En déclarant sa candidature à la Mairie de Paris et en légitimant les dissidences au sein de la majorité, Cédric Villani a ouvert la boîte de Pandore. Mais le candidat n’en a cure. Celui qui se considère comme un marcheur historique compte bien succéder à Anne Hidalgo. Avec un style qui lui est propre.

Exit les cheveux longs et la lavallière. Le 4 septembre, c’est un Cédric Villani au style plus consensuel qui prend la parole au café Gaîté dans le XIVe arrondissement de Paris. À ses côtés, une foule de curieux et de journalistes se presse. Tous sont venus écouter son discours. Le député de l’Essonne osera-t-il vraiment franchir le Rubicon ? Sera-t-il candidat à la mairie de Paris alors que son parti, LREM, a officiellement désigné ­Benjamin Griveaux ? Oui. La phrase est simple et directe : "Je vous annonce que j’ai décidé d’être candidat à la prochaine élection du maire de Paris."

"Aucune improvisation"

Dès le lendemain, le candidat adoubé par Emmanuel Macron en personne, Benjamin Griveaux, dénonce une "candidature improvisée". Après tout, selon ses opposants, la présence du mathématicien à ce scrutin ne serait due qu’à une volonté de se venger du candidat officiel qui aurait tenu à son égard des propos méprisants.

Mais selon l’équipe de campagne de Cédric Villani, la réalité est toute autre. Pour Rayan Nezzar, jeune énarque, macroniste des premiers jours et conseiller du député de ­l’Essonne, "son entrée en campagne n’est pas une décision prise sur une impulsion mais un cheminement progressif. Il a énormément consulté : parisiens, députés, élus, intellectuels". Selon ce proche, "son esprit rationnel lui a fait comprendre, qu’il était objectivement très bien placé pour conquérir l’Hôtel de ville. Il n’a donc pas hésité et s’est organisé".

Pour développer sa stratégie de démocratie participative, Cédric Villani peut compter sur le soutien de la députée LREM Paula Forteza

Une équipe de campagne étoffée est déjà à pied d’œuvre. Le lauréat de la médaille Fields peut ainsi compter sur un mouvement de jeunes, mais aussi sur l’implication de deux figures du Palais Bourbon : Paula Forteza, députée des Français d’Amérique du Sud, est en charge de la démocratie locale. Un sujet qu’elle connaît parfaitement puisqu’elle est, depuis son élection, spécialiste des politiques publiques liées au numérique. Cédric Villani peut également se reposer sur ­Matthieu ­Orphelin, ancien membre d’Europe Écologie Les Verts, élu député LREM du Maine-et-Loire en 2017 avant de quitter le groupe majoritaire. Un vrai atout pour celui qui compte devenir "le premier maire écologiste de Paris". Surtout, il peut se reposer sur un style qui lui est propre.

La méthode Villani

"Chose rare pour un candidat, Cédric Villani dégage énormément de bienveillance et de sympathie naturelle", observe Rayan Nezzar qui remarque que "lorsqu’il se montre en public, les gens viennent vers lui, lui parlent, l’encouragent, ce qui est assez rare à l’égard d’un candidat". Cette carte sympathie, le candidat compte la jouer à fond en labourant le terrain via une technique de marathonien qui passe notamment par "des déambulations de 12 heures dans la ville, de 5 heures du matin à 5 heures du soir, pour occuper le terrain sans discontinuer", s’enthousiasme son proche collaborateur.

Si cela peut permettre de remporter une campagne, encore faut-il être en capacité de gouverner. Certains pointent le manque d’expérience du candidat. Un argument qui n’est pas recevable pour Rayan Nezzar. Ce haut fonctionnaire de Bercy, qui a travaillé avec le député Villani, notamment dans le cadre du rapport sur l’intelligence artificielle est dithyrambique : "Je l’ai vu à l’œuvre, sur des sujets pointus, il retient tout, pose les bonnes questions et challenge les administrations, ce qui me semble indispensable à Paris", estime-t-il. Ce converti à la méthode ­Villani qui admire également sa capacité de concertation avec "tout le monde sans aucun a priori pour donner naissance à des prises de décision concrètes".

