Malgré le tassement du marché, Edmond de Rothschild Corporate Finance signe une nouvelle belle année, avec une hausse du nombre d’opérations réalisées. Arnaud Petit, responsable de l’activité, Thomas Hamelin, Managing Director et Paul Assaël, Head of Debt Advisory, reviennent sur les tendances et les dossiers marquants de cette année 2023 tout en esquissant un horizon optimiste pour 2024.

Décideurs. Quel bilan faites-vous de cette année 2023 ?

Arnaud Petit. Nous poursuivons notre développement. En 2022, nous avions réalisé 60 opérations, cette année nous devrions dépasser les 65. Un nombre croissant malgré un marché baissier. En dépit de la période actuelle, nous continuons à investir dans le développement de l’équipe et poursuivons notre politique de renforcement à deux niveaux. Le premier axe concerne la régionalisation. Nous avons des bureaux de banque privée dans des villes stratégiques telles que Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Lille, Strasbourg et, bien sûr, à Paris. Notre objectif est d’être au niveau du marché "Corporate Finance" avec des associés et collaborateurs qualifiés dans ces métropoles. Chez Edmond de Rothschild, nous sommes convaincus qu’être proche de nos clients est stratégique pour fournir un service de qualité, ce qui passe également par une proximité locale et régionale. Le deuxième niveau concerne la verticalisation. Nous souhaitons compléter nos expertises sectorielles sur lesquelles nous souhaitons être actifs.

Quelles tendances avez-vous pu relever sur le marché du M&A sur le cru 2023 ?

A. P. Dans un marché du large-cap qui s’essouffle, notre positionnement stratégique sur le small, mid et lower large-cap, nous a permis d’être actifs sur différents types de deals avec quelques très belles opérations. Nombre de nos dossiers porte sur du sell-side, pour près de 80 % en 2023 contre 65 % l’année précédente. Par ailleurs, nous poursuivons notre percée dans les opérations secondaires depuis plusieurs années. En 2023, nous avons ainsi dénombré autant d’opérations primaires que secondaires ; ce qui est en ligne avec notre politique car notre assise est forte sur le segment du private equity désormais. Notre réflexion en ce moment se porte, entre autres, sur la manière d’augmenter notre part de deals à l’achat (buy-side). Les dossiers, côté vendeur (sell-side), sont un bon amortisseur en temps de crise mais nous souhaitons avoir une approche diversifiée et complète. Concernant les tendances sectorielles, ce sont les mêmes secteurs qui continuent à être recherchés par les investisseurs et notamment la santé, l’éducation, le green et la tech.

"En 2022, nous avions réalisé 60 opérations, cette année nous devrions dépasser les 65" Arnaud Petit 

Thomas Hamelin. Nous avons été très actifs dans le domaine de l’éducation ces dernières années et 2023 a, de nouveau, été un très bon cru. En moins de trois ans depuis mon arrivée, nous avons réalisé près de 15 opérations. Notre structure bénéficie de la volonté de pousser les expertises clés et nous sommes reconnus et identifiés comme le conseil naturel sur les deals de place sur ce segment de marché. Nous faisons partie des rares banques d’affaires à avoir choisi de se spécialiser sur l’éducation, ce qui nous permet de remporter des mandats emblématiques du secteur. Après un premier semestre chahuté, nous avons constaté une sollicitation plus importante des acteurs financiers sur le deuxième semestre. Et l’intensité des sollicitations est comparable à 2022, avec de beaux mandats gagnés pour 2024, validant ainsi la stratégie de Edmond de Rothschild CF en la matière.

Dans ce cas, vous êtes globalement optimistes à un retour du marché sous de meilleurs auspices en 2024 ?

A. P. Effectivement la rentrée de septembre 2023 ressemblait à un point bas du marché avant un retournement positif. En octobre, nous avons observé un frémissement et, depuis le début du mois de novembre, nous avons beaucoup pitché pour des mandats de vente, nous en avons remporté plusieurs qui se lanceront en 2024. Certains fonds souhaitent notamment matérialiser de belles sorties en cette nouvelle année pour alimenter leur dynamique de levée de fonds. Enfin, il y a toujours beaucoup de liquidités sur le marché. Le financement est là grâce aux banques et fonds de dette. Mais surtout, les indicateurs macroéconomiques anxiogènes comme la croissance de l’inflation et les taux directeurs qui remontaient, se stabilisent aujourd’hui, ce qui permet d’être plus optimiste pour cette nouvelle année.

