Il est de notoriété publique que la moitié des (petites) entreprises à céder finissent par fermer faute de repreneur. Alors comment s’y prendre concrètement ? Voici les bonnes pratiques pour mettre toutes les chances de son côté afin de transmettre son entreprise à un actionnaire.

Tout entrepreneur n’a pas un enfant souhaitant reprendre l’activité familiale. Une enseigne Père & fils peut donc s’avérer compliquée à faire durer à travers les décennies. Transmettre son entreprise dans de bonnes conditions à un repreneur externe, peut ressembler à un parcours du combattant. L’anticipation, jusqu’à plusieurs années en amont, et la recherche de profils de repreneurs adaptés constituent le point d’orgue d’une transmission réussie. Car il ne s’agit pas seulement de vendre. Si l’on veut que son entreprise survive à cette séparation sentimentale, voire transgénérationnelle, il est recommandé de trouver la bonne personne.

Savoir qui transmet

Philippe Pelé-Clamour, membre de l’Institut français des administrateurs (IFA) et professeur affilié à HEC Paris, directeur du programme Entreprises familiales : gouvernance & management, estime que "dans la transmission, une première clé est de se demander : qui transmet ? Est-ce une première génération, un entrepreneur-fondateur ou G1, est-ce que ce sont les enfants ou neveux (G2) ou bien est-ce la troisième ou quatrième génération (G3) ? En fonction des différents niveaux, les problématiques sont différentes."

Dans les sociétés cotées, nous pouvons citer en exemple les familles Dassault (G3), Decaux (G2) ou encore Bernard Arnault (G1), toujours à la tête de LVMH. La question de la transmission du pouvoir constitue un autre point déterminant : la direction peut elle être transmise à quelqu’un de sa famille  ? Les héritiers sont-ils capables de continuer et en ontils l’envie ? Les éléments de gouvernance familiale revêtent donc une grande importance. D’après Philippe Pelé-Clamour, "il faut définir quel rôle va être donné à chacun des membres de sa famille. La situation de vie personnelle va aussi peser dans cette équation." La G2, par exemple, sera souvent dans la continuité familiale et l’exécution d'un mandat stratégique. "Cette transmission et ce partage du pouvoir deviennent plus complexes à la G3 du fait du nombre des actionnaires. Il y a ce qu’on appelle le consortium des cousins". La cession arrive par conséquent fréquemment à la G3 du fait des divergences de projets et d’envie de membres de la famille.

La cession arrive fréquemment à la troisième génération

Définir le type de cession

Il est de plus en plus commun pour un entrepreneur de céder son bébé auprès d’un fonds de private equity. Selon Philippe Pelé-Clamour, "les premières générations ont deux solutions. Soit elles cèdent la totalité de l’entreprise pour sortir et réaliser leur patrimoine, sous forme d’OBO (owner buy out), soit elles restent co-actionnaires avec un fonds tout en sortant ainsi du management opérationnel via un LBO. C’est aussi une manière de préparer la génération suivante et d’élever la performance de l’entreprise avec un fonds d’investissement et un management externe, à un niveau qu’eux-mêmes ou leurs descendants ne seraient pas capables d’atteindre. En prenant ne serait-ce qu’un ticket minoritaire, une famille aligne ses intérêts et sa vision à un horizon de trois à cinq ans avant la réalisation d’un exit." Un cas de figure rare mais possible pour la famille est de racheter les parts du fonds au bout de quelques années, pour redevenir pleinement propriétaire de son entreprise.

Préparation minutieuse

Une transmission se prépare, ne serait-ce que pour que la transition se fasse sans à-coups. D’un point de vue financier et pour optimiser le prix de vente, une préparation méticuleuse permettra de céder la société dans les meilleures conditions. Certains iront jusqu’à établir un véritable plan stratégique de cession. En d’autres termes, transmettre son entreprise, a fortiori à une personne "extérieure", est un projet en soi. Telle une étude de cas, dégager les points forts et les points faibles de sa structure en procédant à un diagnostic est un exercice indispensable qui permet de conforter ou non la décision de cession et de développer un argumentaire lors des négociations avec le repreneur.

