« La traparence absolue, c'est le totalitarisme ». Invité à s’exprimer sur les dérapages verbaux de certai membres du gouvernement, Henri Guaino, le coeiller de l’Elysée, a remis en question le sacro-saint principe de traparence en communication politique. L’occasion de revenir sur les lie tendus qu’entretiennent journalistes et politiques et sur la décrépitude du message tramis.

« La transparence absolue, c'est le totalitarisme ». Invité à s’exprimer sur les dérapages verbaux de certains membres du gouvernement, Henri Guaino, le conseiller de l’Elysée, a remis en question le sacro-saint principe de transparence en communication politique. L’occasion de revenir sur les liens tendus qu’entretiennent journalistes et politiques et sur la décrépitude du message transmis.

Le soleil brille, la chaleur des derniers jours d’été rend l’atmosphère du week-end conviviale. Un peu trop sans doute. Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, a abandonné cravate et blazer pour un pull jeté sur les épaules. Ambiance gentleman farmer à l’Université d’été de l’UMP à Seignosse dans les Landes. A ses côtés, Jean François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée, discute avec des jeunes. On prend en photo les deux hommes en compagnie d’Amine Benalia-Brouch, un jeune militant d’origine maghrébine. « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. » Quelques heures plus tard, la vidéo fait le tour d’Internet et le scandale éclate : Brice Hortefeux est déclaré raciste ! La scène choque, autant qu’elle suscite des questions sur le rapport des médias aux politiques. Et réciproquement. Doit-on tout filmer et tout diffuser ? Pas certain que le débat politique en sorte grandi.
 
Une transparence en trompe l’œil

La transparence dans la communication politique est un leurre. La question n’est plus de savoir si les médias révèlent tout, c'est-à-dire trop. Il est trop tard, Internet a démultiplié de façon inouïe le nombre de lecteurs, auditeurs et spectateurs. Désormais, il s’agit de dompter ces nouvelles technologies, de les apprivoiser et d’utiliser ces tuyaux de communication pour servir le politique. Pour l’instant « nous n'avons pas appris collectivement à nous servir de la meilleure façon des nouvelles technologies de communication », estime Henri Guaino, la cellule grise du Château. Le Web ne laisse plus de place à l’hésitation, à la part de doute du politique, à ses interrogations. Très vite, il est ridiculisé, comme ces vidéos gags où les gens chutent. Celui qui murmure à l’oreille du Président ajoute qu’ « Internet ne peut être la seule zone de non-droit, de non-morale de la société, la seule zone où aucune des valeurs habituelles qui permettent de vivre ensemble ne soient acceptées. »
A croire les politiques, il serait plus aisé de demander aux caméras de suivre leurs interventions que l’inverse. Eric Besson, lors du démantèlement de la jungle de Calais au mois de septembre, a argué n’avoir pu éviter la centaine de journalistes, assistés des régies installées pour l’occasion. Le même Eric Besson qui pointait un doigt d’honneur à un journaliste – qu’il connaissait très bien !

Tutoiement

Tout le monde n’est pas Karl Zéro qui tutoie, comme on s’adresse à son ami ou à son maraîcher, ou Thierry Ardisson, qui fait tourner les mêmes questions trash d’une actrice de X à un ancien ministre. A l’opposé, les journalistes ne devraient pas tous être apostrophés par le président de la République. A plus de 80 ans, Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur, garde encore un goût amer des marques de familiarité de Nicolas Sarkozy.
Persuadés de leur superbe, les politiques manient le tutoiement. Pas en direct, mais avant que la lumière rouge de l’enregistrement ne s’allume et après, autour des petits fours. La Toile regorge de scènes coupées où Nicolas Sarkozy, Rachida Dati et leurs homologues à gauche devisent en toute intimité, micros coupés, sur le monde, la mode et les dernières rumeurs germanopratines.

