Que penser des politiques monétaires des banques centrales ? Comment peuvent-elles atteindre leurs objectifs ? La Chine est-elle redevenue ce qu’elle était ? Qu’attendre des marchés en 2023 ? Nous faisons le point avec Andrea Siviero, Investment strategist chez Ethenea Independent Investors.
Décideurs. Quel bilan faites-vous de l’année 2022 ?
Andrea Siviero. En 2022, les économies ont globalement évité une récession malgré les nombreux vents contraires tels que l’inflation, les politiques monétaires resserrées, la guerre en Ukraine, la crise énergétique. L’Europe en particulier nous a surpris en positif. Nous pouvons l’expliquer par les politiques fiscales expansionnistes ainsi que l’accumulation de l’épargne pendant la pandémie, et un marché du travail solide.
 
Qu’en est-il de 2023 ?
Le premier trimestre 2023 a été encourageant, avec une bonne croissance et des indicateurs avancés positifs. Ces données devront être confirmées par la suite. Les attentes de croissance tendent en revanche vers un ralentissement en 2023, avec des taux aux alentours de 0,40 % tant pour les États-Unis que la zone Euro. La Chine devrait en revanche accélérer par rapport à l’année passée, avec une croissance attendue de 5 % en 2023.
Les changements de politiques monétaires mettent en moyenne six à neuf mois à avoir un effet. Les augmentations de taux d’intérêt, près de 500 points de base aux États-Unis et 350 en Europe, commencent à se faire sentir. L’inflation reste importante, bien au-delà des objectifs des banques centrales, et ont un impact sur le pouvoir d’achat et les revenus réels des ménages. La croissance devrait donc ralentir. L’indice des prix à la consommation reste malgré tout élevé.
 
Le secteur bancaire a récemment traversé une crise…
En effet, en mars est venue se greffer la crise du secteur bancaire et donc la problématique de stabilité financière, qui complique encore plus la stratégie de la Fed. Nous avons l’impression que cette hausse rapide des taux d’intérêt va encore faire surgir d’autres problèmes dans d’autres secteurs. En Europe par exemple, il existe une forte tension sur le marché immobilier, et de grandes sociétés immobilières allemandes ayant perdu 50 % de leur valeur en Bourse.
Sur le secteur bancaire, grâce à la réaction rapide des banques centrales, une crise systémique semble pour l’instant avoir été évitée. En revanche, l’effet du coût de financement pour les banques va aggraver la situation d’octroi de crédit pour les entreprises et particuliers. La Fed a d’ailleurs laissé paraître une attitude moins agressive ces dernières semaines, contrairement à la BCE qui dispose encore d’un espace pour relever davantage les taux. Reste à savoir si l’économie européenne tiendra le choc.
 
La réouverture en Chine reste une nouvelle positive pour les marchés ?
C’est une bonne nouvelle pour la croissance économique, notamment pour l’Europe qui a des liens d’échanges forts avec la Chine. La réouverture a déjà contribué à résoudre les tensions sur l’offre, au niveau de la chaîne de valeur de production. Cependant, cette réouverture – et la croissance éventuelle qui va avec - va probablement causer une pression inflationniste supplémentaire au niveau mondial. D’autre part, le marché domestique chinois indique que la première vague positive tend à s’estomper.
 
Comment appréhendez-vous le reste de l’année ?
Le développement dans les prochains mois va dépendre de trois facteurs : tout d’abord le niveau d’inflation, ensuite la propension des économies à absorber l’inflation d’une part et la hausse des taux d’autre part, et enfin les politiques macroéconomiques, fiscales et monétaires. Plus les économies seront solides, plus l’inflation risque de rester élevée, ce qui obligera en fin de compte les banques centrales à continuer de resserrer leur politique monétaire, du moins les maintenir à un niveau élevé. L’expérience des années 70 a montré par ailleurs que, si l’inflation commence à baisser et que les banques centrales baissaient les taux trop tôt, l’inflation risque de repartir vite.
 
Quels sont les scénarios ?
Le premier scénario, optimal pour le marché, est celui de "soft landing", c’est-à-dire une baisse progressive de l’inflation avec le ralentissement économique, et une pause du resserrement monétaire. Le deuxième scénario implique une récession, c’est le "hard landing", avec une inflation persistante et une accélération du resserrement monétaire. Cela est négatif pour les entreprises et le marché actions, mais positif pour les obligations d’Etats. Nous n’en sommes pas là.
Enfin, la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, qu’on peut définir "no landing", c’est-à-dire une poursuite du cycle économique actuel. Ce scénario, de nature plutôt transitoire, implique une inflation restant au-dessus de l’objectif des banques centrales, les obligeant à maintenir une politique restrictive, avec en parallèle une économie restant relativement solide malgré des faiblesses ici et là. Dans ce type de scénario, nous observons une volatilité accrue, une difficulté pour les actions de s’apprécier davantage tout en ayant une certaine protection grâce à une conjoncture encore solide. 

 

Propos recueillis par Marine Fleury et Marc Munier