Les marques sont au cœur d’une période charnière dans laquelle il devient compliqué de ne pas communiquer sur l’écologie mais où le consommateur n’est déjà plus dupe. De quoi remettre en cause le principe même de greenwashing et s’interroger sur le bien-fondé de sa généralisation.

En bien ou en mal, pourvu qu’on en parle. Certaines entreprises, à travers des publicités invraisemblablement écologiques et écologiquement invraisemblables, semblent obéir à ce dicton, quitte à sacrifier une tranche de leur crédibilité quand elles ne se délestent pas, tout bonnement, d’un fragment de leur âme. Il convient, en préambule, de distinguer l’écologie du greenwashing, l’authenticité de l’escroquerie, l’herbe du synthétique.

Traduit de l’anglais par l’occurrence “écoblanchiment” dans le Petit Larousse ou Le Robert, lorsque le Grand Dictionnaire terminologique suggère les tournures “mascarade écologique” ou “blanchiment vert”, le greenwashing répond à une volonté de communication et de marketing visant à laisser entendre une quelconque responsabilité écologique de l’entreprise. Ces propositions publicitaires sont encore plus extravagantes lorsqu’elles vont à rebours de ce que l’entreprise inspire dans l’inconscient collectif ou produit en pratique. Faire passer des vessies pour des lanternes constitue un exemple convaincant du phénomène.

EasyJet s’est récemment distingué dans ce périlleux exercice avec un slogan audacieux : “Notre ambition : des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050”. L’accroche se prolonge par un engagement d’accueil à bord de tels avions dès que les technologies innovantes étudiées le permettront, un “dès que” qui a ça d’intéressant qu’il consent à mépriser les mots qui le précèdent. Le propos tutoie un peu plus le surréalisme, s’il ne gifle pas, tout simplement, l’entendement, lorsque l’on sait que l’impact carbone n’est pas imputé aux billets d’avions, ce qui autorise la compagnie à proposer des billets Paris-Marrakech de nuit à 29 euros, comme si les avions polluaient moins une fois le soleil tombé. Un état de fait dont s’est récemment insurgé Jean-Pierre Farrandou, PDG de la SNCF, prestement recadré par le gouvernement. Le phénomène s’insinue également dans les discours, à l’échelle de l’individu, et se traduit généralement par une moralité permanente et l’auto-imposition de mesurettes. Les personnes engageant ce type de comportement considèrent que l’avion ce nest pas bien, que l’avion ça pollue, excepté lorsqu’il s’agit de rejoindre le Chili pour leur trek éco-responsable annuel. S’aventurer à les mettre devant leurs contradictions revient à prétendre enseigner le ski nautique à un butternut. Du fait, de la différence entre l'exigence et l’image, il existe aujourd’hui un fossé entre la bonne volonté et le cynisme.

À quoi bon ?

Le postulat qui consisterait à utiliser le prétexte du développement durable pour vendre est peut-être le mobile le plus inepte, la crédulité du consommateur ayant assez largement exhibé ses limites. Les publicitaires partiraient du principe que le chaland en saurait moins qu’eux, le même qui s’étonne que lui soient présentées des bananes à l’enveloppe naturelle hermétique, emballées de plastique, sur les étals de supermarchés ou qui s’indigne de la vente d’un œuf dur épluché, proposé à l’unité dans un contenant personnel. On peine à croire que ces marchands de vert, promoteurs de vide mais virtuoses de la psychologie consumériste, ne conceptualisent pas ces non-sens intellectuels sans idée derrière la tête, par ignorance profonde du monde qui les entoure. En d’autres termes, si personne ne marche dans la combine, il apparaît que la plus probante justification du greenwashing procède de la volonté de faire parler, sans impératif de bonne réception du message originel.

