Déjouant les pronostics, la candidate écologiste a profité de la vague verte pour remporter la mairie de Strasbourg. Portrait d’une femme discrète mais à l’ascension politique fulgurante.

Difficile pour un journaliste d’écrire le portrait de Jeanne Barseghian. La nouvelle maire écologiste de Strasbourg cultive la discrétion et, même quelques jours après sa victoire, peu d’informations sont disponibles à son sujet. Pourtant son élection à la tête de la capitale alsacienne est une vraie performance puisque la ville faisait partie des principales cibles des stratèges macronistes qui se sont appuyés sur leurs bons scores lors de la présidentielle, des législatives puis des européennes mais aussi sur leur candidat Alain Fontanel, issu du PS et bien implanté localement. Jeanne Barseghian s’est pourtant imposée dans un contexte peu propice puisqu’elle ferraillait contre une union LREM-LR et une candidate socialiste, Catherine Trautmann, avec laquelle tout accord s’est avéré impossible. À 39 ans, la voici à la tête de la huitième commune la plus peuplée de France.

Une germaniste sans racines alsaciennes

Jeanne Barseghian n’est pas seulement la première maire écologiste de Strasbourg, elle est également la première patronne de l’hôtel de ville à ne posséder aucunes racines alsaciennes. Native de Suresnes, elle grandit dans une famille composée d’une mère juriste et d’un père avocat d’origine arménienne. Son arrière-grand-père, Sarkis, fut une des nombreuses victimes de la rafle des intellectuels arméniens perpétrée par le gouvernement ottoman en août 1915. Un prélude au génocide qui suivra. Un épisode qui marque sa famille et elle-même puisqu’elle est engagée dans des associations arméniennes. Cette germaniste qui a suivi un cursus juridique franco-allemand à la Sorbonne puis à Munster s’installe à Strasbourg en 2002 pour se spécialiser en droit de l’environnement.

Jeanne Barseghian est la première maire de Strasbourg sans racines alsaciennes

La carte de la discrétion

Au niveau personnel, la nouvelle maire met très peu en avant son intimité, que ce soit dans les réunions publiques et sur les réseaux sociaux où ses comptes Twitter et Facebook officiels sont pour le moment très peu cultivés. Une stratégie à des années-lumière de ses principaux concurrents. Alain Fontanel que certains esprits moqueurs appellent "le roi du hashtag" n’hésite pas à se mettre en scène avec ses trois enfants, vêtu du maillot du Racing Club de Strasbourg ou grimé en vampire. Le LR Jean-Philippe Vetter, rallié aux marcheurs dans l’entre-deux tours, a beaucoup misé sur le storytelling, en témoigne son site de campagne sur lequel il joue la carte de la proximité et de l’enracinement avec de nombreuses photos de famille.

Rien de tel pour Jeanne Barseghian. À peine sait-on qu’elle vote dans le quartier du Neudorf, qu’elle partage sa vie avec un Allemand travaillant à Fribourg (ville réputée pour sa politique verte), qu’elle pratique le yoga, la chorale pop et classique et que son régime alimentaire est végétarien.

Militante sur le tard

Sensible à la cause environnementale, les premiers engagements de Jeanne Barseghian se font dans le secteur associatif, notamment au Gepma (groupement d’études et de protection des mammifères d’Alsace). Ce n’est qu’en 2013 qu’elle s’engage à EELV où, au niveau local, son ascension est rapide.

En quatrième position sur la liste menée par Alain Jund en 2014, elle décroche un siège au conseil municipal ainsi que la coprésidence du groupe Vert. Parmi ses principaux chevaux de bataille, l’économie sociale et solidaire et la lutte contre le grand contournement ouest de la ville. C’est en octobre 2019 qu’elle est désignée tête de liste sur les conseils d’Alain Jund, poids lourd des Verts locaux et politicien chevronné.

Demandez le programme

Dès sa première prise de parole en tant qu’élue le 28 au soir, Jeanne Barseghian a déclaré "l’état d’urgence" écologique confirmé des premières mesures relativement écolos telles que la déminéralisation du centre-ville, la création de parcs, de pistes cyclables, le bannissement des véhicules diesel du centre-ville à l’horizon 2025 (une mesure prise par son prédécesseur le socialiste Roland Ries), les aides aux associations féministes… Durant sa campagne et les jours qui ont suivi son élection, elle n’a pas hésité à rassurer les milieux économiques en confirmant notamment l’agrandissement du stade de la Meinau.

Gouvernera-t-elle à la manière des Verts allemands ou sera-t-elle otage de son aile gauche, voire gauchiste ?

Un discours important pour celle qui veut gouverner à la manière des Verts allemands, c’est-à-dire en mettant l’accent sur la discussion transpartisane et la collaboration avec les milieux patronaux. Le nouvel édile aura beaucoup à faire pour les amadouer. Puisque ses opposants, à l’instar du député LREM Bruno Studer, ont ces derniers mois mis l’accent sur "le péril que constituent une ville et une agglomération gérées par l’extrême gauche". Un risque à craindre ? Jeanne Barseghian pourrait-elle laisser le courant gauchiste gouverner la ville ?

Seule contre tous ?

Certains le craignent en mettant en avant la composition de sa liste qui comporte notamment de nombreux militants anti-racistes, dont une femme voilée qui figure en 43ème position sur la liste, ce qui lui voue des accusations de compromission avec le communautarisme pour glaner des voix dans les quartiers populaires. La nouvelle majorité comporte également des élus PCF dont Hulliya Turan, secrétaire départementale du parti dans le Bas-Rhin. Des éléments plus modérés figurent en bonne position Caroline Zorn, présidente des Avocats de France ou encore Alexandre Feltz, adjoint au maire dans la majorité sortante.

Jeanne Barseghian, réputée femme de dossier parfois intransigeante sur le fond se reposera-t-elle sur sa large majorité ? Se laissera-t-elle influencer par son aile gauche ? Ou jouera-t-elle la carte de la consultation en prenant en compte l’avis du PS (qui pourrait rester dans l’opposition), de LR et de LREM ? C’est toute la question qui se posera à une élue qui sera tiraillée entre sa volonté de mener une politique écologiste, féministe et anti raciste sans compromis. Mais qui a construit son image de maire sur l’écoute, le dialogue et la démocratie participative.

Lucas Jakubowicz