Le succès d’une stratégie dépend fondamentalement de sa vitesse et de son ampleur, et pas simplement de la direction. L’analyse a posteriori des échecs des entreprises ou des projets, montre que l’orientation était généralement bonne mais que la vitesse a été insuffisante. Ce qui aboutit au constat : "Nous avons mené la bonne stratégie mais nous avons échoué". Ceci est incorrect.

La valeur de la vitesse
La création de valeur pour une entreprise et ses actionnaires dépend de sa compétitivité et de sa croissance. La compétitivité est fondée sur des positions fortes et durables, permettant de créer des barrières de prix, de coûts, de marques… vis-à-vis des concurrents. La croissance permet d’accroître cet avantage concurrentiel, de générer des ressources supplémentaires et de faire croître les résultats et les cash-flows. Dans les métiers où il y a une valeur au leadership et à la taille, le différentiel de vitesse explique celui de compétitivité. Prenons deux sociétés de taille 100, de marge 15, coleaders sur un marché présentant une croissance de 10 % par an et des effets d’échelle de l’ordre de 15 %. La société A croît à 30 % par an. Son expansion lui permet de baisser les prix, ce qui lui permet de gagner des parts de marché. Après 5 ans, sa taille sera de 375 et sa marge en valeur absolue sera de 55 (soit 15 % du chiffre d’affaires). La société B croît à 10 % par an (comme le marché). Après 5 ans, elle aura une taille de 160. Pour suivre le leader, elle devra également
baisser les prix. Sa marge sera négative (-5). Au final, le différentiel de vitesse entre les deux sociétés aboutira à une situation où la société A sera compétitive, créera de la valeur alors que la société B ne sera plus compétitive et détruira de la valeur.

Vitesse relative et vitesse absolue
Ce constat est d’autant plus vrai que le niveau de croissance du marché est élevé. Plus un marché est en forte croissance, plus la vitesse est un enjeu critique. Reprenons l’exemple des sociétés A et B. Sur un marché en croissance de 2,5 % par an et avec une croissance de A trois fois plus forte que celle du marché et de B, la différence de résultat d’exploitation entre A et B après 5 ans sera de 10. Si le marché croît à 10 %, la différence sera de 60. Dans ce contexte, la question n’est pas de savoir si la vitesse est importante, mais de déterminer quelle est la vitesse nécessaire pour être compétitif et créer de la valeur. La vitesse doit être définie relativement à la croissance du marché et de celle des concurrents ainsi qu’aux economics et aux leviers de compétitivité de l’industrie. C’est à partir de cette exigence stratégique que doit être défini le plan opérationnel et non le contraire. Il faut d’abord définir l’ambition de croissance, puis en déduire les stratégies (souvent disruptives) nécessaires à cette ambition et non l’inverse. Si l’ambition est trop élevée par rapport aux capacités opérationnelles perçues, il faut soit renoncer, soit changer d’approche (acquisitions, partenariats, modèle d’activité différent, organisation spécifique…).
Comment atteindre la vitesse optimale ?
La vitesse et l’ampleur d’un développement sont un choix que doit définir une entreprise et non une contrainte qu’elle subit. Fixer le bon niveau et réussir à mettre en œuvre la bonne vitesse nécessite d’actionner cinq leviers:
1. Se focaliser sur les priorités
Une entreprise avec un nombre limité d’axes de croissance va plus vite qu’une entreprise avec de nombreux projets de croissance. Le top management y consacrera davantage de temps et d’attention; il pourra y contribuer plus efficacement. Les équipes seront obligées de réussir chaque axe de croissance car les implications seront significatives pour l’entreprise. Elles sauront mieux arbitrer et établir les priorités; elles ne seront pas tentées de se disperser. Il faut donc se focaliser sur les principaux projets qui apporteront la majeure partie de la valeur. 
2. Allouer les ressources en cohérence avec les priorités
Un projet de croissance à fort enjeu doit donner lieu à des investissements significatifs pour avoir un impact manifeste. Ces investissements se situent à trois niveaux : investissements humains, investissements en Opex, investissements en Capex. Dans le portefeuille d’activités d’un groupe, il faut au moins avoir 30 % des activités en forte croissance et investir au moins 60 % dans ces activités.
3. Adapter les modèles aux enjeux de croissance
Croître rapidement nécessite d’adapter les modèles d’activité à cette ambition de croissance. La stratégie d’Apple a toujours été de développer des innovations de rupture très différenciantes, de les déployer mondialement rapidement et ensuite de les améliorer.
L’iPhone de première génération était considéré au départ par les concurrents comme faible en termes de téléphonie (qualité de réception) et de batterie (durée d’autonomie). Ce n’était pas l’enjeu. La caractéristique du produit était d’offrir des fonctionnalités nouvelles au-delà de la téléphonie. L’arbitrage entre la qualité du produit et la rapidité de lancement est critique. Trop tôt, cela risque de détruire le concept; trop tard, cela risque de ne plus permettre de créer une différence significative par rapport aux concurrents.
4. Suivre les priorités au niveau du management
Les enjeux de croissance significatifs doivent être suivis par le président ou le directeur général. Ce sont des projets dont le succès, ou l’échec, déterminera le succès ou l’échec de la performance de l’entreprise. Si l’on considère qu’il ne doit pas être au niveau du président ou du directeur général, c’est que l’enjeu n’est pas suffisant. Il n’est alors pas stratégique ou critique pour l’entreprise.
5. Simplifier l’organisation
Seule une organisation peu complexe permet de croître rapidement. Souvent, les organisations cherchent à optimiser trop de variables en même temps (géographie, business, niveaux de gammes, modèles d’activité, marques…) pour être sûres de rendre cohérents tous les paramètres. Il s’ensuit alors des négociations « internes » d’optimisation qui réduisent la vitesse. Par expérience, ceci est long et coûteux.
Cette simplification de l’organisation passe par la définition de la (ou des deux) variable(s) devant structurer l’organisation. Elle doit être définie en fonction de la nature du business et des priorités.

Qu’en conclure ?
La vitesse et l’ampleur sont des éléments critiques d’une stratégie et sont souvent sous-estimées à tort au profit de la direction. Ils nécessitent une focalisation sur les enjeux principaux, des investissements importants, une organisation et un mode de fonctionnement cohérents par rapport à ces enjeux. Focalisation et simplicité sont les maîtres mots de la croissance. C’est vrai pour l’allocation des ressources comme pour les organisations.

Les points clés

  • Pour créer de la valeur à long terme, il faut croître régulièrement de plus de 7,5 % par an;
  • Le succès d’une stratégie dépend fondamentalement de sa vitesse et de son ampleur;
  • Ce ne doit pas être la conséquence de mise en œuvre opérationnelle mais une volonté forte : il faut d’abord fixer l’ambition de croissance et ensuite en déduire les stratégies (souvent disruptives) nécessaires à cette ambition et non l’inverse ;
  • Focalisation, simplicité et impact sont les maîtres mots de la croissance. C’est vrai pour l’allocation des ressources comme pour les organisations.

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SUR L'AUTEUR

Jean Berg est président de Strategia Partners, cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Zurich, New York, Seattle et Shanghai. Strategia Partners assiste les directions générales et les investisseurs dans leur stratégie de croissance et d’allocations de ressources en intégrant trois perspectives : stratégique & financière, environnementale et humaine.