Le juste prix

La valeur et le prix de cession représentent deux concepts différents : la valeur dépend de nombreux facteurs, et lorsqu’une entreprise n’est pas cotée en Bourse, elle peut s’avérer subjective, même si des procédés et méthodes quantitatives permettent d’établir une fourchette de valorisation. Le prix de cession est le montant que le repreneur est prêt à mettre sur la table, avec ou sans financement, et qui correspond bien sûr aux attentes du cédant. Il s’agit donc du montant de la transaction, qui peut parfois être fortement éloigné de la valorisation. Il ne faut pas oublier que, comme toute opération marchande, le prix de cession provient principalement de la rencontre entre l’offre et la demande.

"Céder l'entreprise à un actionnaire externe ne signe pas forcément la fin de l'aventure familiale"

Trouver le repreneur et l’accompagner

Une fois le dossier de cession ficelé, présentant l’entreprise sous ses meilleurs traits, il est temps de trouver celle ou celui sur qui vous pourrez compter pour reprendre le flambeau. Le travail en amont permet en général d’avoir d’ores et déjà une idée précise du type de repreneur potentiel. Car si l’on souhaite que la société survive, on veut aussi qu’elle garde une certaine âme. Il faut en ce sens comprendre le projet du repreneur. Pour Philippe Pelé-Clamour, "il est important de garder à l’esprit le sens de la valeur développée par le fondateur ou la famille au cours des générations. De même, il est bon de ne pas trop bouleverser le business model ou de modifier les relations avec les parties prenantes. Tout cela ne peut être assuré ou maîtrisé, mais il est possible toutefois d’obtenir un droit de regard la première, voire la deuxième année après la reprise." Cependant, il ajoute que "lorsque l’entreprise est endettée ou affaiblie financièrement, il est évident que les exigences sont plus difficiles à entendre".

Le rapport de force dans les négociations dépend en grande partie de la santé de l'entreprise. Dans les meilleurs cas, des clauses de garantie peuvent faire partie des protocoles d’acquisition. En ce qui concerne la transaction, le prix ne fait pas tout. S’il est indéniablement l’élément visible de la transmission, il est important de s’accorder avec le repreneur sur certains points non moins essentiels tels que les conditions de la reprise et les termes du protocole d’accord. Un contrat d’accompagnement entre cédant et repreneur est souvent prévu afin d’huiler la passation de pouvoir dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. D’ailleurs, "il est possible pour le cédant de garder temporairement un rôle en tant que président du conseil de surveillance, avec une direction générale dissociée et donnée au repreneur. Tout ici est une question d’alignement des parties, mais aussi de charge émotionnelle souvent trop forte pour y parvenir", précise Philippe Pelé-Clamour.

Gérer l’après

Se retrouver avec plusieurs millions d’euros de liquidité du jour au lendemain n’est pas anodin. En cela, avoir anticipé cet événement par sa gouvernance familiale et envisager d’autres projets devient capital. Les G3 et G4 ont des droits et des devoirs, ils portent un nom, une histoire et souvent un projet familial sociétal. "La cession de l’entreprise n'est pas la mort du projet familial", indique Philippe Pelé-Clamour. "Il faut continuer à responsabiliser sa famille sur le goût du travail, de l’effort et de l’engagement social et sociétal. L'après est déterminant, l'aventure familiale et entrepreneuriale continue." Cela a été le cas de Norbert Dentressangle qui, après la vente de sa société à XPO Logistics en 2015, a continué l’aventure familiale en créant un fonds d’investissement à son nom. Ainsi, "le patrimoine n’est pas distribué mais continue d’être fédéré", observe Philippe Pelé-Clamour. Et si la transmission de l’entreprise n’est envisageable ni au sein de la famille ni à de nouveaux actionnaires, il est toujours possible d’en faire don à la nature, comme l’a fait Yvon Chouinard avec Patagonia.

Marc Munier