Par Laurence Cohen, avocate associée, et Lauren Fazy, avocate. Chassany Watrelot & Associés
Douze ans après la consécration législative du forfait jours, cette question n’est pas complètement tranchée. Face aux imprécisions de la loi, les partenaires sociaux et les praticiens ont adopté des solutions que la jurisprudence récente fragilise.

La convention individuelle de forfait vise un nombre déterminé de jours travaillés. Quid si le salarié autonome travaille au-delà ou en deçà ? L’autonomie des salariés concernés et la confusion des genres entre « jours non travaillés » et « jours de repos », entretenue par le législateur, compliquent les réponses.

Le traitement du dépassement du plafond dépend de sa cause
L’affectation de « jours de repos » sur un compte épargne-temps augmente le plafond de jours travaillés sans impact sur la rémunération autre que celui lié à la valorisation/revalorisation des éléments affectés au compte selon la méthode déterminée par l’accord collectif qui l’institue). La non-acquisition ou non-prise de congés payés (circ. n° 2000/07 du 06.12.00) ainsi que le report de congés payés en application d’un dispositif conventionnel emportent les mêmes conséquences.
Par ailleurs le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses « jours de repos » - ce qui augmente mécaniquement les jours de travail - à condition de ne pas dépasser un nombre de jours de travail maximal fixé par l’accord instituant le forfait et, à défaut, par la loi (235 jours) ; une majoration de salaire est appliquée aux «jours supplémentaires», dont le taux, au moins égal à 10%, est fixé par avenant à la convention de forfait.
Quid si des « jours supplémentaires » sont générés par le salarié ne prenant pas tous ses jours de repos sans en solliciter le rachat ? Aucune contrepartie ni indemnité ne devrait lui être due. Cependant, il peut en être autrement si l’employeur est à l’origine de l’augmentation du nombre de jours travaillés ou fait, directement ou indirectement, obstacle à la prise des jours de repos : la jurisprudence écarte logiquement l’application des règles régissant les heures supplémentaires, mais renvoie à la possibilité qu’a le salarié en forfait jours ayant subi un préjudice du fait de la perception d’une rémunération sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, de solliciter l’indemnité prévue à l’article L. 3121-47 du code du travail (Cass. Soc. 07.12.10 n°09-42626).
Le salarié peut-il obtenir, à la place ou en sus de ces dommages et intérêts, le paiement des jours au taux majoré de 10 % ? Aucun fondement textuel exprès ne le permet. Néanmoins, les juges pourraient l’admettre, notamment si l’employeur a refusé une demande de rachat présentée par le salarié au regard de sa charge de travail ou n’y a pas répondu. Notons qu’un arrêt de la Cour de cassation vient de juger, à propos d’un forfait annuel en heures assorti de « RTT » conclu avec un cadre autonome, que le simple défaut d’information en matière de jours de repos justifie une demande de rappels de salaires.
Quant aux sanctions pénales et civiles prévues en cas de travail dissimulé, elles ne devraient être encourues que si la convention de forfait est inexistante ou privée d’effet et si l’accomplissement d’heures supplémentaires est avéré.

La loi est muette sur l’incidence des absences sur le forfait
Si l’absence coïncide avec un jour travaillé, le salarié devrait bénéficier du maintien total ou partiel de sa rémunération au titre des absences indemnisées (maladie par exemple) ou subir une retenue sur salaire en cas d’absence non rémunérée (congé sans solde par exemple) ; dans le cas contraire, le « non-travail » ne devrait impacter ni le nombre de jours de travail « dus », ni la rémunération. Mais comment savoir si les jours d’absence coïncident ou non avec des jours de travail, puisque le salarié « autonome » est libre d’organiser son temps de travail ? La plupart des entreprises ne se posent pas cette question. Elles procèdent au complément de salaire ou à une retenue (selon le cas) et réduisent les « jours de repos » selon des méthodes de proratisation diverses. Cette pratique est remise en cause.

La jurisprudence condamne implicitement la proratisation des jours de repos
Selon la Cour de cassation, « le retrait d’un jour de réduction du temps de travail en raison d’une absence pour maladie a pour effet d’entraîner une récupération prohibée par l’article L. 3122-27 du code du travail ». La suppression d’un jour entier de repos dès la survenance d’une absence au cours d’un mois, revient bien à la faire « récupérer », ce qui peut justifier cette position. Cependant l’attendu de principe rend contestable toute forme de proratisation du nombre de jours de repos. Comment adapter les pratiques ? La plupart des accords collectifs qualifient les jours de non-travail de « jours de repos » et imposent au salarié un délai de prévenance avant leur prise. Dans cette hypothèse, il paraît possible de considérer que l’absence du salarié n’ayant pas préalablement « posé » de repos coïncide implicitement avec un jour de travail. Dès lors l’absence s’impute sur le nombre de jours prévus par le forfait et :
- la rémunération est impactée en fonction de la nature de l’absence ;
- l’absence doit être « neutralisée » (i. e. fictivement ajoutée aux jours de travail effectifs) pour permettre le suivi du nombre de jours « exigibles » et, le cas échéant, l’application du dispositif de rachat, en cas de dépassement concerté du plafond.
Corrélativement, le nombre de jours de repos (non-travail) ne peut et ne doit pas être réduit par l’employeur. Pour autant, si l’absence du salarié dépasse 218 jours, son « capital » de jours non travaillés sera de facto « entamé », voire épuisé s’il est absent toute l’année. Autrement dit, si le nombre de jours d’absence (hors samedi, dimanche, jours fériés chômés et congés payés) dépasse le « capital » théorique de jours non travaillés, il ne saurait y avoir de report des jours de non-travail d’une période à l’autre (au même titre qu’il serait inconcevable qu’un salarié demande le report des jours fériés en raison de son absence). Reste à suivre la jurisprudence à venir sur ces questions et à vérifier, au cas par cas, si les dispositions conventionnelles et/ou usages d’entreprise sont compatibles avec ce raisonnement ou nécessitent d’être révisés.