L’Union européenne est déjà active en matière militaire. Et le contexte international lui permet d’aller de plus en plus loin. Même si la construction d’une véritable « armée européenne » relève pour le moment de l’utopie.

168. C’est le nombre d’attaques de pirates dans le golfe d’Aden en 2008. Un chiffre tombé à seulement trois en 2014 grâce à l’opération Atalante qui a récemment été prolongée jusqu’en mars 2019. Derrière cette vaste mission de sécurisation des routes maritimes se trouve l’Union européenne.

« Contrairement à certaines idées reçues, l’Union européenne est déjà présente sur le terrain de la défense. Outre l’opération Atalante, une trentaine d’opérations ont été menées, notamment en Afrique », explique Delphine Deschaux-Dutard, spécialiste de l’Europe de la défense et chercheuse au Centre for International Security and European Studies (CESICE) pour qui « l’Europe est armée politiquement et militairement ».

Traumatisée par le rejet de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, l’idée d’une stratégie militaire commune est longtemps restée lettre morte. Jusqu’à la fin du XXe siècle : « Lors des guerres des Balkans, les Européens sont restés paralysés alors que le conflit était à notre porte. Ce sont les États-Unis qui sont intervenus dans le cadre de l’Otan pour débloquer la situation », analyse la chercheuse pour qui cet évènement a servi de déclencheur. En 2002, le traité de Nice a donné naissance à une politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Depuis 2009, il existe même un poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Un portefeuille actuellement détenu par l’Italienne Federica Mogherini.

Merci Donald et Vladimir !

L’Europe de la défense est donc plus mature qu’on ne le pense au premier abord. Et elle devrait encore se renforcer dans les années à venir. Les visées expansionnistes de Vladimir Poutine et la politique étrangère de Donald Trump ont incité l’Europe à se réarmer. Dès son élection à la présidence des États-Unis, le successeur de Barack Obama a été clair : son pays n’a pas l’intention de payer ad vitam aeternam pour protéger le Vieux Continent. Derrière la rhétorique du président américain, l’idée est simple : inciter les Européens à contribuer davantage à l’Otan.

Mais ces derniers semblent avoir une autre idée en tête : développer une véritable stratégie de défense à l’échelle européenne. Et c’est Emmanuel Macron qui a revêtu le costume de général en chef. Le 26 septembre 2017, dans un discours prononcé à la Sorbonne, le président de la République a annoncé la couleur en évoquant : « un budget de la défense européen, une force commune d’intervention européenne et une doctrine commune à l’horizon 2020 ». En novembre 2018, il est allé encore plus loin en introduisant la notion d’armée européenne. Plus audacieux encore, il nomme des ennemis en appelant les membres de l’Union à se « protéger à l’égard de la Chine, de la Russie et même des États-Unis d’Amérique ». Si Donald Trump a qualifié ses propos d’insultants, Emmanuel Macron a trouvé une oreille attentive outre-Rhin. Ursula von der Leyen, ministre de la Défense depuis 2013, a approuvé les propos en arguant qu’il était « important, particulièrement après l’élection de Donald Trump, que nous puissions nous organiser indépendamment en tant qu’Européens. Nous voyons que personne ne va résoudre à notre place les problèmes de sécurité que l’Europe a dans son voisinage. Nous devons le faire nous-mêmes. »

De la parole aux actes

Les discours n’ont pas tardé à se transformer en actes. « Tant mieux car il y a une superbe fenêtre d’opportunité. Sur la défense, Macron et Merkel dont les pays représentent plus de 40% du budget militaire de l’UE sont sur la même longueur d’onde. Il faut en profiter car, avec la montée du populisme, on ne sait pas de quoi demain sera fait », estime Delphine Deschaux-Dutard qui se réjouit d’une avancée majeure.

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Le 11 décembre 2017, le Conseil a adopté une décision établissant la Coopération structurée permanente (CSP) à laquelle participe vingt-cinq pays. Elle dote les États membres d’un budget précis et d’un calendrier contraignant pour mettre en place dix-sept projets qui vont de la construction d’un hôpital militaire à des actions communes en matière d’IA ou de cybersécurité. Pour Federica Mogherini, il s’agit d’un « moment historique » qui « va permettre de développer davantage nos capacités militaires pour renforcer notre autonomie stratégique ».

Encore beaucoup de chemin

Si les progrès sont tangibles, la route est longue avant de disposer d’une armée européenne autonome et totalement indépendante. « Une armée commune suppose une doctrine commune », explique Delphine Deschaux-Dutard. « Or chaque pays possède des priorités différentes. Pour l’Europe c’est le Sahel, pour l’Allemagne c’est l’Europe de l’Est. Chaque armée nationale a son livre blanc et souvent, ils n’ont rien en commun », poursuit la spécialiste.

Au-delà de la stratégie commune, la question de l’armement est pour le moment une faiblesse. Certes, la plupart des États membres se sont engagés à revoir à la hausse le budget consacré à leurs forces armées. Mai,s comme l’a déclaré Emmanuel Macron sur CNN en novembre, « Si nous augmentons notre budget, c’est pour bâtir notre autonomie. Je ne veux pas voir les pays européens augmenter leur budget de la défense pour acheter des armes américaines ». Ce qui est encore le cas pour le moment. Le plan de modernisation de l’armée polonaise est basé sur du matériel américain. Et il y a quelques mois, l’armée de l’air belge a préféré s’équiper de F-35, que d’Eurofighter. Actuellement, un peu moins de la moitié des chars en service dans l’UE sont de conception européenne, 20 % pour l’artillerie.

« La mise en place d’un appareil militaro-industriel commun est le principal défi à relever pour l’UE », pointe Delphine Deschaux-Dutard qui évoque « les 60 modèles de véhicules de transports de troupes dans les armées européennes contre 20 aux États-Unis ou encore l’hélicoptère NH90 conçu collectivement pour aboutir à 23 versions différentes ». Il y a beaucoup d’économies d’échelle pour permettre aux troupes du Vieux Continent de disposer d’une véritable unité opérationnelle.

Cependant, les choses avancent peu à peu. Ainsi, le 6 février la France et l’Allemagne ont officiellement lancé le partenariat « Système de combat aérien du futur » (Scaf) devant donner lieu à un avion de combat qui sera utilisé par les deux armées de l’air à l’horizon 2040. « Un élément fondamental pour assurer l’autonomie stratégique européenne de demain », espère Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation.

Lucas Jakubowicz (lucas_jaku)