"Vous avez demandé la police, ne quittez pas". L’homme qui "voulait peser" devient un poids lourd du gouvernement, puisque qu'il obtient le ministère de l’Intérieur. Les futures actions de celui qui assume ses ambitions seront scrutées par ses amis comme par ses ennemis.

Tu quoque mi fili. C’est le destin des gens qui ont un destin : depuis sa nomination Place Beauvau, on ressort à propos de Gérald Darmanin, un surnom dont il a hérité lorsqu’il a rejoint Emmanuel Macron : Brutus. Une forme d’habitus que de soupçonner de traitrise celui qui à mesure qu’il gravit les échelons accentue peu à peu son emprise. Avec Gérald Darmanin, c’est assez simple : à chaque nouvelle ascension, tout le monde applaudit, tout le monde se méfie. Trop vite, trop haut, trop fort : son parcours impressionne jusqu’à Emmanuel Macron, puisque lors de de leur rencontre en vue de sa nomination en tant que ministre du Budget, en mai 2017, la légende affirme que le chef de l’État lui aurait assuré : "vous êtes le meilleur de votre génération".

Et si plutôt que le parangon de la traitrise, Gérald Darmanin s’avérait l’homme des fidélités successives ? Il a 16 ans lorsque, après avoir assisté à un discours de Philippe Séguin, il s’engage au RPR. A l’heure où la prophétie de Malraux ("tout le monde a été, est ou sera gaulliste") prend chaque jour un peu plus d’épaisseur, on doit reconnaître au maire de Tourcoing une constance dans le culte qu’il voue au chef de la France Libre.

Avec Sarkozy, une relation filiale

Une "obsession", selon ses propres mots, qui trouve certainement son origine auprès de son grand-père, tirailleur algérien, résistant, combattant lors de la bataille de Monte Cassino et qui rejoindra les rangs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. C’est d’ailleurs en sa mémoire et en celle de son autre grand-père, juif Maltais, qu’il écrira quelques instants après l’annonce de sa nomination : "Grand honneur pour le petit-fils d’immigré que je suis, d’être nommé Ministre de l’Intérieur de notre beau pays". Nombreux sont ceux à avoir noté la similitude de l’hommage, avec les mots de Nicolas Sarkozy lors de son investiture en tant que Président de la République : "moi, petit Français de sang mêlé…".

Sarkozy / Darmanin, c’est une relation filiale, assurent tous ceux qui ont les ont côtoyés. L’ancien Président, dont l’une des nombreuses biographies qui lui est consacrée s’intitule Le Destin de Brutus, couverait d’un regard protecteur le parcours hors-normes mais similaire de l’élu des Hauts-de-France. Conseiller, maire, député, budget, intérieur : les deux hommes ont brulé les étapes sans se bruler les ailes.

C’est d’ailleurs cette complicité qui, dit-on, avait conduit Emmanuel Macron à mettre son veto à une nomination place Beauvau dès octobre 2018 après la démission de Gérard Collomb. Trop risqué lui disait-on, de faire d’un ambitieux, qui plus est un intime de Sarkozy, "l’homme le mieux informé de France". Véritable tremplin, le poste a été occupé par François Mitterand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, tous devenus Président. 

Brutus ou l’amour de la vertu

Qu’est ce qui a convaincu le Président de la République de donner toute sa confiance à l’ancien ministre du Budget ? Avant tout, la réussite incontestée de ce dernier dans un poste technique, souvent à la solde toute puissante des hauts-fonctionnaires de Bercy, et où toute velléité de reforme peuvent se retrouver noyées dans le flot technocratique de l’administration. Sa gestion du passage du prélèvement à la source fut menée de main de maître. Examen réussi pour le néophyte. 

Ensuite, parce que depuis son ralliement enthousiaste à Emmanuel Macron, (après quelques critiques durant la campagne de Fillon qu’il quitta en mars 2017), Gérald Darmanin fait preuve d’une loyauté à toute épreuve à l’égard du chef de l’État.

Jacques Toubon, Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand, Nicolas Sarkozy : ses mentors auprès desquels il a exercé, dont nombre sont devenus des amis, dénotent tous le caractère loyal de l’impétueux ambitieux. Un paradoxe qui s’évanouit lorsqu’on n’a pas oublié que Brutus fut aussi connu pour son amour de la vertu et sa volonté sans cesse renouvelé de faire passer le salut de la République avant le sien.

Et le salut de la police passera-t-il avant le sien ? C’est à espérer tant les hommes qui la compose constituent le corps de la nation. Critiquée pour le racisme de quelque uns, ou la violence de quelque autres, elle nécessite une mise au chevet, et de retrouver la considération qu’elle croit avoir perdue. Voilà pour le moment, l’ultime examen qui attend Gérald Darmanin, lequel pourra poursuivre, après cela, le destin auquel il croit.  

Sébastien Petitot