Du fait, de la différence entre l'exigence et l’image, il existe aujourd’hui un fossé entre la bonne volonté et le cynisme

Pour l’heure, il n’en demeure pas moins que l’hypothèse la plus vraisemblable résiderait dans une volonté d’amuser la galerie. Sur LinkedIn, “Perle de greenwashing” recense le meilleur de la communication écologique. Une mise en avant doublée d’une analyse objective des publicités qui affichent un désir environnemental malgré une pratique en la matière limitée, inexistante, voire négative. La page s’honore d’une double mission qui consiste, pour les entreprises, en la remise en question de la communication de surface, sans démarche effectivement vertueuse, et, pour les citoyens, en l’éducation aux problématiques environnementales. Si la population n’est pas forcément prête à faire les efforts nécessaires pour prendre part au combat contre le réchauffement climatique, la vertu individuelle au profit du collectif s’étant parfois révélée impuissante, son esprit demeure assez affuté pour détecter l’énormité, son sens moral suffisamment vif pour dénoncer l’affront.

Déni

Alors à quoi sert le greenwashing ? Au mieux à faire rire, au pire à se tirer une balle dans le pied. Une question demeure donc : pourquoi ? Pourquoi les entreprises se livrent-elles à cet exercice sur lequel plus grand monde n’est plus vraiment dupe ? Il ne s’agit le plus souvent pas d’un mensonge éhonté, mais plutôt d’une exagération ou d’une mise en avant vertueuse cachant une forêt d’omissions moins glorieuses. Même si des slogans tels que “fuel for the planet”, vantant les mérites d’un carburant éco-compensé peuvent mettre à mal toute bonne volonté de voir le meilleur dans l’humanité. Ce n’est pas un problème mineur, comme le rappelait Laurence Tubiana, l’une de chevilles ouvrières de l’Accord de Paris dans un entretien accordé au Monde :“Le greenwashing est aujourd’hui le nouveau déni climatique, et il met à risque l’Accord de Paris. Avant, on niait la réalité du changement climatique. Maintenant, on la reconnaît, mais on se contente de dire qu’on va s’en occuper.” 

Prendre les gens pour des imbéciles sur leur temps de cerveau disponible s’avère chaque jour un peu plus risqué

Faites-vous du greenwashing ?

Dans son “Guide anti-greenwashing”, l’Ademe propose aux entreprises un petit travail d’introspection écologique en posant une question en apparence ingénue : “Faites-vous du greenwashing ?” Elle relève notamment trois signes les plus courants et qui ne trompent pas. La promesse excessive : le produit est présenté comme totalement écologique alors que seul un de ses éléments l’est ou la démarche est présentée comme un élément essentiel de la politique de l’entreprise, alors que ce n’est pas le cas. L’absence ou l’insuffisance d’information ou d’argumentaire : l’avantage écologique n’est pas expliqué ou insuffisamment pour que l’on comprenne vraiment son intérêt qualitatif et quantitatif pour l’environnement ou la société. Un visuel confus : le visuel accompagnant le message a un lien avec l’écologie (éolienne, énergies renouvelables, etc.), mais aucun avec le produit ou la démarche évoquée, induisant la confusion dans l’esprit du consommateur. En matière de communication durable comme en tout, la rigueur est de mise. D’autant que cela peut coûter cher, aussi bien en termes d’image que financiers : en avril 2021, une loi a durci les sanctions contre le greenwashing dans le code de la consommation, avec un système d’amendes. Certes encore peu dissuasives.

Humilité

Alors que faire ? Comment parler d’écologie honnêtement, de manière constructive, sans s’exposer aux posts ravageurs de "Perle de greenwashing" ou à un clash en bonne et due forme d’un Jean-Marc Jancovici agacé ? La recette est simple et se résume en un mot : l’humilité. L’avenir n’appartient pas aux fanfarons mais à ceux qui, avant de travailler leur message, se penchent sérieusement et sans œillères sur leur produit ou service. Il appartient à ceux qui évaluent, chiffrent, documentent de manière exhaustive leur écosystème pour engager une transformation profonde. Il appartient à ceux qui tracent un chemin et en présentent honnêtement les points d’étape et les avancées aux consommateurs. “Ça ne fait pas rêver”, s’étoufferont sans doute les publicitaires et communicants jamais avares de strass et de paillettes. Peut-être. Mais prendre les gens pour des imbéciles sur leur temps de cerveau disponible s’avère chaque jour un peu plus risqué.

Alban Castres et Antoine Morlighem