Après une pandémie qui a mis le secteur aérien à l’arrêt, ce dernier connaît depuis 2022 un retour en force. Entre commandes records pour certains et bénéfices historiques à venir pour d’autres, constructeurs comme compagnies aériennes se trouvent à un tournant à l’heure de la décarbonation. C'est notamment le cas de l'européen Airbus.

Alors que les spécialistes du secteur prévoyaient que le trafic aérien ne renouerait avec la situation pré-Covid qu’à horizon 2025, le cru 2023 a été de très bonne facture. L’Association du transport aérien international (IATA) décompte 4,3 milliards de passagers dans le monde sur l’année écoulée et relève ses prévisions pour 2024 avec une estimation à 4,7 milliards. De quoi battre le précédent record de 2019 et ses 4,5 milliards de passagers. Par ruissellement, ces chiffres ont permis d’augmenter les bénéfices du domaine aérien selon les estimations de IATA. En 2023, ces profits ont connu une hausse de plus de 1 000 % en passant de -2,3 milliards de dollars en 2022 à 23,3 milliards. De bon augure pour renouer avec les 26,4 milliards de dollars de bénéfices de 2019.

L’art du rebond ?

Airbus sort grand gagnant de cette année triomphante. Grâce à la commande, fin décembre, de la compagnie Turkish Airlines de 220 appareils, moyens et long-courriers, d'une valeur totale de plusieurs dizaines de milliards de dollars, le constructeur conclut avec 1 503 appareils son record de contrats sur une année, en hausse de 50% par rapport à 2022. Cerise sur le gâteau, le carnet de commandes dépasse dorénavant les 8 300 appareils à livrer, l'équivalent de plus de onze années de production au rythme actuel. Avec 500 transactions de plus que Boeing, le consortium européen creuse l’écart avec son principal concurrent. L’Américain signant tout de même une bonne année avec 40% d’ordres d’achat supplémentaires par rapport à l’année précédente.

Airbus conclut avec 1 503 appareils son record de contrats sur une année, en hausse de 50% par rapport à 2022. 

Les compagnies aériennes ne sont pas en reste. Air France-KLM enregistre le meilleur bénéfice d’exploitation de son histoire au 3e trimestre 2023 en hausse de 31% pour atteindre 1,3 milliard d'euros. Le chiffre d'affaires, lui, s'est établi à 8,6 milliards d'euros sur cette période, en hausse de 8,9%. Même refrain pour la compagnie anglaise, EasyJet, qui grâce à une performance estivale record renoue avec les bénéfices sur cette année ou encore Turkish Airlines qui, avec l’acquisition pharaonique d’appareils Airbus, poursuit son ambition de devenir la première compagnie mondiale devant Emirates. Tous ces résultats seraient vu d’un œil exclusivement positif si le secteur aérien n’était pas le deuxième poste le plus émissif de CO2 après le transport routier.

Engagements durables en dents de scie

Si ces bénéfices peuvent donner l’impression que "notre maison brûle et nous regardons ailleurs" pour reprendre les mots de Jacques Chirac, les acteurs du marché aérien ont conscience de la situation climatique. L’IATA s’est engagée à la neutralité carbone à horizon 2050. Mais l’engagement de l’association internationale sur l’utilisation de carburant durable (SAF) produit à partir d'huiles de friture retraitées, de graisse animale, de résidus agricoles, ou de biomasse, est de seulement 5% de sa consommation totale pour 2030. Dommage puisque ce type de carburant émet 80% de CO2 en moins que le kérosène actuel.

Le cœur du problème réside dans la faible production de cette ressource. Selon l’IATA, elle s’élevait à 500 000 tonnes en 2023, soit le double de celle de l’année précédente et elle devrait atteindre 1,5 million de tonnes en 2024. Une maigre consolation, alors que les besoins en carburant d’aviation s’élèvent à plus de 300 millions de tonnes pour l’année prochaine. Toujours selon l’IATA, seuls 3% de la production de carburant durable sont destinés à l’aviation et 6% le seront en 2024.

Pour Willie Walsh, directeur général de l’association, "cette répartition limite l'offre de SAF et maintient les prix à un niveau élevé. L'aviation a besoin de 25 à 30 % de la capacité de production de carburants renouvelables pour les SAF", avant de renchérir : "À ces niveaux, l'aviation sera sur la trajectoire nécessaire pour parvenir à des émissions nettes de carbone nulles d'ici à 2050." De toute évidence, les producteurs de carburant comme les acteurs du secteur aérien ont encore du pain sur la planche pour ne pas voir leur jugement entraver par des bénéfices astronomiques et ainsi précipiter l’irrattrapable.

Tom Laufenburger