Dans quelle mesure la crise sanitaire actuelle peut-elle permettre au secteur de la fabrique de la ville de se préparer à affronter la crise climatique ? Laurent Morel, président de l’Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB), partage ses réflexions avec Décideurs.

Décideurs. Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise sanitaire et du confinement ?

Laurent Morel. Cette crise sanitaire remet en question la capacité d’anticipation de notre société. Son apparition était une possibilité que des experts avaient identifié depuis plusieurs années. Et même quand le virus a commencé à se diffuer en Asie, plusieurs semaines avant de toucher l’Europe, nous avons tardé à réagir. Nous devons donc tirer les leçons de cette situation pour nous préparer à faire face à la crise climatique. Cette dernière n’est plus une éventualité mais une certitude. Il est urgent d’instaurer une nouvelle scénarisation des futurs possibles, y compris ceux indésirables, pour améliorer la résilience de nos sociétés et des villes qui sont les lieux de la densité et de l’intensité d’usages. Cette approche est d’ailleurs en passe de redevenir centrale dans les réflexions stratégiques des entreprises après avoir été délaissée au cours de ces dernières années de croissance économique continue et linéaire.

Autre enseignement important, les citoyens ont été capables d’accepter un niveau de contraintes incroyable pendant le confinement. Cela a été particulièrement vrai dans les villes. Nous sommes donc en mesure de faire les efforts nécessaires face à un danger existentiel. Si nous instruisons le sujet du dérèglement climatique correctement, honnêtement et scientifiquement, les habitants seront prêts à accompagner les changements d’usages, que ce soit au niveau des transports, des services ou de la consommation, pour augmenter la résilience de la ville et préserver ce qui en fait l’essence, à savoir la création de richesses, l’intensité culturelle et l’acquis démocratique.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement ?

Il a réussi à gérer l’urgence. Néanmoins, gouverner, c’est prévoir. Or nous avons constaté qu’il y avait eu un déficit de préparation. Le gouvernement n’étant que l’expression de la société, il souffre de cette incapacité à imaginer les avenirs possibles, contrastés et non linéaires. Mais le tir peut être corrigé, notamment en ce qui concerne la prospective de la ville. Un grand concours d’idées avait été organisé il y a plusieurs années pour préfigurer la Métropole du Grand Paris par exemple. Même si le défi climatique avait été sous-estimé à l’époque, le processus était intéressant.

Quel pourrait être le rôle de l'industrie immobilière dans la relance économique ? 

Quand la RE2020 sera mise en application, elle constituera un solide relais de relance. L’IFPEB a réuni les acteurs les plus dynamiques de la construction au sein du « Hub des prescripteurs bas carbone » afin de fédérer leur intelligence collective et de tirer le maximum de ce futur cadre réglementaire révolutionnaire. En réalisant des opérations neuves en ligne avec les ambitions de la RE2020, les constructeurs la renforceront et inciteront de fait les collectivités locales à exiger son application sur leurs territoires. Les hommes politiques locaux auront en effet un rôle crucial à jouer en autorisant la construction de programmes qui tiennent les objectifs de cette nouvelle réglementation.

Dans quelle mesure cette crise sanitaire pourrait-elle faire évoluer à moyen terme les grands principes de fonctionnement du secteur de la fabrique de la ville selon vous ?

Cette crise sanitaire va renforcer la volonté des acteurs de la fabrique de la ville à préparer collectivement les transformations nécessaires pour faire face à la crise climatique. Nous devons commencer par scénariser nos futurs. Viendra ensuite le temps de l’implémentation. Pour ce faire, nous disposons déjà des outils réglementaires nécessaires avec les SCOT, PLUI, permis de construire et la future RE2020. Des acteurs comme l’IFPEB se mobilisent pour qu’ils donnent leur pleine mesure. Quant à la volonté de faire, elle se manifeste déjà, notamment grâce aux mouvements citoyens qui militent pour une ville plus résiliente et plus sobre. Nous serons donc en mesure de tirer le meilleur parti des actifs urbains existants dans les métropoles en les rendant compatibles avec les nouvelles contraintes liées à la physique, à la nature et à l’augmentation de l’activité humaine.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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