Depuis quelques mois, la hausse des prix n’a échappé à personne. Si l’inflation s’installe en France et en Europe, elle n’est pas sans conséquence sur la Bourse. Jean-Bernard Mangiapan, directeur des gestions, et Maxime Lecorps, directeur de l’offre, Crédit du Nord Banque Privée, dressent un panorama de l’environnement actuel sur les marchés financiers.
 

Décideurs. Quelles visions avez-vous sur les allocations de vos clients ?


Jean-Bernard Mangiapan. Les marchés financiers sont pris entre deux feux ; la guerre en Ukraine avec son impact sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires d’une part, et la politique zéro Covid de la Chine qui engendre des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement d’autre part. Les inquié­tudes provoquées par ces événements géopolitiques contribuent à la flambée de l’inflation. Cette dernière, avec ses conséquences sur les marchés, est deve­nue en quelques mois le principal sujet d'anxiété pour les investisseurs. Toutes les zones ne sont pas impactées de la même manière ; l’inflation est plus im­portante aux États-Unis qu’en Europe. Les banques centrales resserrent à des rythmes différents leurs politiques mo­nétaires. La Fed est très en avance sur la BCE. Malgré l'accélération de ces resserrements, ces interventions restent tout de même faibles au vu du taux d’infla­tion (environ 8 % aux États-Unis et 7 % en Europe) et permettent de continuer à soutenir les marchés.

 

"Il convient de maintenir des allocations relativement neutres avec une quote-part crois­sante allouée à la liquidité et à la gestion al­ternative"


Ce changement de cap des banques cen­trales limite les points d’entrée dans ces périodes de fortes incertitudes. Ainsi, il convient de maintenir des allocations rela­tivement neutres avec une quote-part crois­sante allouée à la liquidité et à la gestion al­ternative, tout en limitant la part investie en obligations. En effet, avec la remontée des taux, les fonds obligataires classiques sont condamnés à contre-performer avec une dévalorisation de leur stock de titres à très faible rendement. Même si la stratégie clas­sique est de contrebalancer le risque action par le risque obligataire, on ne peut plus, dans le contexte actuel, minimiser le risque en se positionnant sur des obligations.

La gestion alternative est un moteur de performance…

Certains fonds sont capables de jouer la montée des taux en « shortant » les obligations et constituent ainsi un mo­teur de performance. Il convient égale­ment de s’orienter sur des secteurs qui bénéficient de cette remontée des taux, comme le secteur de l’énergie qui béné­ficie de la flambée du prix du baril de pétrole. La sélection des secteurs et des titres est plus que jamais primordiale. Il s’agit d’éviter les secteurs industriels trop exposés aux chaînes de production et d’approvisionnement et de privilégier les secteurs qui profitent de la remon­tée des taux comme les banques ou les assurances. La diversification reste le maître-mot et les investissements en dollars en font partie. À noter que les annonces de remontée des taux par la Fed ont été favorables au dollar. Par ail­leurs, la reprise extrêmement forte de la volatilité depuis le début de l’année a été favorable aux produits structurés (rendement plus important pour un même niveau de risque). Les barrières de protection qu’offrent les produits structurés restent un atout majeur vu le contexte actuel.

Value ou growth : faut-il choisir ?

Au-delà du débat value ou growth, on opte pour l’approche "growth at reaso­nable price", combinant les principes de l’investissement de croissance et de valeurs de qualité. Il convient de mi­ser sur les sociétés qui continuent de délivrer de la croissance grâce au pri­cing power.

"On opte pour l’approche growth at reaso­nable price"

Il s’agit de celles qui sont capables de répercuter le coût de l’in­flation sur le prix de vente, préservant ainsi leurs marges. C’est notamment le cas dans le secteur du luxe où certaines entreprises ont profité du surplus d’épargne post-Covid.

Quelle place le fonds euro détient-il dans les allocations de vos clients ?

