Malgré une année 2023 maussade, certains secteurs s’en sortent mieux que d’autres. L’attentisme, qui a été un marqueur fort de cette période, ne devrait pas perdurer à de tels niveaux l’an prochain. Bilan avec Arnaud Petit, président d'Edmond de Rothschild Corporate Finance.

Décideurs. Quel bilan dressez-vous de l’année 2023 ?

Arnaud Petit. Tant au niveau français que mondial, le marché des M&A a connu une année très difficile, marquée par une baisse des volumes de 15 % à 30 % et du marché en valeur de 40 % à 50 %. Le marché du large cap a été très touché avec moitié moins d’opérations LBO au-dessus d’un milliard d’euros. De notre côté, nous poursuivons notre développement. Nous allons réaliser plus de 65 opérations, contre 60 l’an passé. Nous avons fait, comme le marché, moins d’opérations au-dessus d’un milliard et davantage d’opérations en dessous de 100 millions d’euros. C’est l’avantage de notre positionnement sur un champ large de valeur de transactions.

Comment expliquez-vous cette dynamique ?

Les taux d’intérêt ont brutalement augmenté en peu de temps, l’inflation a accéléré, ce qui a entamé la confiance des investisseurs et pesé sur les chiffres d’un certain nombre d’entreprises. Par conséquent des décisions d’investissement ont été retardées, d’où un volume de deals moins important et une baisse des valorisations. On peut estimer également que 2023 a été une année de correction par rapport à 2021, période durant laquelle l’euphorie de marché a entraîné un peu de surinvestissement.

Quels secteurs s’en sont bien sortis ?

La santé est un secteur qui tient plutôt bien. Des consolidations et davantage d’industrialisation s’avèrent nécessaires pour renforcer nos champions français. La santé est également décorrélée des sujets économiques, et que l’année soit bonne ou mauvaise, il faut y investir. La santé est donc assez contracyclique. Par ailleurs, son côté réglementé très protecteur rassure les investisseurs.

Avez-vous également conduit des deals dans la tech et l’éducation ?

Oui. Un peu comme la santé, l’éducation est décorrélée des tendances économiques. Quand le gouvernement entend lutter contre le chômage par la formation, il met des moyens pour développer l’apprentissage et la formation, cela rassure. Un étudiant qui entre dans une école pour quatre ou cinq ans d’études permet d’apporter de la  visibilité sur le chiffre d’affaires. Sur la tech digitale, le marché des grosses levées de fonds sur les start-up pas encore rentables est fermé. En revanche, le software ou le conseil et l’IT services marchent plutôt bien, notamment poussés par la vertu de la consolidation. On constate également la montée en puissance des sociétés à impact et du secteur green, comme les énergies renouvelables, avec de réelles opportunités de marché, des sociétés qui grandissent très vite et sont bien valorisées. À l’inverse, nous avons vu des deals qui n’allaient pas au bout car la société ne cochait pas toutes les cases d’un point de vue RSE.

"Nous avons observé davantage d’opérations avec des forts réinvestissements des actionnaires"

Le contexte empêche-t-il certains dossiers d’aller au bout ?

Tout à fait. D’abord parce que parfois les vendeurs attendent encore des valorisations élevées et que les acheteurs, eux, se montrent plus prudents, ce qui bloque les négociations. Ensuite, comme l’environnement économique n’est pas bon, les entreprises peuvent afficher de mauvaises nouvelles sur leurs chiffres durant les processus. Or, les acheteurs n’aiment pas cela. Enfin, le renchérissement du financement bancaire rend certains retours sur investissement non acceptables par les fonds qui décident de ne pas se lancer.

Y a-t-il des particularités dans la manière de mener des deals propres à cette année ?

Nous avons observé davantage d’opérations avec des forts réinvestissements des actionnaires. Beaucoup de fonds ont décidé de réinvestir sur des deals dans lesquels ils étaient précédemment. Ce qui envoie de bons signaux aux candidats à la reprise. Il y a eu également beaucoup de deals minoritaires par rapport aux années précédentes. Les investisseurs entrants sont sensibles aux signaux faibles sur la confiance dans l’avenir et le potentiel de la société. Enfin, un certain nombre d’opérations a été réalisé à travers des opérations de Sponsorless, avec une majeure partie en obligations convertibles. Ce type de structuration permet aux investisseurs de bénéficier d’un taux de rendement contractualisé. De facto, la valorisation de la société devient un paramètre secondaire.

À quoi vous attendez-vous pour 2024 ?

Je suis optimiste pour 2024. Nous avons eu des années records de fonds levés en 2021 et 2022. Après une année d’attentisme, les investisseurs PE vont devoir déployer leurs liquidités sur le marché. Par ailleurs, les LPs des fonds réclament des liquidités aux GPs pour pouvoir les réemployer dans les prochaines levées de fonds. Pour ce faire, les fonds vont sélectionner des actifs à vendre. Ils porteront leur choix sur des actifs plutôt premium car ceux-ci sont davantage liquides dans ce contexte de marché difficile. Nous espérons également que les taux d’intérêt et l’inflation ont touché leur point haut. Nous nous attendons donc à un retour du private equity ainsi que du mid et large cap. Nous observons déjà un dynamisme plus fort du marché pour préparer les cessions de 2024.

Propos recueillis par Olivia Vignaud