Tandis que les observateurs décryptent les variations des prix de l’immobilier dans le monde réel, fini et archaïque, la frénésie spéculative envahit les métavers, mondes fictifs et exaltants, dont la valeur des mètres carrés atteint des montants extravagants. Une nouvelle bulle immobilière qui cacherait celle dont on nous promet l’explosion depuis quelques années ?

Si la vie est absurde, il n’existe pas de terme pour définir son extension virtuelle. Mis à part la possibilité d’aller chercher le réconfort que sa seule existence ne lui offre plus, l’individu à travers son avatar est désormais en mesure de s’épanouir socialement dans un univers numérique, soumis à des règles, des formes et des codes sociaux calqués sur le monde réel. En somme, une bénédiction pour des investisseurs, jamais timides lorsque leur est présenté un nouveau terrain de jeu. Ce nouvel écosystème permet d’acquérir des terrains, immeubles, boutiques, dans l’hypothèse aujourd’hui un peu farfelue, que ces possessions seront, un jour, rentables. Ce qui distingue ces mondes des jeux, c’est qu’il n’est plus question de gemmes, de pièces d’or ou de Simflouz mais de cryptomonnaies. Dans un monde où le burlesque est devenu banal, l’intelligence artificielle se substitue à la paresse intellectuelle et les mètres carrés désincarnés ont un prix car tout s’achète.

Demande et offre

En quoi consiste un investissement immobilier dans le métavers, en réalité ? Tout bonnement à une anticipation de création de valeur soustraite de la possibilité qu’elle ne se matérialise jamais, soit la définition même de la spéculation. Si ça marche, il vaut mieux en être, sinon, c’est le jeu. Tokens.com a fait ce que l’on pourrait appeler une affaire en acquérant une parcelle non construite d’environ 565 mètres carrés sur le métavers Decentraland pour 618 000 Mana soit 2 petits millions d’euros. Andrew Kiguel, cofondateur et PDG de la structure, en convient : "Si je n'avais pas fait de recherches, si je n’avais pas compris qu'il s'agit de propriétés à potentiel, cela paraîtrait complètement absurde". L’emploi du conditionnel plutôt que de l’indicatif et l’usage du terme "paraître" plutôt qu’"être" sont autant de manifestations de l’ampleur du phénomène, de la déraison de ses usagers. Toujours dans l’optique de justifier un tel achat, le manitou du commerce poursuit : "On pourrait rentrer dans une boutique avec son avatar, regarder des modèles 3D d'une chaussure que l’on aurait la possibilité de tenir entre nos mains et poser des questions." Poser des questions, assurément, comme c’est déjà le cas sur une majorité de sites, sous forme de robot ou de foire aux questions. Pour ce qui est de tenir une chaussure entre nos mains, c’est parfaitement envisageable dans un magasin de chaussures, à la singularité près que dans cette éventualité, les souliers sont réels, consistants et palpables.

Dans un monde où le burlesque est devenu banal, l’intelligence artificielle se substitue à la paresse intellectuelle

Réalité diminuée

L’ennui avec l’offre c’est qu’elle répond, généralement, à une demande, quand elle ne la compose pas de toutes pièces. Le succès du métavers, quand bien même il interpelle, est bien réel et ses usagers, peu importe ce qu’ils recherchent ou fuient, s’y répandent. En juillet dernier et en marge de la création de son propre métavers, Mark Zuckerberg assurait : "La qualité essentielle du métavers sera la présence, le sentiment de vraiment être là avec les gens." Une possibilité augmentée dans la vie réelle où l’on a parfois le sentiment d’être vraiment là, avec les gens. Un message qui, à défaut d’alarmer, s’est traduit par le déploiement d’un intérêt massif pour les métavers, du seul fait que le chef d’internet s’y implique. Ce qui intrigue dans cette profession c’est bien cette volonté de calquer le réel, comme si l’objectif latent consistait à s’en affranchir totalement. L’incertitude vécue et éprouvée ces deux dernières années aurait pu conduire à un abandon du conceptuel au profit de l’essentiel. Au lieu de ça, et la perspective est peu réjouissante, peut-être cette période va-t-elle marquer le début d’une vie sans ses contraintes habituelles, les mêmes que les gens semblent de moins en moins prêts à accepter.

Pour l’heure, les quelques événements organisés dans des métavers se sont soldés par des échecs, à condition qu’un concert virtuel qui rassemble quelques centaines de personnes ne soit pas, en soi, un semi-succès. Les superficies virtuelles ne gagnent pas encore de terrain sur les superficies authentiques, ou alors très peu. La spéculation concrète et palpable triomphe encore de l’abstraite. Pourvu que ça dure. L’avantage avec la nouveauté, c’est qu’elle est provisoire.

Alban Castres