Entretien avec Jean-Pierre Raffarin, sénateur de la Vienne et ancien Premier ministre.

Entretien avec Jean-Pierre Raffarin, sénateur de la Vienne et ancien Premier ministre.

Décideurs. Les gouvernances fondées sur le pouvoir sont désormais dépassées. S’affirment aujourd’hui les gouvernances fondées sur le leadership. Comment voyez-vous l’affrontement de ces deux modèles ?
Jean-Pierre Raffarin. Les gouvernances fondées sur le leadership se sont très nettement imposées et vont continuer à le faire. À cet égard, l’exemple de l’Europe est très clair. Encore récemment, elle n’était pas incarnée par un président. Son leadership n’était donc pas visible. Or, pour que le leadership porte, il faut qu’il soit incarné par quelqu’un qui a du charisme et qui communique le projet.
Aujourd’hui, le leadership n’est pas une réduction en termes de gouvernance mais un progrès. Le leader est celui qui synthétise la complexité en s’appuyant sur ses équipes. Une gouvernance fondée sur le leadership répond à la problématique du monde actuel qui est à la fois le challenge de la vitesse et celui de la complexité.

Certes, le leadership fondé sur une personnalité peut avoir des fragilités, telles que la surexposition, l’excès de personnalisation ou encore la solitude du pouvoir.
C’est pour ces raisons qu’il faut aller vers un leadership tempéré : celui d’un leader qui met en valeur ses équipes. Il s’entoure de personnalités qui accompagnent, qui équilibrent, qui tempèrent son action. Par exemple, l’entrée d’Alain Juppé dans l’équipe du chef de l’État produit selon moi un meilleur équilibre, tout comme la contribution de François Fillon ou de Jean-François Copé aux côtés du Président.
Le leader doit avoir un projet lisible et ne doit pas être jugé de façon superficielle. Quand on juge un leader sur une attitude, une phrase ou un comportement, on le caricature. Il doit être jugé sur l’adéquation entre son programme et son action. Le leader doit beaucoup travailler à la lisibilité de son action et de son projet. Le leader n’est pas un saint mais sa sagesse est d’affirmer la cohérence de sa pensée et de son action.

Décideurs. Quels sont les bons ingrédients d’une bonne gouvernance ? Et quels sont les pièges qui conduisent à une mauvaise gouvernance ?
J.-P. R. Il y a trois ingrédients fondamentaux : l’éthique, la cohérence et le management.
L’éthique et la cohérence sont fondamentales et impliquent de respecter le programme, le projet, les actions, les attitudes. Il faut limiter les écarts entre le programme sur lequel un politique a été élu et les actions et décisons qu’il impulse une fois au pouvoir. À titre d’exemple, on ne peut pas être pour une politique de la famille et parallèlement contre des réglementations fiscales et sociales qu’elle soutient.
Le troisième ingrédient fondamental est le management. Il faut mettre en place des processus combinant l’autorité et la décentralisation.
Certains trouveront surprenant que j’évoque l’autorité d’un côté et la décentralisation de l’autre. Mais il faut cet équilibre, ce yin et ce yang, entre autorité et décentralisation.

Dans le système politique de la Ve République, le Président doit à la fois faire autorité, mais aussi décentraliser le pouvoir en s’appuyant sur son Premier ministre et sur ses ministres. L’invention du Premier ministre par Charles de Gaulle sert à protéger le Président, qui doit incarner l’essentiel. Le Premier ministre s’occupe de régler les autres problématiques qui relèvent de la direction du gouvernement. Il est contre-productif pour Nicolas Sarkozy de s’exposer trop fortement. Pour un meilleur équilibre, il convient d’appliquer des principes de management et de décentralisation, sous peine de congestion au sommet.

Décideurs. La réforme constitutionnelle du quinquennat de Nicolas Sarkozy a-t-elle amélioré la gouvernance de la Ve République ?
J.-P. R. Cette réforme constitutionnelle a apporté un bon rééquilibrage du rôle du Parlement. Elle n’a malheureusement pas résolu le problème de la pratique des institutions, s’agissant du rôle exact du Premier ministre. Je ne suis pas sûr que le Premier ministre doive n’être que le premier des ministres.
Je pense que notre peuple a le sang chaud. Notre culture, notre histoire sontà la fois monarchiste et régicide. C’est pour cette raison que le Premier ministre doit protéger le Président. La pratique déséquilibrée des institutions (Président/Premier ministre) fragilise l’ensemble du système.

Copyright photo : Tous droits réservés par stephane_michaux

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