En vogue depuis quelques années déjà - le private equity en tête -, les marchés privés représentent une opportunité réelle pour les investisseurs institutionnels mais également privés. Ricardo Stucchi, Country Manager de Russell Investments France – gérant phare de la diversification et de l’architecture ouverte aux 100 milliards de dollars en actifs privés conseillés -, lève le voile sur ces classes d’actifs aux caractéristiques bien particulières.

Décideurs. Qu'appelle-t-on marchés privés ?

Riccardo Stucchi. Il s’agit tout d’abord d’un univers d’investissement spécifique, où un changement de prisme s’avère nécessaire. Les marchés privés, aux risques et opportunités idiosyncratiques, s’adressent à une typologie d’investisseurs particulière. Il est commun d’associer les marchés privés aux stratégies alternatives. Mais le terme "alternatif" n’est pas correct, car il sous-entend souvent des stratégies risquées qui incluent les hedge funds par exemple.

"Les marchés privés sont en expansion, tant au niveau de l’offre que de la demande"

Nous pouvons distinguer deux grandes familles au sein des marchés privés : l’equity et la dette aux caractéristiques et dynamiques différentes. On ira surtout chercher la performance sur les premières, telles que le private equity. Les stratégies obligataires procurent, quant à elles, un rendement stable, comme la dette privée. Les actifs réels complètent ce panorama, avec notamment l’immobilier et les infrastructures. Les marchés privés sont en expansion, tant au niveau de l’offre que de la demande. Selon l’association CAIA, le marché global est estimé à 13 000 milliards de dollars, et atteindrait 17 000 milliards d'ici à 2025, soit une croissance annuelle de 9,8 %.

Quelles sont les caractéristiques communes de ces différents marchés ?

L’illiquidité de ces marchés est probablement le dénominateur commun. L’horizon de temps des investisseurs joue un rôle déterminant. On ne peut pas entrer et sortir en quelques jours. Différents types de stratégies existent globalement, aux risques et espérances de rendement distincts : "core", "value added" et opportunistes. Néanmoins, chaque marché a ses propres avantages et facteurs de risques et de volatilité.

Comment expliquez-vous cette croissance des marchés privés ? Quels en sont les principaux avantages ?

Au-delà de la performance, il existe plusieurs raisons essentielles pour lesquelles les investisseurs sont attirés par les marchés privés. Tout d’abord, l’univers d’investissement est très large, bien plus que les sociétés cotées, dont le nombre ne cesse de baisser. Il existe aujourd'hui plus de 95 000 entreprises privées dans le monde qui ont des revenus annuels supérieurs à 100 millions de dollars, contre environ 10 000 entreprises publiques. D’autre part, la concentration dans les indices peut constituer un risque supplémentaire pour les investisseurs croyant détenir un portefeuille diversifié. Par exemple, près de 30 % de la capitalisation boursière totale du S&P 500 sont aujourd’hui détenus par les dix plus grands titres de l’indice. Parallèlement à cela, la force des marchés privés réside en la décorrélation aux marchés cotés et à leur pouvoir de diversification.

Par ailleurs, le facteur temps est primordial dans une optique de création de valeur. Les entreprises restent privées plus longtemps qu’auparavant. Ainsi, la durée de passage de société privée à une introduction en Bourse se rallonge. Les fameuses licornes (non cotées) étaient encore inexistantes il y a dix ans. On en dénombre aujourd’hui un millier. Pour un investisseur, s’exposer à des sociétés privées avant leur introduction en Bourse est plus important que jamais.

Comment intégrer les actifs privés dans une allocation globale ?

Les opportunités sur les marchés privés sont extrêmement riches et la diversité des stratégies disponibles justifie la construction d’une allocation à la fois sur mesure et bien diversifiée aux marchés privés. Le manque d'information est tel que les hypothèses de marchés et les modélisations qui en découlent sont hasardeuses. Ajoutez à cela l’illiquidité et vous comprenez que les investisseurs ne peuvent se permettre d’y accorder un poids trop important. Cependant les marchés privés ont toute leur place dans des poches spécifiques et long terme, en raison des caractéristiques évoquées précédemment.

En parlant de data, Russell Investments a conclu un partenariat avec Hamilton Lane en 2021…

Hamilton Lane est une société de gestion spécialisée sur les marchés privés, avec plus de trente ans d’expérience. Ce partenariat stratégique permet à Russell Investments d’étendre ses compétences sur les marchés privés. Les clients de Russell Investments bénéficieront d’un accès à la gamme des solutions d’investissement d’Hamilton Lane, à sa plate-forme de recherche en architecture ouverte ainsi qu’aux outils de construction de portefeuilles et de contrôle des risques.

Qu’en est-il de l’impact et de l’ESG sur les marchés privés ?

Ces notions, que nous pouvons résumer en "durabilité", ont été prises en compte sur les marchés privés bien avant les marchés cotés, notamment pour les actifs réels. Lorsqu’il s’agit de barrages, de ponts, d’infrastructures… le type et la durée des projets impliquent une mise en perspective et une projection précise des impacts environnementaux. On estime que 22 % à 28 % de l’énergie produite aujourd’hui provient des énergies renouvelables. En 2050, ce sera autour de 64 % au niveau mondial. Du fait de leur approche long terme, et des enjeux de durabilité, les gérants se doivent d’intégrer les critères ESG et l’impact social, quasiment par défaut, tout comme les questions liées à la gouvernance. Le dialogue avec les entreprises se fait lors des due diligences et tout au long de la vie des entreprises. Les facteurs extra-financiers sont essentiels pour améliorer le profil risque-rendement des investisseurs.

"Du fait de leur approche long terme, et des enjeux de durabilité, les gérants se doivent d’intégrer les critères ESG et l’impact social, quasiment par défaut"

Il ne faut pas oublier que tout cela entre dans le cadre de l’objectif zéro émission carbone d’ici à 2050. Il s’agit d’un thème sociétal et environnemental structurel qui constitue un pilier de l'offre Russell Investments, laquelle repose sur des convictions fortes. Les valeurs dominent la valeur économique. Enfin, les marchés privés sont en première ligne en matière de réglementation et de taxonomie.

Comment rendre ces actifs illiquides un peu plus accessibles ?

Des solutions "evergreen" existent, ce sont des fonds ouverts qui permettent d’entrer et sortir beaucoup plus facilement que d’ordinaire. Les investisseurs peuvent ainsi procéder à des réinvestissements réguliers. Nous avons par exemple monté un fonds dédié en venture capital pour les investisseurs privés ou encore un fonds en co-investissement, renforçant l’alignement d'intérêt.

Qu’attendre de ces marchés dans les prochaines années ?

Le private equity a depuis quelques années déjà été la classe d’actifs la plus attrayante des marchés privés. La prochaine vague sera vraisemblablement les infrastructures, qui sont de plus en plus prisées par les investisseurs aux États-Unis, en Europe et en Asie, car elles bénéficient notamment de flux de trésorerie prévisibles à long terme et donnent accès à une formidable opportunité de croissance mondiale. Trois tendances soutiendront cette évolution : les transitions environnementale, technologique et sociale.

Propos recueillis par Marc Munier