Appelé à juste titre le "continent des paradoxes" par Christine Heuraux, l’Afrique possède des ressources naturelles capables de faire face aux besoins en matière d’électricité sans cesse croissants, mais détient le triste record du plus faible taux d’électrification de toutes les zones en voie de développement.

L’ Afrique est à la fois "un géant énergétique par les ressources dont elle dispose, et un nain électrique par les capacités réelles sur lesquelles elle peut s’appuyer". En effet, sur environ 1 milliard de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité dans le monde, près de 600 millions résideraient en Afrique subsaharienne. En 2014, le continent africain représentait 3 % de la consommation mondiale d’électricité, alors que son poids dans la population mondiale était de l’ordre de 15 %. Le taux d’électrification du continent africain serait néanmoins passé de 42 % en 2015 à 54 % en 2019. Un chiffre qui reste relativement bas, compte tenu du potentiel énergétique du continent. Quant au taux d’électrification rurale, il était selon un rapport de 2011 de 23 % sur tout le continent, dont 12 % en Afrique subsaharienne.

Pression démographique

Une population qui augmente entraînant de facto une augmentation de la demande en électricité, ce faible taux d’accès à l’électricité constitue une problématique à résoudre de plus en plus pressante. La croissance de la demande énergétique est d’ailleurs tirée par les pays émergents (+ 40 % d’ici à 2035). En 2015, le nombre de jeunes africains devant arriver sur le marché du travail dans les quinze années à venir était estimé à 330 millions, dont 200 millions en milieu rural. En  2050, ce nombre devrait dépasser les 2,4 milliards, avec une augmentation de plus de 150 % de la population en Afrique de l’Ouest, de l’Est et Centrale.

L’électricité : clé pour le développement

La difficulté qu’ont les États africains à faire face à la demande énergétique électrique sans cesse croissante et son coût relativement élevé constitue un frein au développement économique et social du continent. Selon un rapport de  2015, un peu moins de la moitié de la population d’Afrique subsaharienne vivait avec moins de 1,25 dollar par jour. Or, l’utilisation de l’électricité a été identifiée comme ayant des impacts macroéconomiques, sociaux et environnementaux positifs. L’accès universel à une électricité à bas coût, en synergie avec l’essor d’autres secteurs stratégiques (agriculture, élevage, pêche et aquaculture, artisanat, industries…) permettraient en effet la création de richesses, notamment dans la mesure où il permettrait, par exemple, l’augmentation bénéfique des revenus des ménages ne dépensant plus autant dans les factures d’électricité. La pauvreté serait ainsi réduite et le développement humain des populations s’en trouverait facilité grâce à une meilleure qualité de vie (urbanisation, éclairage, climatisation, conservation des denrées, accès à l’information par le biais d’Internet, de la radio, de la télévision, meilleures prestations au niveau des services de santé, meilleures conditions d’études pour les enfants...). Somme toute, l’électricité, comme l’indique l’auteur guinéen Mamadi Camara, représente pour "l’économie ce que le sang est pour l’humain".

Lever les verrous

Pour tenter de résoudre la problématique de l’accès à l’électricité et ainsi réduire les fractures énergétiques du continent africain, les gouvernements font de leur résolution une priorité majeure. Nos travaux scientifiques et l’assistance de notre cabinet au secteur privé et public au Bénin, en Guinée et au sein de plusieurs autres pays d’Afrique de l’Ouest dont le Sénégal et le Mali, nous ont permis dresser les constats et propositions suivants (liste non exhaustive) :
1. les États gagneraient à encadrer via une sorte de "guichet unique" la flopée d’initiatives régionales comme internationales, privées comme publiques qui peuvent s’avérer in fine contre-productives (doublons dans les projets, absence de suivi et d’évaluation des projets nationaux et régionaux, financements mal utilisés et mal orientés, gabegies financières, mimétismes injustifiés…). Il devient aussi urgent que chaque État se dote d’une politique de planification sectorielle et adopte la rigueur nécessaire pour son application. Par ailleurs, il conviendrait de formaliser un cadre de concertation national entre les États et le secteur privé pour éviter la mise en place d’actions déconnectées des réalités.
2. Les acteurs institutionnels, souvent trop nombreux, ne se concertent pas toujours dans l’élaboration et l’exécution. Par ailleurs, la création institutionnelle s’effectue parfois de manière arbitraire, à la faveur d’études segmentées et non globales, ou de besoins ponctuels. Ici également, nous assistons à un mimétisme pas toujours justifié en lieu et place d’un réel diagnostic sur les besoins existants. Enfin, plusieurs acteurs du secteur, étant donné leur mode de nomination par exemple, ne sont pas véritablement indépendants à notre sens vis-à-vis du pouvoir politique. Privilégier des nominations ou des sélections à la suite d’appels à candidatures serait une piste à envisager.
3. Les outils permettant d’intervenir dans le secteur de l’électricité (partenariats public-privé, marchés publics, concessions/licences…) à l’intention du secteur public comme du secteur privé sont parfois mal conceptualisés, mal maîtrisés et insuffisamment vulgarisés. Il importe une fois encore de privilégier une approche empirique aux fins d’identifier les meilleurs outils au service du secteur. Enfin, nous notons un trop grand écoulement de temps entre l’adoption des nouvelles lois et leurs décrets d’application.
4. Il devient également urgent de développer une offre globale de formation universitaire et technique, pérenne et crédible, des cadres privés et publics du secteur. Les formations ponctuelles devraient venir en appui et non en remplacement.
5. Face aux financements classiques tels que les emprunts et les subventions qui demeurent toujours conditionnés, les États pourraient sérieusement envisager les pistes de mobilisation de l’épargne publique (appel public à l’épargne via introduction en Bourse ou non, financements participatifs, autoconsommation collective…).

Intérêt général

En conclusion, les solutions pour remédier aux fractures énergétiques du continent africain sont globalement connues et ne cessent d’être présentées dans plusieurs rapports, ou encore à l’occasion de nombreuses conférences sur le sujet. Nonobstant ce constat, le chantier reste colossal, même si des pays tels que le Bénin et la Côte d’Ivoire s’illustrent positivement. Aussi, de même qu’il est inutile de s’attendre à des résultats différents en usant des mêmes méthodes, il serait temps que, même dans ce secteur sensible qu’est la fourniture d’électricité, les pouvoirs publics remplissent leurs rôles de dirigeants au service de l’intérêt général, mais laissent effectivement les pouvoirs techniques qualifiés à la gestion.

 

Sources:
- Christine Heuraux : "L’électricité au cœur des défis africains. Manuel sur l’électrification en Afrique", 2010
- "L’électricité en Afrique ou le continent des paradoxes", 2011
- ADEA, IFDD: "L’énergie en Afrique à l’horizon 2050", septembre 2015
- Olivier Appert, "L’après pétrole: où en sommes-nous", l’ENA hors les murs, novembre 2012, n° 426
- Banque Ouest Africaine de développement, présentation de l’ IRED, septembre 2011
- Hugo Le Picard, "L’électrification de l’Afrique subsaharienne: en quoi l’électrification de la région est-elle un enjeu majeur ?", janvier 2021.