Demandez le programme

Dialogue, proximité, apprentissage rapide… Si la méthode semble rodée, le programme est pour le moment en cours de construction. Même si de grandes lignes directrices semblent apparaître. Dans son discours de candidature, Cédric Villani a appelé de ses vœux à l’édification d’une "métropole internationale de référence d’un développement humain et durable", ce qui nécessite une rupture avec la politique actuelle laquelle aurait, selon lui, conduit à un "Paris muséifié qui perd sa vitalité". Un "Paris sale, désorganisé, pollué, confus dont se plaignent les visiteurs".

Si les grands axes sont posés, ils ne se distinguent, pour le moment, pas vraiment de ceux de Benjamin Griveaux. Mais, selon ses soutiens, Cédric ­Villani aurait ce "supplément d’âme" susceptible d’enthousiasmer les Parisiens, qu’ils soient issus de la droite de l’Ouest parisien ou bobos des quartiers est. Un supplément d’âme qui pourrait le mener au succès… et donner bien des maux de tête à son équipe de campagne, notamment Rayan Nezzar qui l’aide dans la rédaction de ses discours : "C’est un challenge d’écrire pour lui, reconnaît-il. Il n’aime pas les codes, utilise un langage imagé et flamboyant, mais je pense que ce style sera un marqueur fort et distinctif de sa campagne."

Effet papillon

Officiellement, Cédric Villani et son équipe ne se considèrent pas comme des dissidents. Au contraire, "nous incarnons plutôt le retour aux sources du macronisme", estime Rayan Nezzar qui met en avant "le dialogue, la société civile, l’écoute, l’optimisme, bref tout ce qui nous a fait gagner en 2017".

"Nous incarnons le retour aux sources du macronisme"

Le discours est si bien policé, et le député est tellement populaire chez les Marcheurs que pour le moment, aucune mesure disciplinaire n’est envisagée. Le délégué général de LREM, ­Stanislas Guerini a déclaré rester son "ami, même s’il s’est mis en marge". Son rival Benjamin Griveaux s’est refusé à toute sanction, en précisant toutefois : "Il n’y a qu’un seul candidat En Marche, celui qui a été désigné et, surtout, respecte les règles." On a connu mouvement politique plus virulent à l’égard des frondeurs…

Hélas pour le parti au pouvoir, cette attitude conciliante peut donner des idées à d’autres candidats déboutés qui peuvent légitimement se dire : "Si Cédric Villani se lance et n’est pas sanctionné, pourquoi pas moi ?" Résultat, le vent de la dissidence souffle sur la Macronie. Exemples parmi d’autres, à Montpellier, le député LREM Patrick Vignal souhaite se présenter alors que le maire sortant Philippe Saurel est soutenu par le parti. À Lille, la Commission nationale d’investiture a désigné Violette Spillebout au détriment de la députée Valérie Petit qui pourrait partir elle aussi à l’abordage de l’hôtel de ville tenu par Martine Aubry. Enfin, à Lyon, fief LREM, un combat sans merci s’annonce entre Gérard Collomb et son bouillant dauphin David Kimefeld.

Mais Cédric Villani n’en a cure. Pour forcer le destin, il compte sur « l’état d’esprit parisien ». Les électeurs de la capitale préfèrent bien souvent l’outsider au favori. Ainsi, en 1977, Jacques Chirac conquiert la ville à la surprise générale, alors que le favori, Michel d’Ornano, bénéficiait pourtant du soutien de ­l’Élysée. En 2001, pour la première fois, c’est un quasi inconnu, Bertrand Delanoë, qui fait basculer la capitale à gauche pour la première fois de son histoire. Si pour Henri IV, Paris vaut bien une messe, pour Cédric Villani, la commune la plus peuplée de l’Hexagone vaut bien une fronde.

Lucas Jakubowicz