De moins en moins nombreux, historiquement à droite, convertis au macronisme mais allergiques à Marine Le Pen. Voici ce qu’il faut savoir sur le positionnement politique des catholiques de France.

5 mars 2017, une autre époque. Contesté par une partie de son état-major, au plus bas dans les sondages, François Fillon contre-attaque. Pour sauver sa candidature, le candidat de la droite prononce le fameux "discours du Trocadéro". À cette occasion, l’ancien Premier ministre, qui n’a jamais caché sa foi, rend un vibrant à la "France des cathédrales". Son objectif est simple : s’assurer une large partie du vote des catholiques pratiquants.

Certes, cet électorat est en déclin. Selon Claude Dargent, professeur de sociologie à Paris VIII et spécialiste du vote religieux, "Seuls 7% des Français se déclarent catholiques pratiquants réguliers contre 17% en 1981". Pourtant, cette minorité vieillissante représente une cible de choix : il s’agit de la frange de la population la moins abstentionniste. Avec son positionnement défendu tout au long de la primaire, puis de la campagne présidentielle, le candidat LR espérait également séduire les électeurs se définissant comme catholiques, qu’ils se rendent régulièrement à la messe ou non. Selon, La France des valeurs, ouvrage de référence sur le rapport des Français à la religion, ces derniers sont passés de 70% à 32% de la population entre 1981 et 2018. Malgré leur forte diminution, il s’agit pour LR d’une force incontournable pour accéder aux deux premières places.

Un vote de droite

Si cette stratégie n’a pas permis à la droite de se hisser au second tour de la dernière élection présidentielle, elle a toutefois porté ses fruits dans l’électorat catholique. Le vainqueur de la primaire récolte 19,91% des voix dans l’ensemble de la population. Mais 55% des pratiquants réguliers, également désignés sous le terme de messalisants, ont déposé un bulletin Fillon dans l’urne. Chez les pratiquants occasionnels, la proportion est de 46% alors qu’elle atteint 28% chez les catholiques non pratiquants.

Si cette performance est à saluer, elle s’inscrit dans la continuité de l’histoire électorale : "Les catholiques ont toujours été surreprésentés parmi les électeurs de la droite modérée", analyse Claude Dargent. Un héritage qui peut être lié à l’habitude de la droite de défendre les intérêts des catholiques : opposition à la loi de 1905, manifestation contre la loi Devaquet en 1986, défense du concordat en Alsace-Moselle… Ce qui explique pourquoi, en 2007 et en 2012, Nicolas Sarkozy avait, lui aussi, terminé largement en tête chez les catholiques pratiquants avec 45% et 47% de leurs voix.

55% des catholiques pratiquants ont voté pour François Fillon en 2017

Au même titre que les retraités et les hauts revenus, les catholiques pratiquants constituent donc le socle de la droite parlementaire. Mais l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron a progressivement changé la donne, accentuant la crise existentielle qui secoue LR depuis 2017.

Quand les pratiquants se mettent en marche

Pourtant, l’histoire entre les catholiques de France et l’ancien ministre de l’Économie n’a pas commencé sous les meilleurs auspices : "Lors de la présidentielle, ils étaient plutôt dubitatifs face à un candidat jugé trop proche de François Hollande et du PS", fait remarquer Claude Dargent. Pour preuve, cette catégorie de la population n’a été que 19% à lui accorder sa confiance, soit cinq points de moins que sa moyenne nationale.

Peu à peu, la situation évolue. La politique identitaire et le projet européen flou du parti, alors dirigé par Laurent Wauquiez, désoriente une forte proportion des catholiques de droite. Selon le spécialiste du vote religieux, le choix du très croyant et conservateur François-Xavier Bellamy pour mener le parti aux européennes n’est pas le plus pertinent : "Il incarne la droite pro Manif pour tous, un courant qui n’est pas majoritaire, tout comme les intégristes et les identitaires." Ce qui a laissé un espace politique dans lequel LREM s’est engouffré.

