Retour au multilatéralisme, changement de pied en matière de politique environnementale, priorité toujours accordée à la zone Asie-Pacifique au détriment de l’Europe. Voilà les grands axes probables de diplomatie de l'administration Biden.

Environnement : le retour de l’oncle Sam

"Nous allons combattre le changement climatique comme nous ne l'avons jamais fait jusqu'ici". Cette phrase prononcée par Joe Biden dans "son" Bureau ovale marque une rupture de taille avec la majorité précédente. Durant sa première campagne électorale puis sa présidence, Donald Trump n’a pas mâché ses mots contre l’Accord de Paris, jugé "horrible et honteux". Pour lui, les choses sont claires : les États-Unis doivent sortir de ce que le  désormais ex-secrétaire d’État Mike Pompeo nommait "un fardeau économique". C’est pourquoi, le 4 novembre 2019, les États-Unis ont envoyé une lettre officielle à l’ONU pour demander leur retrait d’un accord qu’ils avaient pourtant signé. Même si la majorité de nombreux États fédérés ou de grandes villes américaines ont affirmé leur intention de respecter l’accord international, le a renforcé les climatosceptiques du globe.

Le retour de la première puissance mondiale sur le front de la lutte contre le changement climatique était d’ailleurs écrit noir sur blanc dans le programme de campagne démocrate qui précise que l’administration Biden "conduira un effort pour amener chaque grand pays à accroître l’ambition de ses objectifs climatiques nationaux. Il veillera à ce que ces engagements soient transparents et applicables, et empêchera les pays de tricher en utilisant l’influence économique et le pouvoir d’exemple des États-Unis".

Les premières déclarations présidentielles de Joe Biden en matière d'environnement sont saluées par la communauté internationale.

Un président diplomate

Que l’on apprécie ou non Donald Trump, force est de constater que le milliardaire new-yorkais n'a pas respecté les codes de la diplomatie traditionnelle. Propos à l’emporte-pièce, diplomatie du tweet, instinct privilégié à la raison… La méthode Trump a détonné pour le meilleur et pour le pire. Dans son ouvrage à charge, État de siège, Michael Wolff affirme qu’il ne prend même pas la peine de lire les notes préparées par ses conseillers et qu’il confond, notamment, pays baltes et Balkans.

Tout le contraire de Joe Biden qui est un diplomate chevronné. En 1975, il rejoint la puissante commission des Affaires étrangères du Sénat, ce qui lui permet de voyager en Iran ou en URSS. Sous Barack Obama, c’est lui qui est chargé de défendre la politique américaine au cours de nombreux déplacements où il rencontre des chefs d’État et de gouvernement du monde entier. Middle-Class Joe connaît donc parfaitement les grands enjeux géopolitiques et les arcanes de la politique internationale. Il pourra également se reposer sur l'envergure du très francophile Antony Blinken, désormais à la tête de la diplomatie américaine.

Biden, un "tiède" parmi les faucons ?

En matière de politique étrangère, il n’y a pas de réelle différence entre démocrates et républicains. Les deux partis sont tiraillés entre un courant interventionniste et un courant isolationniste. Ainsi, du côté du GOP, l’administration Bush prisait les opérations extérieures, contrairement à celle de Donald Trump.

Chez les démocrates, Biden a plutôt la réputation de ne pas être un faucon. Ce qui lui a valu des désaccords avec Barack Obama. Dans sa biographie de Joe Biden, la journaliste Sonia Dridi explique notamment que, dès 2008, "il veut limiter l’engagement de l’armée américaine en Afghanistan. Au bout du compte, sous l’impulsion d’Hillary Clinton, contre l’avis de Joe Biden, Obama autorise l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires." Selon elle, "plusieurs sources prétendent que Joe Biden a conseillé au président Obama de ne pas donner son feu vert sur le raid qui a abouti à la mort d’Oussama Ben Laden. Trop risqué, selon lui." Un fait confirmé par Hillary Clinton dans ses mémoires. L’administration Biden sera-t-elle faucon ou pas ? Suivra-elle la prudence de son maître ? Tout dépendra de la composition du futur cabinet.

Joe Biden n'était pas favorable au raid qui a abouti à la mort de Ben Laden

Régimes autoritaires : dans la ligne de mire de Washington ?

"Je m’occupe seulement de mon pays, pour le reste : débrouillez-vous." Voilà comment résumer de manière concise la doctrine Trump en matière de diplomatie. Un message reçu 5 sur 5 par de nombreux régimes autoritaires qui ont profité des dernières années pour avancer leurs pions. Le cas le plus frappant est celui de la Turquie : implantation en Libye, tensions en mer Égée avec la Grèce, soutien à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie... Le régime d’Erdogan profite du silence américain pour mener une politique expansionniste. Le retour des démocrates aux affaires marquera-t-il la fin de cette période ? Impossible de le savoir pour le moment, mais une chose est certaine : le pays sera surement plus intransigeant. Ce qui explique en grande partie la frénésie d’Erdogan qui agit tant qu’il le peut encore. Concernant les régimes dictatoriaux tels que la Syrie, les années Trump ont été une parenthèse enchantée sans tentatives de déstabilisation venues de l’extérieur.

Réhabilitation de l’unilatéralisme

Lors de son mandat, Donald Trump estimait maîtriser à merveille ce qu’il appelle "l’art du deal". Sa méthode ? Privilégier les accords unilatéraux. Quitte à outrepasser les outils de décision collective qu’il méprise suverainement. L’Otan ou l’OMS en sont les exemples types. Le retour des démocrates aux affaires devrait donner lieu à une réhabilitation du multilatéralisme.

Depuis Barack Obama, la zone Asie-Pacifique est devenue plus stratégique que l'Europe. Une élection de Biden ne changerait pas cela.

L’Europe (encore) au second plan ?

Oui, Barack Obama et Donald Trump ont un point commun : tous deux ont axé leur politique étrangère sur l’Asie. Le démocrate a renforcé les alliances avec les pays du Pacifique notamment le Japon et l’Inde tout en augmentant la présence militaire américaine dans cette vaste région, désormais au cœur de l’économie mondiale. Donald Trump a fait de même en cherchant à isoler la Chine (à travers des accords diplomatiques et des mesures commerciales).

Cela fait donc plus de dix ans que l’Europe n’est plus au centre de la politique étrangère américaine. Donald Trump a toutefois innové en considérant le vieux continent comme un ennemi potentiel.En juillet 2017, il avait marqué les esprits en déclarant : "Je pense que nous avons beaucoup d’ennemis (…). Je pense que l’Union européenne est un ennemi, ce qu’ils nous font dans le commerce… Maintenant, vous ne penseriez pas à l’Union européenne mais ils sont un ennemi." Si un réchauffement aura sûrement lieu, l’Europe n’est plus la priorité des États-Unis. À l’UE d’en tirer les conséquences et de se renforcer au niveau régalien.

Lucas Jakubowicz