Depuis la sortie de la crise sanitaire, l’inflation inquiète et la chute des valeurs locatives interpelle. L’impact de ce double phénomène sur les baux commerciaux provoque, par l’effet de l’indexation des loyers sur la base d’indices corrélés aux prix à la consommation, une déconnexion des loyers avec les valeurs locatives. Dans ce contexte, une recrudescence des demandes de révision est à prévoir.

Les valeurs locatives baissent et l’inflation galope

Depuis 2020, l’épidémie de Covid-19 a induit une diminution généralisée de la valeur locative des locaux commerciaux servant à déterminer le montant des loyers des baux commerciaux (il a été évoqué en juin 2021 une diminution, en moyenne sur la France, de 20 % de la valeur locative).
Depuis plusieurs mois, la guerre en Ukraine a accéléré l’inflation observée depuis la sortie du premier confinement (selon l’Insee, l’inflation s’est établie, au 31 mai 2022, à 5,2 % sur un an, soit un niveau jamais atteint depuis 1985, et devrait augmenter jusqu’à un peu moins de 7 % en septembre avant de se stabiliser à ce niveau en fin d’année).
Cette hausse généralisée des prix à la consommation entraîne mécaniquement une envolée des indices utilisés pour indexer le montant des loyers des baux commerciaux. En effet, l’Indice des loyers commerciaux (ILC) comme l’Indice des loyers activités tertiaires (ILAT) sont essentiellement calculés sur la base des moyennes sur les douze derniers mois de l’Indice des prix à la consommation (IPC) et l’Indice du coût de la construction (ICC).
Il en résulte qu’une décorrélation est attendue entre l’évolution de la valeur locative des locaux commerciaux et l’évolution des loyers commerciaux indexés selon les indices ILC et ILAT. Cette situation économique devrait être à l’origine de demandes de révision des loyers commerciaux sur le fondement des articles L. 145-38 et L. 145-39 du Code de commerce.

Les conditions pour déclencher des demandes de révision des loyers commerciaux sont réunies

De manière générale, la fixation du loyer des baux commerciaux répond à deux principes : lors de la signature du bail, le montant du loyer est librement fixé par les parties tandis que lors de la révision ou du renouvellement du bail, le montant du loyer doit correspondre à la valeur locative.

Cette situation économique devrait être à l’origine de demandes de révision des loyers commerciaux sur le fondement des articles L. 145-38 et L. 145-39 du Code de commerce

Le mécanisme de révision des loyers commerciaux permet ainsi de modifier en cours de bail le montant du loyer, à la baisse ou à la hausse, lorsque le montant originaire du loyer fixé par les parties ne correspond pas ou plus à la valeur locative. Ce mécanisme étant d’ordre public, les parties ne peuvent pas y renoncer par une clause du bail mais doivent, pour ce faire, attendre que le droit soit né, c’est-à-dire que les conditions légales de la révision soient réunies.
Lors des trente dernières années (caractérisées par une croissance économique et une inflation modérées) les conditions encadrant les deux hypothèses de révision des loyers commerciaux prévues par le Code de commerce ont néanmoins limité la possibilité et les effets de la révision.
La première hypothèse de révision des loyers commerciaux, prévue à l’article L. 145-38 du Code de commerce, ne peut en effet être mise en oeuvre que tous les trois ans et ne peut surtout aboutir qu’à une majoration ou une diminution du loyer dont le montant est limité à la variation de l’ILC ou de l’ILAT, sauf si la preuve est rapportée d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative.
De même, si la seconde hypothèse de révision des loyers commerciaux, prévue par l’article L. 145-39 du Code de commerce, peut intervenir à tout moment, elle ne peut être demandée que si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile (ce qui est assez courant désormais) mais surtout que si le jeu de cette clause aboutit à ce que le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.
Les conditions économiques actuelles donnent à penser que les demandes de révision des loyers commerciaux seront nombreuses dans les prochains mois puisque (i) il semble désormais possible d’invoquer la diminution de la valeur locative due à l’épidémie de Covid- 19 pour se départir de la limitation à la variation de l’ILC ou de l’ILAT du montant du loyer révisé triennalement sur le fondement de l’article L. 145-38 du Code de commerce et (ii) la hausse attendue de l’ILC et de l’ILAT pourrait conduire à augmenter le loyer indexé de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ce qui ouvrirait la possibilité de réviser, à tout moment, le loyer sur le fondement de l’article L. 145-39 du Code de commerce.

La révision des loyers commerciaux devrait jouer à la baisse

Le mécanisme de révision des loyers commerciaux conduit à fixer le loyer à la valeur locative au jour de la demande de révision (articles R. 145-20 et R. 145-22 du Code de commerce). Ainsi, compte tenu de la forte diminution de la valeur locative observée lors des derniers mois, la mise en jeu de la révision des loyers commerciaux devrait entraîner une diminution de ces derniers, malgré la hausse attendue de l’ILC et de l’ILAT.
Dans un contexte inflationniste, nous serions en présence d’un curieux paradoxe : celui de la diminution des loyers commerciaux quand tous les autres prix augmentent. Cette situation met en exergue l’absence de réciprocité du mécanisme de limitation de la variation des loyers lors de la mise en jeu de la révision (la variation du loyer découlant d’une révision ne peut en effet conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente). En effet, aucun mécanisme de limitation de la baisse des loyers révisés n’est prévu par le Code de commerce.

Morgan Gizardin & Thomas Leblanc