Emmanuel François, président de la Smart Buildings Alliance, nous donne son approche concernant l’évolution des bâtiments suite à la crise, tant du point de vue environnemental que numérique.

Décideurs. Quel impact a eu la crise sur vos projets ?

Emmanuel François. La Smart Buildings Alliance (SBA) est là pour accompagner les acteurs du bâtiment et de la ville dans leur transition numérique et environnementale. Plus précisément, nous sommes à l’origine de cadres de référence et de guides méthodologiques pour les accompagner sur la manière de repenser les bâtiments et la ville à l’heure du numérique. Par ailleurs, la crise a été un catalyseur de l’importance du numérique dans notre société actuelle et a précipité certaines mutations nécessaires pour répondre aux enjeux auxquels nous faisons face.

Cette accélération s’est traduite par la mutation des activités humaines, notamment avec la mise en place du télétravail pour une grande partie de la population. Cela a également permis de mettre en avant d’autres sujets comme l’e-santé, la consultation à distance, le e-learning, la e-culture, l’essor due-commerce : la plupart des activités humaines a évolué et nous faisons face à une hybridation de notre société. Nos bâtiments, trop figés, sont de plus en plus inadaptés à ces évolutions de société.

Quels sont, selon vous, les leviers pour améliorer la performance des bâtiments ?

Le premier levier, le plus nécessaire, est le numérique. En effet, il permet d’avoir une approche transversale et d’aller vers des espaces multi-usage comme le coliving et le coworking. Ces surfaces évolutives peuvent être dédiées à des activités diverses dans la même journée, ce qui permet d’optimiser les ressources et de créer de l’emploi. Par exemple, cela peut être une chambre partagée dans un immeuble qui se transforme en un espace de télétravail dans la journée. Ce modèle est réalisable à partir du moment où un service permet d’opérer la transition. Nous pouvons également donner l’exemple de l’école augmentée équipée d’outils audio et vidéo offrant la possibilité de pratiquer un enseignement à distance tout en proposant l’accueil des personnes physiquement, et éventuellement de rester ouvert le soir pour des formations professionnelles. Les collectivités et le ministère de l’Éducation nationale doivent opérer une mutation en profondeur des établissements scolaires et universitaires, au même titre que les modes d’enseignement ou de formation doivent évoluer comme cela a été expérimenté pendant la crise sanitaire alors même que peu d’infrastructures étaient en place.

La crise a-t-elle renforcé la nécessité de mieux penser les bâtiments ?

Tout à fait, la crise a mis en avant le fait que ces bâtiments sont sous-utilisés : ils ne sont exploités que 30 % du temps mais continuent de consommer de l’énergie les 70 % de temps restant. Cela a été mis en évidence lors des confinements successifs, ce qui est inacceptable au XXIe siècle. Tous ces éléments démontrent que les bâtiments ne sont pas adaptés à la crise environnementale. Aujourd’hui, 2 millions de mètres carrés sont disponibles en Île-de-France et avec l’essor du télétravail, de plus en plus d’entreprises ont décidé de réduire leurs espaces de bureaux. L’objectif est de changer de modèle d’aménagement en passant de 80 % d’espaces de bureaux privatifs à 20 %.

Que pensez-vous de l’objectif de décarbonation et de ce que cela implique en immobilier ? 

L’un des enjeux de cette première partie du  XXIe siècle est de repenser l’urbanisme pour aller vers une meilleure utilisation des ressources, notamment autour de l’usage des bâtiments et de la mobilité. Avant de construire, il convient de mieux utiliser l’existant. Nous devons nous diriger vers une approche transversale permettant de mutualiser les ressources, à commencer par les espaces et la mobilité, mais également les équipements et systèmes. Aujourd’hui, la plupart des acteurs proposent des solutions verticales et souvent hermétiques, répondant à une problématique donnée (efficacité énergétique, optimisation d’espaces, recharge de véhicules, assistance aux seniors, etc.) mais ne mutualisent pas les équipements ou systèmes en place : chez SBA, notre objectif est d’accélérer ce processus.  

Quelle est votre vision de la ville de demain ?  

De mon point de vue, les villes sont le reflet des civilisations et il faut donc les repenser car elles ne sont plus adaptées à notre société actuelle. Pour optimiser les ressources, c’est au niveau des villes qu’il faut agir en premier lieu, celles-ci représentant près de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Elles doivent être plus sobres et proposer plus de proximité afin de réduire les mouvements pendulaires de certaines personnes tout en recréant du lien et plus de mixité sociale et d’usages, à commencer par les bâtiments ou les véhicules. De même, nous devons évoluer vers une hybridation des réseaux, centralisés et décentralisés, c’est à dire une production, un stockage local et un retraitement de l’eau, de l’énergie ou des déchets, ce qui permettra d’aller vers des citoyens plus responsables, plus impliqués et donc vers une ville plus responsabilisée. 

Propos recueillis par Clémentine Locastro