François Zocchetto et Matthieu Bichon, associés en fusions-acquisitions au sein du cabinet De Gaulle Fleurance, reviennent sur l’actualité politique et juridique autour des management packages, dans un contexte où la volonté gouvernementale d’améliorer la compétitivité des investissements en France coexiste avec un durcissement du traitement fiscal et social des mécanismes d’intéressement des managers.

Décideurs. Pouvez-vous revenir sur les récentes évolutions de la jurisprudence administrative et judiciaire autour des management packages ?

François Zocchetto. Le 28 septembre 2023, après avoir confirmé que des bons de souscription d’actions (BSA) acquis en contrepartie du travail devaient être soumis aux cotisations sociales au même titre que des salaires, la Cour de cassation a précisé que le fait générateur des charges sociales était la date de cession des bons, et non plus celle de sa mise à disposition au salarié. En conséquence, l’assiette des cotisations devrait être déterminée à la date de cession des BSA et non à la date de leur attribution. Cette décision limite considérablement l’attractivité de ce type de mécanisme, car, par hypothèse, la valeur du bon est plus élevée à sa cession qu’à son attribution, ce qui élargit l’assiette des cotisations. De plus, la qualification en traitements et salaires des BSA est moins favorable fiscalement que celle d’une plus-value de cession de valeur mobilière.

Matthieu Bichon. L’arrêt du 28 septembre 2023 s’inscrit dans le sillage de décisions plus anciennes du Conseil d’État sur le traitement fiscal des gains des management packages. Depuis une dizaine d’années, l’administration fiscale vient régulièrement redresser certains schémas de management packages, considérant que le gain tiré de ces mécanismes doit être qualifié de traitements et salaires et non de plus-value de cession de valeurs mobilières, contestant ainsi à leurs bénéficiaires le statut d’investisseur. L’argumentation développée par l’administration fiscale dans ces affaires repose notamment sur le fait que les revenus issus de la cession de ces titres trouvent essentiellement leur source dans les fonctions de dirigeant ou de salarié du bénéficiaire. Cet arrêt du 28 septembre 2023 constitue une confirmation de la position que la Cour de cassation avait exprimée à l’occasion de l’arrêt "Barrière " du 4 avril 2019. La Cour de cassation va même plus loin, puisqu’elle impose le calcul des cotisations sociales au moment où l’assiette fiscale est la plus importante. Ce qui est plus défavorable pour le bénéficiaire ainsi que pour l’entreprise qui l’emploie, tant en termes de cotisations que de prescription.

F. Z. Les investisseurs assistent à un durcissement des conditions d’intéressement des managers en parallèle d’une tendance de fond, plus politique, qui vise à rendre plus facile pour les entreprises la mise en place de mécanismes d’intéressement dans le but d’améliorer l’attractivité des entreprises françaises.

"l’imposition des BSPCE de jeunes entreprises innovantes ne tient actuellement pas compte du contexte restrictif dans lequel évoluent les start-up" François Zocchetto

Aujourd’hui, quelle est la position du gouvernement en matière de mécanismes d’intéressement et de partage de la valeur ?

F. Z. Pour renforcer l’attractivité de la place de Paris et la compétitivité internationale de la France, il faut des mesures incitatives en matière d’intéressement des managers, et la volonté des pouvoirs publics l’atteste. Le 19 octobre dernier, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des télécommunications, a annoncé que l’administration fiscale allait autoriser les jeunes entreprises innovantes de France à appliquer une décote d’illiquidité lorsqu’elles émettent des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE). L’argument étant, que l’imposition des BSPCE de jeunes entreprises innovantes ne tient actuellement pas compte du contexte restrictif dans lequel évoluent les start-up avec l’inexistence d’un marché à la revente pour réaliser le produit de vente de leurs titres.

M. B. Le BSPCE est un outil qui peut s’avérer très utile pour mener à bien la politique incitative voulue par les pouvoirs publics. C’est un mécanisme parfaitement adapté à l’intéressement des managers des jeunes pousses. Les entreprises en phase de croissance ont des moyens limités pour rémunérer les managers, leurs ressources étant essentiellement attribuées au développement de l’activité. Pour attirer et conserver des talents, les start-up ont donc souvent recours à l’octroi de BSPCE qui peuvent leur permettre de devenir associés de la société. Pour favoriser la réalisation de gains plus importants aux futurs managers, les entreprises pouvaient être tentées de permettre aux bénéficiaires d’exercer ces bons pour une valeur décotée, ce qui présentait certains risques. L’annonce du ministre délégué viendrait ainsi confirmer la validité d’une telle décote et apporterait plus de sécurité juridique aux entreprises et aux managers. Cette initiative envoie un signal fort pour l’attractivité de la France dans un contexte de durcissement de la position de l’administration et des juridictions sur la question des management packages.

"Les management packages continueront d'exister, mais il conviendra d'être prudent sur les modalités de leur mise en œuvre" Matthieu Bichon

Cette contradiction pourrait-elle remettre en cause l’avenir des management packages ?

F. Z. Nous sommes confrontés à une insécurité juridique accrue, ce qui influence les investisseurs. La lisibilité du dispositif français d’intéressement des managers ne va pas de soi : d’un côté les responsables publics prônent une amélioration de la situation, de l’autre, les juridictions administratives et judiciaires semblent suivre une logique différente. Ces derniers mois nous avons été confrontés à des situations où entrepreneurs et investisseurs étaient inquiets à la suite du débouclage de certains management packages, reposant notamment sur l’attribution de BSA. Aujourd’hui, ils sont dans une grande insécurité. En parallèle, les entreprises sont démunies et ne savent plus comment intéresser les managers.

M. B. L’implication, la motivation et la fidélisation des managers restent un enjeu crucial pour les entreprises. Ces mécanismes sont au cœur des opérations de private equity. Les management packages continueront donc d’exister, mais il conviendra d’être prudent sur les modalités de leur mise en œuvre. Le durcissement progressif du traitement fiscal et social des management packages pourrait, inciter les entreprises à avoir recours aux mécanismes d’intéressement légaux au détriment des outils purement conventionnels. Si l’on veut proposer un mécanisme plus sécurisé, la voie des plans d’attribution d’actions gratuites ou celle des BSPCE pourra être privilégiée. Cette tendance semble redonner de l’attrait aux plans de stock-options, tombés en désuétude ces dernières années à part pour quelques groupes internationaux.

 

Propos recueillis par Céline Toni