"Emmanuel Macron incarne la droite orléaniste dans laquelle se reconnaît une large partie des catholiques"

"Alors que la droite se radicalisait, Emmanuel Macron s’est positionné sur un créneau orléaniste dans laquelle se reconnaît la majorité des pratiquants", développe l’universitaire qui estime que le président de la République a envoyé des signaux forts : "Combat contre les extrémistes, compassion et volontarisme lors de l’incendie de Notre-Dame, mais aussi attachement très fort à la construction européenne."

De quoi permettre à la liste Renaissance de Nathalie Loiseau de réaliser une performance remarquable chez les catholiques : 37%. LR arrive loin derrière avec 22%. Reste à savoir si cet électorat basculera pour longtemps vers un parti autre que celui la droite républicaine traditionnelle. A cet égard, les régionales de juin 2021 feront office de test. Au vu des premiers sondages, il semble c'est dans le Grand Ouest, terres les plus catholiques de France, que LREM a le vent en poupe...

Les "cathos de gauche", une minorité active

S’il est difficile de prédire l’avenir, une chose semble certaine : la gauche est peu susceptible de rassembler la majorité des catholiques pratiquants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, puisque lors de la présidentielle de 2017, seuls 2% d’entre eux ont opté pour Benoît Hamon tandis que 12% se sont reportés sur Jean-Luc Mélenchon.

Si la gauche est culturellement minoritaire, il existe depuis des décennies des journaux ou des associations qui mènent une réflexion mélangeant socialisme et pensée chrétienne. Ces dernières sont notamment très implantées en Bretagne, terre traditionnelle du catholicisme de gauche. "Nous sommes en bonne santé idéologique, continuons plus que jamais à nous engager et à réfléchir", témoigne Lola Mehl, ancienne présidente de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), qui estime que le "catholicisme français est traversé par de nombreux courants, dont une gauche socialiste". Celle-ci est d’ailleurs encore présente dans le débat public : "Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle ou Pierre Dharréville, député PCF des Bouches-du-Rhône, sont d’anciens jocistes et portent nos idées à l’Assemblée nationale". Parmi elles : la lutte contre les inégalités et l’extrême droite. Un combat d’actualité.

Rejet des extrêmes

Car le RN lorgne aussi avec insistance du côté des catholiques qui peuvent constituer un réservoir de voix susceptible de dépasser le "plafond de verre" qui empêche, pour le moment, l’extrême droite d’accéder au pouvoir.

Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen mentionne fréquemment "l’héritage chrétien" de la France qui s’opposerait bien évidemment à l’islam. Sans grand résultat pour le moment. Si la candidate populiste a recueilli 17,9% et 21,3% des suffrages aux premiers tours de 2012 et 2017, elle stagne chez les catholiques pratiquants où elle ne dépasse pas les 15%. C’est d’ailleurs dans les départements de l’Ouest et dans les zones urbaines, dans lesquelles les catholiques sont les plus nombreux qu’elle réalise ses plus mauvais scores.

Ce qui n’a rien d’un hasard pour Claude Dargent :"L’électorat catholique accorde une grande importance à la construction européenne, à l’aide aux plus démunis tels que les migrants". Des attentes aux antipodes du programme RN que Lola Mehl, considère comme "totalement opposé à l’Évangile". Selon la militante associative, les catholiques sont également choqués par l’hostilité que Marine Le Pen nourrit à l’égard du pape François et du clergé catholique.

En se déclarant, lors d’une interview accordée à La Croix en 2017, "fâchée avec l’Église" accusée de se mêler tout, "sauf de ce qui la concerne" l’actuelle députée du Pas-de-Calais a choqué ceux à qui elle s’efforce de faire les yeux doux. D’autant plus qu’elle en a profité pour qualifier la défense des migrants par le souverain pontife "d’ingérence". Des propos suicidaires électoralement parlant pour Lola Mehl qui estime que les catholiques sont "par nature investis dans la chose publique et que leur parole ne doit pas être bridée". Emmanuel Macron a bien compris la leçon. S’exprimant devant la conférence des évêques de France en avril 2018 (une première pour un président de la République), il a pris le contre-pied de sa meilleure ennemie en invitant les catholiques à "s’investir dans la vie de la cité". Message gagnant électoralement. Pour le moment.

Lucas Jakubowicz