Responsables politiques, intellectuels, universitaires, féministes… La gauche n’a pas brillé par son soutien à la jeune lycéenne menacée de mort pour avoir critiqué l’islam. Les raisons de ce mutisme sont multiples. Et peu reluisantes.

Un silence embarrassé. Voici comment définir en deux mots l’attitude de la gauche face à l’affaire Mila, lycéenne menacée d’assassinat, de torture et de viol pour avoir tenu des propos hostiles à l’islam sur son compte Instagram. Ostensiblement « Charlie » en 2015, insoumis, socialistes, communistes et écolos semblent avoir changé d’avis.

Démagogie

Les élections municipales approchent. Ces partis cherchent à maintenir leurs places ou à conquérir des mairies dans des villes où les musulmans constituent une part non négligeable du corps électoral. Et pour gagner, tous les moyens sont bons, y compris abandonner en rase campagne une adolescente dont la vie est en danger pour avoir utilisé son droit à la liberté d’expression. Une stratégie qui scandalise la philosophe Stéphanie Roza, auteur de La gauche contre les Lumières ? publié ce mois-ci aux éditions Fayard. Selon elle, « ces professionnels de la politique pensent plaire à leur électorat, mais cette attitude démagogique traduit surtout un mépris et une méconnaissance de la majorité des musulmans de France qui ne sont pas demandeurs de ce type de discours ».

Même son de cloche du côté d’Amine El-Khatmi, président de l’association Printemps républicain et ancien membre du PS, qui estime que la gauche a toujours voulu défendre les plus faibles. Mais qu’aujourd’hui, une partie d’entre elle considère que « les musulmans constituent la nouvelle classe ouvrière, les nouveaux damnés de la terre qu’il faut protéger dans un but idéologique… et électoral. Voilà pourquoi la gauche se retrouve réduite à courtiser des bigots ».

Logique donc, de trop peu entendre les descendants de Jean Jaurès, Léon Blum et François Mitterrand sur les sujets tels que les tentatives d’imposer les burkinis dans certaines communes, la montée en puissance du communautarisme ou la multiplication des actes antisémites. Logique également de voir certains élus, notamment des insoumis, participer à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Un événement que Stéphanie Roza considère comme une rupture : « des responsables politiques qui ont commencé à militer en faveur de la laïcité, se retrouvent à défiler à l'appel d'intégristes et de leurs soutiens ouvertement misogynes, homophobes et antisémites ». Que voulez-vous, il faut choyer son électorat. Ou tout du moins, à ne pas braquer…

Presse, féministes, universitaires : capitulation générale

Que ce soit par peur, par compromission, par idéologie ou par calcul électoral, le 31 janvier 2020, soit près de deux semaines après l’affaire Mila, le PS, EELV et la France insoumise n’ont publié aucun communiqué officiel pour défendre l’adolescente. Amine El-Khatmi, qui fait de la défense de la laïcité un combat permanent, estime que les seules personnalités de gauche à avoir nagé à contre-courant en prenant une position ferme sur le sujet sont Bernard Cazeneuve et Laurence Rossignol. Trop peu. Même la presse, l’université ou les associations féministes, pourtant bastions de la gauche participent à ce « concours de lâcheté » dénoncé par Amine El-Khatmi.

"Les associations féministes dénoncent le concours Miss France, mais elles n'ont rien à dire sur l'affaire Mila. C'est hallucinant !"

Celui-ci pointe notamment l’attitude des mouvements féministes qui est, selon lui, symptomatique des errements de cette gauche millésime 2020 : « ces associations, notamment Osez le féminisme, sont actives pour demander l’interdiction de Miss France ou pour défendre l’écriture inclusive. En revanche, elles n’ont rien à dire sur le cas d’une lycéenne lesbienne menacée de mort pour ses opinions ! ».

Du côté de la presse de gauche, la défense du droit au blasphème ne va plus forcément de soi. Certes, L’Obs a pris position, mais Amine El-Khatmi se déclare scandalisé par « la débandade de journaux comme Médiapart, Les Inrocks ou Télérama qui ont choisi de ne pas couvrir l’affaire. Certains journalistes m’ont prétendu que c’était par manque de temps ! ». Même les habituels pétitionnaires de gauche, propres à dénoncer le sort des migrants, l’islamophobie ou le racisme sont restés sagement enfermés dans leur tour d’ivoire. Quant à un rassemblement de soutien, n’en parlons pas… Ironie du sort, c’est désormais la presse de droite, voire d’extrême droite qui défend ce que Stéphanie Roza nomme « des valeurs que la gauche n’aurait jamais dû abandonner » . Le président du Printemps républicain se désole également de voir son bord politique : « Renoncer à dire que l’on peut moquer, critiquer, caricaturer une religion.»

"La gauche renonce à des valeurs qu'elle n'aurait jamais dû abandonner"

Élus, journalistes, féministes semblent également de plus en plus sensibles à la philosophie de la nouvelle gauche qui a pignon sur rue dans les universités. La théorie est simple, au modèle républicain et universaliste doit se substituer une société où toutes les minorités doivent être émancipées et fières d’elles. Les opposants à ce nouvel ordre doivent être combattus, intimidés et bâillonnés. Bien sûr, dans les facultés, l’inquisition n’est pas à l’ordre du jour. « Les chercheurs peuvent continuer à travailler », explique Stéphanie Roza qui reconnaît toutefois que « la gauche essentialiste, indigéniste est à la mode, a pignon sur rue et peut influencer certains intellectuels et responsables politiques ».

Soumission ?

Alors qu’une grande majorité des Français, musulmans compris, est favorable à la liberté d’expression et au droit au blasphème, la gauche se couche devant une minorité structurée et organisée. Une trahison en bonne et due forme qui risque probablement de ne pas rapporter grand-chose dans les urnes. En épousant une partie de ces idéaux à la mode, Hillary Clinton, Benoît Hamon, le SPD allemand ou Jeremy Corbyn ont tous connu des échecs retentissants.

Avec cette attitude irrationnelle, la gauche française fait preuve de faiblesse et se transforme en idiot utile de l’islamisme politique qui avance progressivement ses pions. Et marque des points. Car posons-nous une simple question : après le calvaire de Mila, un lycéen osera-t-il à nouveau critiquer l’islam sur les réseaux sociaux ? Il est probable que non. Et la gauche française y est pour beaucoup…

Lucas Jakubowicz

Propos tenus par Mila, lycéenne, sur son compte Instagram le 18 janvier 2020

« Je déteste la religion, (…) le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde. (…) J’ai dit ce que j’en pensais, vous n’allez pas me le faire regretter. Il y a encore des gens qui vont s’exciter, j’en ai clairement rien à foutre, je dis ce que je veux, ce que je pense. Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. »