Face à des transactions immobilières gelées, des taux d’intérêt qui grimpent et une réglementation énergétique qui bouleverse tout, le secteur entre dans une phase de violentes turbulences. Véronique Aubin, présidente de Xelis Family Office, revient sur les spécificités de ce marché en plein mouvement.
 
Décideurs. Quel est l’état actuel du secteur immobilier ?
Véronique Aubin. Après avoir connu près de vingt ans de hausse, le marché immobilier entre dans un nouveau paradigme du fait de la conjonction de deux crises : une conjoncturelle et une structurelle. Le secteur était jusqu’à maintenant dominé par les vendeurs. On achetait du m2 à l’achat sur des durées de transactions relativement courtes. De plus, le financement était relativement facile, et les taux bas. Ce n’est désormais plus le cas et les prix ont atteint des niveaux délirants, notamment à Paris qui est devenue inaccessible pour la majorité des Français.

 

La situation inflationniste actuelle est défavorable pour l’immobilier…
Oui, c’est l’élément conjoncturel de la crise : elle freine les transactions immobilières et on ne mesure pas toujours ses conséquences. L’inflation amène la BCE à augmenter ses taux, entrainant mécaniquement une hausse des taux de financement bancaires. Par ailleurs, le gouvernement peine à augmenter le taux d’usure et les banques prêtent de moins en moins faute de marge suffisante avec ce plafond du taux d’usure trop bas. Aujourd’hui, les transactions sont quasiment gelées, ou n’aboutissent pas en raison des défauts de financements bancaires. Cette crise du marché immobilier est déjà en train de porter ses effets car le ralentissement des transactions commence à provoquer une baisse des prix des biens.

 

Peut-on s’attendre à un ralentissement de ce phénomène ?
Oui, c’est en ce sens que je parle de crise conjoncturelle. L’inflation semble avoir atteint son pic et on s’attend à ce qu’elle commence à décroitre après quelques rebondissements. La BCE devrait donc commencer à rebaisser ses taux en 2024. De plus, le taux d’usure est désormais actualisé sur un rythme mensuel, permettant aux banques de jouer leur rôle de financeur immobilier. On peut tout de même se demander si on retrouvera les niveaux d’inflation du passé ou si le nouveau standard d’inflation (et donc de taux directeurs) se situera à 3 – 4 %.

 

Quel est l’impact des nouvelles mesures énergétiques sur l’immobilier ?
C’est l’élément structurel de la crise. La loi sur la performance énergétique pousse les propriétaires à rénover leur bien afin de réduire les émissions de CO2 et donc leur impact environnemental. Ceci peut être compliqué en France car le parc immobilier est relativement ancien, affichant de mauvaises performances énergétiques. Comment isoler un immeuble haussmannien par l’extérieur ? Les surfaces valent cher à Paris, et l’isolation d’un appartement par l’intérieur peut faire perdre des m2 précieux. Même dans les cas où l’isolation par l’extérieur est faisable, il faut obtenir l’accord de l’assemblée générale des copropriétaires, ce qui n’est pas évident, d’autant plus pour des travaux très onéreux. On fait alors face à un véritable casse-tête.

 

Qu’advient-il des biens n’affichant pas de bonne performance énergétique ?
Il n’est déjà plus possible d’indexer les loyers des appartements les plus mal notés, ni de les mettre en location. Et cela va progressivement concerner de plus en plus de biens à mesure que la loi se déploie. Le placement pierre restait encore le placement privilégié des Français alors que les rendements intrinsèques sur les biens immobiliers résidentiels se situaient autour des 1,5 - 2 % et beaucoup étaient proches de 0 % en raison des frais de gestion et de la fiscalité défavorable de l’immobilier. Mais, avec la nouvelle réglementation, qui génère des coûts importants, les rendements vont basculer en territoire négatif. Cela génère une forte réaction : déjà, une grande partie des familles que nous accompagnons se sont séparé de certains de leurs biens. Et les catalogues des agents immobiliers se remplissent de biens à la performance énergétique médiocre. Les prix ne vont pas tarder à s’en ressentir ! En sortie de crise, on va se retrouver avec un marché immobilier à deux vitesses : le prix au m² des biens ayant une bonne note énergétique sera très supérieur aux autres. On n’achètera plus des m² aveuglément, comme ces 20 dernières années .

 

Les investisseurs achèteront alors de la performance énergétique…
Effectivement mais, comme toutes les crises, celle-ci aura des impacts positifs : cela assainira le marché et créera des opportunités. Les investisseurs qui peuvent financer des travaux de rénovation onéreux pourront acquérir un bien présentant une mauvaise performance énergétique à un prix très décoté, et le revendre plus tard avec une plus-value. Cela permet d’investir dans de l’actif réel et d’avoir un impact positif sur l’environnement. Le marché immobilier va redevenir un secteur intéressant pour nos familles, pour allier l’objectif financier et l’objectif d’impact environnemental. Pour le moment, nous recommandons à nos clients d’attendre avant d’investir car les prix ne reflètent pas encore ce nouveau paradigme. Pour ceux qui ont des projets immobiliers en cours, nous leur recommandons de réaliser des contre-diagnostics de performance énergétique. Beaucoup de diagnostiqueurs sont encore insuffisamment formés et contrôlés et les diagnostics ne sont pas toujours fiables. En tout cas, le diagnostic énergétique deviendra le critère principal dans la réalisation d’un investissement immobilier. Et nous aimerions beaucoup voir les sociétés de gestion spécialisées en pierre-papier se saisir de cette thématique autour de la performance énergétique et construire des produits de placement collectif autour de la rénovation énergétique.

 

Ressentez-vous une prise de conscience de la part de vos clients ?
La prise de conscience n’est pas venue d’eux-mêmes à l’origine. C’est surtout la réglementation qui change leurs pratiques, suivie de la panique médiatique autour de l’approvisionnement énergétique. Jusqu’à maintenant, ces problématiques énergétiques ne touchaient pas tellement nos familles mais la panique autour des prix du gaz et de l’électricité a été un véritable moteur dans leur prise de conscience et certains d’entre eux ont déjà entamé des travaux de rénovation. Quelles que soient les raisons du changement, l’essentiel est d’atteindre l’objectif d’impact positif. Pour les placements financiers, le changement était déjà en marche. Cela fait des années que nous démontrons à nos familles que les placements ESG présentent des performances équivalentes aux autres investissements et sont surtout moins volatiles, ce qui est très positif lorsque l’on investit avec une visée patrimoniale, comme nos clients. Ils sont donc de plus en plus enclins à favoriser ce type d’investissement.