Transmettre son entreprise peut se révéler être un vrai cassetête si la transmission n’est pas suffisamment anticipée: valorisation, prix de cession, imposition… Autant de questions à anticiper que de points de vigilance à aborder. Aude Prulhière, avocat fiscaliste du cabinet Armand Avocats, apporte son éclairage sur cette étape clé dans la vie d’un dirigeant.
 
 
Décideurs. Quel rôle jouez-vous en tant qu’avocat lors d’une transmission d’entreprise ?
Aude Prulhière. Les dirigeants se posent souvent les questions de transmission la veille de leur réalisation alors qu’il y a une réelle nécessité de les anticiper afin notamment de comprendre les projets qui les animeront dans le futur ainsi que leur environnement, en particulier familial, et les relations qu’ils entretiennent avec celui-ci. Nous sommes donc à leurs côtés pour les conseiller au mieux dans l’élaboration de la structuration juridique de la transmission. Comment est calculée l’imposition lors d’une cession ? Pour un cédant personne physique, domicilié fiscalement en France, en cas de détention directe des titres cédés, la plus-value de cession de titres est imposée à la flat tax au taux de 30% (i.e. impôt sur le revenu à un taux forfaitaire de 12,8% auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux au taux de 17,2%) à laquelle peut s’ajouter la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ("CEHR") calculée sur le revenu fiscal de référence et dont le taux maximum est de 4%. Il en résulte une imposition effective maximum de 34%. Le cédant peut, cependant, opter pour une imposition au barème de l’impôt sur le revenu si elle lui est plus favorable. Cela lui permet de bénéficier d’abattements pour durée de détention. Dans ce cas, toutefois, les prélèvements sociaux et la CEHR restent dus sur la plus-value calculée sans abattement.
 
Pouvez-vous nous parler des différents schémas d’apport-cession ?
Dans certains cas, le cédant souhaite réinvestir une partie du produit de la cession de son entreprise dans de nouvelles activités économiques. Afin de répondre à ces objectifs, il peut être opportun d’apporter, préalablement à la cession, tout ou partie des titres de la société dont la cession est envisagée à une société holding. L’apport des titres à la société holding constituée à cet effet, assimilé à une cession d’un point de vue fiscal, peut donner lieu à la réalisation d’une plus-value qui est alors placée en report d’imposition (si l’apporteur contrôle la société holding) ou en sursis d’imposition (en l’absence de contrôle). C’est alors la société holding qui procède à la cession des titres qui lui ont été apportés et qui encaisse le prix de vente.

 

"Les questions de transmission pour les dirigeants se posent souvent à l’aube d’opérations de transmission d’entreprise"

L’apport des titres ayant été effectué à une valeur de marché, l’opération préalable permet à la société holding de réduire, à hauteur de la valeur d’apport, la plus-value ainsi réalisée. Toutefois, si la revente intervient dans un délai de 3 ans après l’apport, elle déclenche des obligations de réinvestissement qui doivent être satisfaites par la société holding dans les deux ans de la cession. À défaut de réinvestissement dans ce délai, le report d’imposition du cédant expire et déclenche l’imposition de la plus-value d’apport. Le délai de deux ans étant très court, une attention particulière doit donc être apportée à ce type de structuration afin que le cédant ne se retrouve pas engagé dans une course contre la montre pour réinvestir dans une activité économique qui sera souvent surpayée. Idéalement, des projets de réinvestissements économiques devront déjà avoir été identifiés par le cédant au moment de l’apport.

 

Quels sont les points de vigilance ?
Il faudra être particulièrement attentif à la nature des réinvestissements réalisés, en particulier à leur caractère économique ainsi qu’aux moyens mis en oeuvre pour déployer certaines activités. Pour certains types de réinvestissements, nous recommandons au cédant de structurer ces réinvestissements en mettant en oeuvre des moyens humains, financiers, matériels et commerciaux permettant de professionnaliser les démarches entreprises.

 

Quelles sont les opportunités de ces opérations de transmission?
La cession d’une entreprise par son dirigeant peut également être l’occasion pour ce dernier de transmettre une partie de la valeur qu’il a créée à son cercle familial proche (conjoint, enfants, parents par exemple) dans un souci de protection de ces derniers. C’est ainsi que préalablement à une cession d’entreprise, des donations de titres peuvent intervenir. Dans ces transmissions préalables, une attention particulière sera apportée au calendrier de réalisation.

 

Pourquoi est-il nécessaire de porter une attention particulière aux opérations de pré-transmission ?
L’administration fiscale est particulièrement attentive à la justification économique de ces opérations effectuées préalablement à une cession et à la réalité des objectifs patrimoniaux et familiaux poursuivis par le dirigeant, tels que par exemple la protection du conjoint, l’emploi du produit de cession dans de nouvelles activités économiques, l’aide à l’installation des enfants, etc. En outre, les questions de valorisation peuvent également être l’objet de questionnements particuliers.

 

La philanthropie a-t-elle sa place dans la cession ?
Oui, bien évidemment. Les dirigeants que nous conseillons ont de plus en plus souvent la volonté de partager le produit de la cession avec des associations, fondations ou autres véhicules poursuivant un but d’intérêt général. La dotation à des oeuvres permet également de donner un sens nouveau à la famille. Cela peut les conduire par exemple, à procéder, préalablement à la cession de leurs titres, à une donation à ces véhicules de manière à leur permettre d’appréhender une partie du prix de cession. Ce prix leur permettra de financer les oeuvres d’intérêt général qu’ils souhaitent mettre en avant.

 

Pouvez-vous développer le dispositif Dutreil ?
Dans le cas où un dirigeant souhaite transmettre son entreprise à des membres de sa famille ou même à un cercle restreint de managers poursuivant l’objectif de pérennisation de son outil professionnel, il peut envisager de conclure un pacte Dutreil sur les titres de son entreprise. Dans ce cadre, l’article 787 B du CGI exonère de droits de mutation, à hauteur de 75% de leur valeur, les transmissions à titre gratuit (donation et succession) de titres de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, sous réserve que soient respectées un certain nombre de conditions, notamment de conservation des titres de la société pendant un certain délai. Mais les transmissions d’entreprises sous un régime Dutreil s’accommodent mal avec les opérations de cession à des tiers (sauf si la cession s’opère dans un cadre familial ou sauf si elles ont fait l’objet d’une grande anticipation) en raison des engagements de conservation des titres qu’elles imposent aux parties prenantes.

 

Propos recueillis par Marine Fleury