gauche (très) faible

Au-delà de l’empathie et du procès en manque d’expérience, il lui faudra répondre aux attentes des Français en matière de reprise économique, de travail, de pouvoir d’achat mais aussi de laïcité, d’immigration ou encore de sécurité. Des thématiques sur lesquelles elle semble partir avec une grosse longueur de retard par rapport à d’autres candidats de son bord politique. Bord politique qui, lui-même, semble de plus en plus minoritaire au niveau national, comme l’ont montré les dernières échéances nationales telles que la présidentielle et les législatives de 2017 ou encore les européennes de 2019 qui dévoilent une réalité cruelle : la gauche, même rassemblée n’a jamais aussi peu pesé dans l’Hexagone. 

Lucas Jakubowicz