À chaque nouvelle crise sanitaire mondiale, l’OMS est montrée du doigt. À chaque fois, elle apprend de ses erreurs et amorce des changements. La nouvelle pandémie du Covid-19 entraînera-t-elle une réforme en profondeur de l’organisation ? Pour renforcer son pouvoir vis-à-vis des États ? Entretien avec Anne Sénéquier, médecin, chercheuse et codirectrice de l’Observatoire de la santé mondiale de l'IRIS.

Décideurs. Peut-on comparer la crise sanitaire actuelle avec celles d’Ebola ou du H1N1 quant à l’ampleur de la propagation ?

Anne Sénéquier. La pandémie du Covid-19 n’est pas comparable à celle du virus Ebola, du SARS-CoV-1 ou encore du H1N1, c’est certain. En revanche, les critiques formulées contre l’OMS et notamment son manque de réactivité, sont similaires. Il faut garder à l’esprit que les moyens d’action de l’OMS sont limités et que l’organisation ne peut contraindre les États à faire quoi que ce soit, ni venir vérifier sur place si la situation ou les chiffres communiqués par les États sont exacts.

Quel est le poids du Règlement sanitaire international (RSI), mis en place après l’épidémie du SARS-CoV-1 en 2002 ?

L’objectif de ce nouveau règlement était de donner à l’OMS un rôle de coordinateur international en cas d’épidémie et la possibilité de se rendre sur le terrain, sous réserve que les États l’acceptent. S’il a le mérite d’exister, on comprend bien qu’il ne règle rien car certains pays sont moins coopératifs que d’autres. Si l’OMS se met le pays en question à dos, elle peut être assurée qu’il n’y aura aucune collaboration ni transmission d’information sur l’origine du virus et ce qu’il s’est réellement passé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a prononcé un discours dithyrambique fin janvier à l’égard de la Chine, car il y avait cette nécessité de pouvoir se rendre sur place pour comprendre les premières semaines de l’épidémie.

"S’il a le mérite d’exister, on comprend bien que le RSI ne règle rien car certains pays sont moins coopératifs que d’autres"

Les États restent maîtres de leurs décisions. On l’a bien vu avec les États-Unis. L’OMS a proposé au gouvernement américain des kits pour commencer à tester la population alors qu’il n’y avait que quelques cas sporadiques sur la côte Ouest américaine en provenance de Wuhan. Les États-Unis ont refusé, déclarant qu’ils souhaitaient mener leurs propres tests, et suivre ainsi les recommandations des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies). Le problème est qu’ils n’ont pas été capables de sortir un test rapidement pour l’ensemble de la population. Ce qui a entraîné un retard d’environ trois semaines, qui, à l’échelle d’une telle pandémie, est énorme.

Faut-il réformer en profondeur le RSI ?

Ce règlement est très théorique et peu pratique. La situation que nous vivons a montré qu’il était caduc et dépassé. Si son objectif initial était de réduire la propagation des maladies et d’éviter qu’une épidémie passe les frontières, il n’a clairement pas fonctionné dans le cas de cette pandémie puisque la prévention s’est limitée à un simple affichage dans les aéroports pour informer de la présence de ce virus. Une décision très "light" qui reposait uniquement sur la responsabilisation des voyageurs, et qui a été, de fait, beaucoup critiquée.

"Aucune épidémie ne se ressemble et l’OMS donne l’impression de vouloir calquer ses décisions sur les enseignements des crises sanitaires antérieures"

Si l’OMS, à travers cette urgence de santé, formule des recommandations, il revient aux pays de les appliquer, ou non. Tout le problème est là. On l’a vu, ce n’est pas l’OMS qui a restreint les autorisations de voyages et de commerce, mais bien les États, en fonction de l’importance qu’ils ont accordée à ce nouveau virus venu de Chine.

Aucune épidémie ne se ressemble et l’OMS donne l’impression de vouloir calquer ses décisions sur les enseignements des crises sanitaires antérieures, mais cela ne "matche" pas forcément et met en lumières ses défaillances.

Quid du programme de gestion des situations d’urgence sanitaire ?

Ce programme, mis en place par l’OMS après Ebola, a pour objectif de contourner la hiérarchie et les lourdeurs administratives pour gagner en vélocité. L’idée était d’avoir un système qui permette une meilleure remontée du terrain et de disposer d’un fonds de réserve. La vraie question à poser, c’est pourquoi ce programme n’a pas fonctionné pour cette pandémie ?

Et pourquoi, selon vous, le bureau national de l’OMS en Chine n’a-t-il pas pu alerter plus tôt ?

Les pays montrent ce qu’ils ont envie de montrer. L’OMS doit trouver une solution pour contrecarrer cette réalité et ne pas attendre l’autorisation des États pour mener à bien les enquêtes nécessaires sur le terrain. Ce n’est plus possible dans notre monde ultra connecté.

Le financement de l’OMS doit-il également faire l’objet d’une réflexion, voire d’une réforme ?

En plus des contributeurs obligatoires et volontaires, il y a surtout des contributions avec un objet désigné pour faire en sorte que l’OMS travaille, par exemple, sur la prévention et le contrôle des épidémies, le VIH ou les hépatites. 27 % du financement américain [premier contributeur de l’OMS avec 500 millions de dollars, Ndlr] sont dirigés vers l’éradication de la polio. C’est un héritage de la politique de santé publique qui prévalait aux États-Unis dans les années 1950 car il fallait remettre les hommes jeunes au travail.

"L’OMS doit pouvoir réagir vite dans la mesure où, aujourd’hui, tous les quatre mois, une nouvelle maladie est transmise du monde animal à l’humain"

Rappelons que le budget de l’OMS, de l’ordre de 5,8 milliards de dollars, est loin d’être suffisant pour enrayer une pandémie mondiale. Il faudrait à la fois l’augmenter et lui donner plus de souplesse.

À quoi l’OMS de demain devrait-elle ressembler selon vous ?

Il faut un dialogue international pour donner plus de pouvoir à l’OMS et moins aux États membres car rester sur une posture diplomatique pour répondre à une pandémie, ce n’est plus possible aujourd’hui. L’OMS doit pouvoir réagir vite dans la mesure où, aujourd’hui, tous les quatre mois, une nouvelle maladie est transmise du monde animal à l’humain.

Propos recueillis par Anne-Sophie David