"Nous faisons partie des rares banques d’affaires à avoir choisi de se spécialiser sur l’éducation, ce qui nous permet de remporter des mandats emblématiques du secteur" Thomas Hamelin

Les sources de financement ont été un point de tension du marché important cette année. Quelle vision en avez-vous ?

Paul Assaël. Aucun de nos dossiers n’a échoué faute de financement. Bien sûr, les conditions macro-économiques font que le marché est plus tendu et les processus de levée plus difficiles mais il est toujours possible de se financer. Il est essentiel de retourner aux bases et de travailler plus en détail les "crédit stories" et les structurations sur la base de "cash-flows" sensibilisés. En effet, les prêteurs sont plus pointilleux et prudents dans leurs analyses de capacité de remboursement de dette qu’en 2021 et 2022, lorsque le marché était euphorique avec des valorisations plus importantes. Aussi, contrairement à ce qu’il se dit, les banques de financement ont joué leur rôle cette année et ont permis d’assurer une liquidité au marché. Leur prudence se traduit néanmoins par des leviers plus faibles, des parts finales moins importantes et peu de prise ferme nous obligeant à mettre en place des club-deals chronophages. Nous avons réalisé la quasi-totalité de nos opérations sous ce schéma. Le marché de l’unitranche reste quant à lui relativement actif mais pour des objets très précis comme notamment les stratégies de croissance externe. Il faut que les business plans externalisent des rendements importants permettant d’absorber le coût significatif de l’unitranche provenant principalement de la hausse des taux de base. Enfin, le suivi des prêteurs au quotidien est essentiel pour s’assurer des liquidités disponibles et évaluer la pertinence des intervenants dans les opérations. Dans ce contexte de levées compliquées, les fenêtres d’investissement s’ouvrent et se ferment plus vite qu’historiquement.

T. H. Concernant l’éducation, il n’y a pas non plus de défaut de financement. C’est un secteur qui n’a pas de Capex, ou peu, et où il y a un effet de cohorte, puisque les étudiants entrent pour des cycles de 3 à 5 ans en majorité. Ces deux aspects permettent d’avoir une grande visibilité sur les retours sur investissement et ne perturbent donc pas la possibilité de trouver des financements.

"Contrairement à ce qu’il se dit, beaucoup de banques de financement ont joué leur rôle cette année et ont permis d’assurer une liquidité au marché" Paul Assaël

C’est un secteur privilégié par les prêteurs. Quels dossiers vous ont particulièrement occupés ces douze derniers mois ?

A. P. Nous avons réalisé plusieurs belles transactions de référence dans nos secteurs. Dans le secteur de la santé, nous avons conseillé les dirigeants de Mon Véto dans le cadre de l’entrée minoritaire d’Ardian à son capital, mais aussi le groupe pharmaceutique Serb lors de la mise en place du fonds de continuation par Charterhouse Capital Partners. Enfin, nous avons travaillé sur l’arrivée de Vivalto Partners dans l’actionnariat des laboratoires Delbert. Un des segments les plus résilients au rétrécissement du marché M&A, et où nous avons été actifs, est celui du luxe. Nous accompagnons ainsi depuis plusieurs années Magellan Partners qui a acquis Adone Conseil, spécialiste du conseil dans ce secteur. Dans la même veine, nous avons aussi assisté le groupe Orest membre du consortium Platinium Invest, leader européen dans la production joaillière à destination des grandes maisons de luxe, dans son rachat par LVMH. Les deals en industrie, nous ont aussi beaucoup occupés. Pêle-mêle, nous avons accompagné la Brasserie du Mont- Blanc lors de son acquisition par Duvel, Sodikart racheté par Siparex ou encore Synov, producteur de puces électroniques, repris par Sagard à Dentressangle. Enfin, nous sommes particulièrement fiers du deal entre le groupe Constructa et la Caisse d’Épargne CEPAC, un des seuls mouvements du marché de la promotion immobilière de l’année, sur lequel nous avons pu montrer notre expertise.

Propos recueillis par Tom Laufenburger