 « Cet insupportable tutoiement, devenu signe de ralliement d’une caste, assurance tous risques et gage de compréhension mutuelle », vilipende Daniel Carton, journaliste politique au Monde puis au Nouvel Observateur, et auteur de Bien entendu c'est off, Ce que les journalistes politiques ne racontent jamais (Albin Michel, 2003). Plus nuancé, le journaliste de la RTBF Istvan Felkaï, interrogé par Médias (septembre 2009), explique que ce n’est pas le tutoiement en soi qui choque, mais ce qu’il cache, à savoir la mise en place actuelle par Nicolas Sarkozy d’une sorte de « Bonapartisme républicain avec la presse ». Les transfuges de Catherine Pégard du Point passée à l’Elysée, Myriam Lévy du Figaro à Matignon et Murielle Gremillet de Libération au cabinet d’Arnaud Montebourg, n’émeuvent plus.
Devant les caméras, sur le papier ou sur les ondes, le vouvoiement a toujours été de mise. Politiques et vedettes des médias ont beau partager des emplois du temps, des lieux de villégiature et des dîners en ville, ils oublient de maintenir la distance qui s’impose. Un tel mimétisme risque fort de fausser leur mission : raconter le présent.
Journaliste au Monde, Philippe Ridet est l’auteur de Le Président et moi (Albin Michel, 2008). Pour lui, la carte de presse, paravent avancé par la profession, n’engage qu’à une « neutralité ombragée ». « En tutoyant d’emblée, les hommes politiques imaginent créer une complicité qui les préservera de la critique. Ils croient faire entrer [les journalistes] dans le cercle magique de la connivence. » L’exercice d’équilibriste est périlleux. Il s’agit de nourrir une relation de confiance avec le décideur dans un souci constant d’information. Le scoop, critère de notation suprême du journaliste moderne, est à ce prix. D’ailleurs, ironise Philippe Ridet, « Pourquoi chercher à les détromper ? Le journalisme est aussi une science du camouflage ».

C’est du off bien sûr !

Habitué des voyages présidentiels et des déplacements politiques, Daniel Carton, raconte comment à table avec un proche collaborateur de Michel Rocard celui-ci avait tenté de négocier directement avec Jacques Chirac une place de ministre des Affaires étrangères. Ou comment dans les congrès du RPR ou de l’UDF où il apprenait que François Léotard se préparait à torpiller la candidature présidentielle de Raymond Barre qu’il soutenait pourtant en public. Ou bien encore, comment à bord de l’avion de Claude Allègre, alors ministre de l’Education, il lui expliquait pourquoi Jack Lang ne pourrait jamais être nommé ministre. A chaque fois le journaliste essaie de faire son métier. Il rédige un papier, sous l’étonnement de ses confrères qui se demandent s’il va retranscrire texto tout cela. Ce qui mériterait d’être dévoilé aux lecteurs est bien sûr « off the record ».
Depuis, les médias français ont fini par faire du « off » un usage de plus en plus large, jusqu’à en pervertir l’idée même. S’engouffrant dans cette brèche, les politiques ont entretenu la confusion des messages, jusqu’à cadrer eux-mêmes la retranscription de leur communication. « Je ne veux pas que vous parliez de Cécilia ; sur moi vous pouvez écrire ce que vous voulez. » La phrase du Président à Raphaëlle Bacqué, co-signataire, avec Ariane Chemin de l’article « Les dessous des vacances de Nicolas Sarkozy », retranscrite le 18 août 2007 par Le Monde, laisse songeur. Surtout quand on connaît les rapports amicaux qu’entretient le Président avec certains patrons de groupe de presse qui adhèrent à sa politique.

Ami-ami

A l’opposé de ce tutoiement, il y a ceux qui critiquent la business connection des politiques et leur tendance « ami-ami ». Le sociologue Cyril Lemieux explique dans son ouvrage Mauvaise presse (Métaillé, février 2000) que, non seulement le vouvoiement permet de citer ses sources avec le plus de précision possible, mais qu’il assure « la conservation de l’initiative, soit la possibilité de choisir soi-même les circonstances de publication », ainsi que le recoupement de l’information. Enfin, il permet de rechercher avec plus d’aisance les preuves permettant d’établir la véracité des données et d’effectuer la séparation entre les faits et les commentaires.

Du vent

En avril 2007, la presse française et étrangère diffusait une photographie de Nicolas Sarkozy, à cheval, rênes et téléphone portable dans les mains. Face lui, l’immensité marécageuse de la Camargue… et un tracteur rempli à craquer d’une cléricature de journalistes et preneurs de son. La disproportion ridicule n’a pas manqué de faire couler beaucoup d’encre. La fascination du pouvoir et le système de « la société de cour » que décrivait le sociologue Norbert Elias opèrent toujours. L’apparente mascarade, si elle a lieu ailleurs pour la quasi-totalité des autres présidents de grandes puissances, pose néanmoins la question de savoir si les journalistes doivent assister le politique n’importe quand et en tout lieu. Les médias se retrouvent face au dilemme : peut-on être suiviste et néanmoins critique ? C’est l’immuable question de l’objectivité.
Paradoxalement, la frontière entre la recherche de cette objectivité – l’apathie pour les journalistes qui ont d’avantage de temps – et celle du scoop est très fine. A l’échelle du temps, l’information ne peut plus se permettre d’attendre pour être dévoilée.
A force de courir après elle, les journalistes prennent des raccourcis et dérapent. Le politique accuse alors la « meute ». Facile. François Mitterrand, de sa posture altière, avait dénoncé à la mort de son lieutenant Bérégovoy et l’acharnement de certains suiveurs (Le Canard Enchainé). « Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie, au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République », avait tancé le Florentin. 
Plus récemment, avec Nicolas Sarkozy, omniprésent et omniprésident, les journalistes s’épuisent. Ils peinent à courir derrière lui, si bien qu’au fond, ce qui fait autorité en matière d’information parait de plus en plus se rapprocher de ce qui fait spectacle. On assiste à une communication du mouvement. Rien que le mouvement perpétuel comme objectif ultime à suivre. L’écume des jours.

