Les échanges entre le gouvernement et les fédérations du BTP ont mis la construction sur le devant de la scène ces derniers jours. Christophe Lapp, avocat associé d’Altana, détaille pour Décideurs les implications de la crise sanitaire sur le droit du secteur et, par extension, sur le marché*.

Décideurs. Quel est l’impact à ce jour de la pandémie de coronavirus sur votre activité en droit de la construction ?

Christophe Lapp. Nous avons un surcroit de travail. Le gouvernement a peiné à édicter des règles claires, ce qui contribue à l’instabilité juridique. Et ce d’autant plus que la problématique ne porte pas sur le droit de la construction en tant quel mais sur des questions de droit du travail et de droit pénal. Par ailleurs, l’activité arbitrale, qui constitue 30 % du droit de la construction, se poursuit.

Le gouvernement et les fédérations représentant les entreprises du BTP ont trouvé un accord ce week-end. Quel regard portez-vous sur cet accord ?

Les fédérations professionnelles, en particulier celles du bâtiment et des travaux publics, sont intervenues dès la semaine dernière auprès de la ministre du Travail et du Président de la République pour demander des mesures immédiates de suspension des chantiers. Leur objectif n’était pas d’arrêter l’activité économique mais d’avoir du temps pour définir un cadre, une organisation, et mettre en place les mesures nécessaires à la poursuite des chantiers en préservant la sécurité sanitaire des travailleurs. Cette ambition a été mal comprise par l’exécutif. L’accord annoncé samedi a eu le mérite de permettre aux fédérations et au gouvernement de se comprendre. Nous sommes maintenant dans l’étude de méthodes de travail qui permettront d’assurer la sécurité des travailleurs. Il demeure néanmoins des zones d’ombres importantes. Elles tiennent en grande partie au fait que le gouvernement et les fédérations essaient de lutter contre la propagation du virus tout en maintenant l’activité économique. La situation risque de durer car il est très compliqué de concilier les deux.

Le gouvernement invite les donneurs d’ordre et entreprises à ne pas rechercher la responsabilité contractuelle des entreprises, de leurs sous-traitants ou fournisseurs qui ont dû suspendre leur activité. Y aura-t-il une recrudescence des contentieux dans les semaines à venir ?

Ce n’est pas impossible mais je ne le souhaite pas. Une opération de construction se traduit toujours par la rencontre de deux intérêts antagonistes : celui du maître d’ouvrage et celui de l’exécutant. Elle est donc de nature à créer un litige. Pour éviter une inflation inutile des contentieux, tous les acteurs de la chaine de construction doivent adopter une vision coordonnée. Dans ce cas, le motif de force majeure se décline pour tous et aucun problème ne se pose. A contrario, si certains entendent poursuivre les chantiers sans se préoccuper des conditions sanitaires, d’autres peuvent invoquer le cas de force majeure. Un conflit naitra dans ce cas.

Quels sont les principaux outils juridiques à disposition pour faire face à la situation actuelle dans le domaine de la construction ?

Le monde de la construction est très sophistiqué sur le plan contractuel. Les réponses devraient donc se trouver dans les contrats pour les opérations de tailles significatives. Si ce n’est pas le cas, il convient de se référer aux principes généraux, en particulier à la force majeure. Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a indiqué le 28 février que le coronavirus serait considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises dans le cadre des marchés publics de l’Etat. Cette prise de position claire du gouvernement induit l’absence de pénalités et la prolongation du délai pour réaliser un chantier. Elle a été confirmée par deux notes du 17 mars qui émanent de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie et de la direction des achats de l’Etat. Néanmoins, nous ne pouvons pas généraliser le cas de force majeure. Il induit une crise imprévisible, qui est extérieure aux parties prenantes, et dont le caractère est irrésistible. C’est ce dernier point qui fait débat entre le gouvernement et le monde du BTP. Certains travaux sont impératifs tandis que d’autres ne sont pas urgents. Le décret du 16 mars comporte un passage interdisant « le déplacement de toute personne hors de son domicile à l’exception, entre autres, des déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ». C’est un bon point d’appui pour savoir si le cas de force majeure peut s’appliquer à un chantier ou pas.   

Quelles pourraient être les répercussions à moyen terme de cette crise sanitaire sur le droit de la construction et, par extension, sur le marché ?

Le coronavirus marquera peut-être le renouveau du concept d’imprévision qui permet de rétablir l’équilibre d’un contrat lors d’un événement impossible à anticiper. Cet aspect, qui existe depuis des décennies, dans le droit public, a été introduit dans les contrats de droit privé en 2016. Toutefois, les parties peuvent y déroger et certains l’ont exclu tandis que d’autres l’ont tu. Il sera donc intéressant de voir comment l’imprévision sera interprétée par les juges judiciaires. Concernant le marché de la construction, il serait dommageable que les échanges entre les fédérations du BTP et le gouvernement laissent à penser qu’ils puissent transiger sur la sécurité sanitaire des travailleurs au profit du maintien de l’activité économique. Ce n’est pas le cas. Cette incompréhension pourrait avoir un effet dévastateur sur l’attractivité du secteur d’ores et déjà en tension, 30 000 emplois n’étant pas pourvus à ce jour.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

*Cette interview a eu lieu en amont de la publication des ordonnances du 25 mars

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