Maxime Lecorps. Il constitue histori­quement une part importante des alloca­tions clients mais, compte tenu des taux d’inflation actuels, le placement affiche une déperdition de valeur. Aujourd’hui, le fonds euro permet d’investir sur le court terme et de temporairement lisser ses points d’entrée sur une année. Le maître-mot est la diversification de ses actifs car la situation inflationniste est liée à des crises d’approvisionnement entraînant une volatilité et une incerti­tude sur la valorisation des actifs finan­ciers. Parmi les actifs de diversification, nous retrouverons l’immobilier qui per­met une action contracyclique sur l’inflation grâce à son levier d’acquisition. De plus, les loyers sont à moyen terme corrélés à l’inflation, leur réévaluation permettant de contrebalancer la hausse des taux. Il est tout de même nécessaire de garder une vision de long terme sur cet actif.

Et le private equity ?

Le private equity présente un bon point d’entrée pour diversifier ses actifs, d’au­tant plus pour un client pas encore in­vesti. Dans le cas où le client est déjà exposé à cette classe d’actifs, nous au­rons à court terme une position rela­tivement neutre en attendant que les multiples de valorisation externalisent une baisse et afin que le client puisse réinvestir les fruits passés de ses inves­tissements.

"Le private equity présente un bon point d’entrée pour diversifier ses actifs"


Ensuite, concernant les ac­tions et obligations, je rejoins l’analyse de Jean-Bernard – y compris en gestion libre – à savoir que la situation est plus complexe qu’auparavant et il est temps de faire confiance à un professionnel pour investir. Nous privilégierons pour les actions, les sociétés qui ont un bon pricing power et nous regarderons de près les secteurs leveragé. De même sur les obligations, le portefeuille nécessite d’avoir une poche à faibles durations, voire à sensibilité négative offerte par les stratégies long/short obligataires. Nous recherchons ainsi à amoindrir la volatilité du portefeuille et nous envi­sageons, une fois la remontée des taux enclenchée, de se repositionner sur des sensibilités plus grandes.

Quel est votre positionnement sur la partie GSM ?


J.-B. M. Plus que jamais nos clients doivent accepter de prendre du risque. Sur une GSM, on distingue trois profils classiques : modéré, équilibré et dy­namique. Le risque est plus important sur un profil équilibré que sur un profil modéré. Les crises récentes nous ont ap­pris que, même si la volatilité et la perte potentielle sont plus fortes sur un profil plus risqué, le fait de s’exposer davan­tage sur le marché action permettra de redevenir positif et recréer de la perfor­mance. Finalement avec un profil modéré on risque de subir malgré tout des pertes sans pouvoir pleinement bénéficier de la force des rebonds, ce qui débouche le plus souvent sur une performance décep­tive. Si on suit une approche holistique telle que l’a décrite Maxime, la poche de risque doit être exposée aux marchés et aux actions en particulier.

Comment vos clients réagissent-ils face à l’inflation et aux incertitudes de marché ?


On observe deux profils de clients : ceux qui travaillent avec nous depuis longtemps et qui ont bénéficié des niveaux exceptionnels des marchés actions, et ceux qui sont plus récents et qui investissent depuis moins de deux ans. Les premiers sont plutôt sereins et savent appréhender les incertitudes de marché alors que les nouveaux le sont net­tement moins car pas forcément préparés à connaître des phases de baisses aussi ra­pides.

 

"Nous réalisons un grand travail pour freiner autant que possible la baisse des rendements de nos allocations"

Finalement, nous réalisons un grand travail pour freiner autant que possible la baisse des rendements de nos allocations en utilisant la gestion alternative, décorrélée des marchés actions et obligations, ainsi qu’une poche de liquidités pour profiter de ce qui pourrait constituer des points d’entrée dans le futur.

Le mot de la fin ?

Le message prioritaire est d’être intrai­table sur les critères ESG, en particulier sur la partie gouvernance. Nos clients sont réceptifs aux problématiques d’in­vestissement socialement responsable, ces dernières permettent au sein d’un porte­feuille, de se décorréler des tensions et de créer de la valeur sur le long terme.

M. L. Concernant l’aspect psychologique, la crise de la Covid est la première à faire évoluer significativement la position de nos clients. Elle leur a fait prendre du recul sur beaucoup d’aspects et, contraire­ment à 2008 où les investisseurs ont mis du temps à revenir sur les marchés, notre clientèle n’a pas cédé à la panique.