Le politique l’a bien compris et tente d’entraîner le journaliste dans son sillage aveuglant. Le sociologue et directeur de l'institut Médiascopie et de l'Observatoire du débat public, Denis Muzet, analyse cet écueil dans La croyance et la conviction : Les nouvelles armes du politique (L'Aube, 2007). Son étude décrit des spectateurs du débat politique à la télévision perdant très rapidement le souvenir du discours politique. Face à un contenu du propos électoral de moins en moins assimilé, le politique communique non plus par le texte, mais par l'image. De la phrase, il est passé au mot symbole avant dorénavant d’adopter le seul geste fort. C’est la fin du « discours hypothético-déductif, argumentatif classique, façon Lionel Jospin », commente l’auteur. La base de la « posture de parole » fait appel à la foi et aux représentations, plutôt qu'à la conviction argumentative. Ne rien dire, mais le dire.

La non-information

Lors de la campagne présidentielle de 2007, Jean-Jacques Bourdin (RMC/BFM) interroge les candidats sur le nombre de sous-marins nucléaires que possède la France. Malheureusement, les politiques s’emmêlent les pinceaux et ne savent pas. Le journaliste tient un scoop, mais pas une information. Ce dernier n’apporte rien aux problématiques du votant. A l’époque, la hiérarchie des inquiétudes des Français reste dominée par l'emploi et à un degré moindre par la hausse des prix. Ces thématiques devancent largement l'insécurité et l'immigration.
S’ensuit une course folle à l’instant volé, à l’information qui fera étincelle. En février 2007, c’est au tour de Noël Mamère de se faire épingler par la caméra – cachée – alors qu’il arrive en studio en voiture. Problème : il se targue de ne se déplacer qu’à vélo.  Furieux d’avoir été démasqué, il s’emporte alors : « ces gens là se sont comportés comme des petits voyous, par des procédés de petits salopards, car avec le Net, ça prend des proportions insupportables. » (A Pascale Clark, dans En Aparté)
Le développement de la diffusion de non-information prend dorénavant une place inouïe. Elle zappe le fond et ramène là encore le débat sur l’évènement et l’éphémère. Les blogueurs trublions Nick Carraway ou Laurent Gloaguen, critiquent cette « non-information », ce « pot de miel sur lequel se jettent de noirs bataillons de larves affamés de scoop. »
A l’opposé, le chroniqueur Guy Birenbaum considère que « la différence entre la communication et l’information suinte uniquement dans ces interstices où la vraie personnalité affleure et se révèle. Parce que, justement, tout politique et tout journaliste installé sur un plateau sait évidemment que, dix minutes avant l’antenne (et après encore), des caméras tournent, que les micros sont ouverts et qu’on les enregistre en régie… Et que, donc, tout peut sortir. Président ou pas. » (Post.fr). C’est la nouvelle donne du journalisme, informer comme on raconte une histoire par son making of, par ses coulisses.

Un devoir de désinvolture

Par delà le critique, un bon journaliste est un citoyen irrespectueux. Il a le devoir de mépriser l’action publique et de bousculer les politiques. C’est la « rhétorique de la désinvolture » telle que l’a analysée Michel Truffet (Histoire et médias : Journalisme et journalistes français 1950-1990).
Elle est née avec la pratique underground du journalisme durant mai 68 et institutionnalisée dans les années 1970 à travers la presse satirique de gauche ou d’extrême gauche (Hara-Kiri ou Charlie Hebdo). Elle avilit l’action publique au moyen d’un ton irrévérencieux, mobilise le doute et utilise le mauvais esprit comme une marque de fabrique. Il en découle une désinvolture affichée, favorisant, par des jeux de mots allusifs, le branchement avec le lecteur aux dépens du corpus du message.
Enfants de cette irrévérence, des supports comme Bakchich, iPol ou Dimanche+, déglinguent le politique. Lorsqu’il est posture d’observation, cet angle d’étude est original et intéressant. Seulement, lorsqu’il devient une marque de fabrique et d’enseignement, il remet en question la déontologie du métier de journaliste. Railler n’est pas dépeindre.
Visionnaire, Pierre Bourdieu, dans son petit traité Sur la télévision (Liber-Raisons d'agir, 1996) décrivait les journalistes comme « des marionnettes d’une nécessité qu’il faut décrire ».