La synthèse de la commission d’enquête sur la souveraineté et l’indépendance énergétique est édifiante. Au-delà du fiasco qu’elle révèle, elle ébauche les contours d’une nouvelle méthode d’évaluation des politiques publiques, et trace le chemin d’un new deal énergétique.

"Consternation", "divagation politique", "décisions prises à l’envers, sans méthode, sans prospective", "inconscience et électoralisme" : c’est peu dire que le rapporteur de la commission d’enquête ne mâche pas ses mots, ne retient pas ses coups. Un réquisitoire en forme d’uppercut d’autant plus cinglant pour les responsables qui se sont succédé depuis trente ans à la tête du pays, qu’un procès en chasse aux sorcières partisane ne saurait tenir au vu de l’arc-en-ciel des couleurs politiques qui ont apporté leur pierre à ce baroque édifice. Au terme de près de 150 heures d’auditions, de 5 000 pages de contributions écrites recueillies, d’une dizaine de déplacements sur des sites énergétiques et d’une cinquantaine d’auditions techniques complémentaires, la commission d’enquête retrace "le récit d’une lente dérive, souvent inconsciente et inconséquente, qui nous a éloignés de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique".

Gâchis

Un constat d’autant plus rageant que, appuyé sur un mix énergétique pilotable et déjà largement décarboné grâce au nucléaire, la France était particulièrement bien placée pour organiser de manière ordonnée la montée en puissance des énergies renouvelables, tout en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles. La guerre en Ukraine est venue rappeler cruellement à quel point cela ne s’est pas matérialisé dans les faits. Ainsi aux bonnes intentions des années 1990-2000 qui ne se sont jamais incarnées, a succédé une décennie de montée en puissance d’un cadre européen jugé comme "néfaste pour le modèle français". François Hollande en prend ensuite particulièrement pour son grade, sa loi de 2015 étant qualifiée de "contre-exemple de politique énergétique". Le jugement des années Macron est, lui, plus nuancé : "Après la poursuite de décisions dommageables, largement issues du passé récent, le pays a disposé pour la première fois d’outils de prévisions énergétiques globaux et des décisions structurantes ont été annoncées." Entre temps, les aléas du monde étaient certes venus rappeler au pensionnaire de l’Elysée que la question énergétique doit être replacée au cœur de la politique économique, industrielle et écologique du pays.

"Il ne paraîtrait pas insensé de passer d’autres champs de l’action politique au filtre de cet exercice"

Chantiers

Au sein d’un système démocratique biberonné aux chaînes d’info en continu et dont le temps d’attention ne semble que rarement excéder celui du poisson rouge, la commission insiste sur l’indispensable construction d’une ambition énergétique sur le temps long, combinant objectifs réalistes et politique industrielle adéquate, défense de nos intérêts au niveau européen et décarbonation, sobriété et souveraineté. Le tout dans un cadre pronucléaire assumé. Pragmatique pour les uns, dogmatisme atomiste pour les autres. À chacun de juger. Le rapporteur formule en ce sens 30 propositions concrètes bien que parfois lacunaires, mais dresse surtout une méthode. "Quand on regarde bien, cette commission, malgré quelques "trous dans le mix énergétique" des conclusions, plaide en fait d'abord et surtout pour la cohérence, le long terme, et la hiérarchie des moyens d'action avec des critères objectivables, en ne découplant pas la décision politique de l'analyse technique. Si elle y contribue significativement, nous aurons franchi un cap", ose à peine se réjouir Jean-Marc Jancovici sur LinkedIn.

À ce compte, il ne paraîtrait pas insensé de passer d’autres champs de l’action politique au filtre de cet exercice. Son caractère public et exhaustif, mobilisant experts et responsables politiques, jusqu’aux anciens présidents de la République, apporte une lumière bienvenue, pour ne pas dire une introspection salvatrice sur la fabrique politique.

Antoine Morlighem