Serial-entrepreneur, fondateur de Stuart, Benjamin Chemla a cofondé Shares en avril 2021. Déjà implantée au Royaume-Uni, cette application permet d’acquérir des actions, des ETF ou des cryptomonnaies à travers un réseau social de trading. L’objectif ? Démocratiser l’accès aux marchés financiers. A l’occasion de son lancement hexagonal, son CEO revient sur la genèse de sa société sans omettre d’annoncer les futurs services de la plateforme qui pourraient bientôt en faire un des fleurons de la fintech française.

Décideurs. Comment a débuté l’aventure Shares ?  

Benjamin Chemla. En 2020, en rentrant d’un séjour de quatre ans aux États-Unis, j’ai commencé à m’intéresser aux placements financiers. Je me suis rapidement rendu compte que je connaissais mal ces marchés et que les informations étaient opaques et difficilement accessibles. Pour me familiariser avec le jargon et m’instruire, j’ai alors rejoint des groupes de trading sur les réseaux sociaux. C’est ainsi qu’a germé l’idée de créer une plateforme qui démocratiserait l’accès aux marchés boursiers, aux actions, aux ETF et aux cryptomonnaies par du social investing. Cela permet de créer une communauté d’investisseurs où chaque personne peut envoyer une demande de contact à un ami, un aficionado méconnu ou bien un trader vérifié par nos soins. Une fois celle-ci acceptée, l’utilisateur peut suivre les actions mises en œuvre par ces personnes, les commenter et même discuter avec eux. Surtout, en ayant accès à celles d’investisseurs certifiés, il peut apprendre les pratiques et les tendances de marché pour devenir un meilleur financier.

L’aventure Shares commence officiellement en 2021. La machine s’est rapidement emballée avec, en un an seulement, trois levées de fonds successives pour un total de 90 millions de dollars auprès des fonds Valar, Singular ou encore GFC. Dès le départ, nous avions avec mon associé et Chief Technology Officer François Ruty, recherché un 3e copilote doté d’une solide expérience en fintech. L’heureux élu sera Harjas Singh, pilier de notre concurrent Revolut et qui nous rejoint comme Chief Product Officer. Grâce à ce transfert remarqué, nous avons créé notre premier produit en seulement 6 mois, avant de le lancer sur le marché britannique.

"Fin juin 2023, Shares est devenue la première fintech à décrocher la double autorisation PSI et PSAN"

Quels sont vos premiers résultats lors de votre lancement outre-Manche ?

Le marché anglais est extrêmement mature avec des investisseurs aguerris. Nous avons compté 100 000 utilisateurs en un an, avec des données différenciantes satisfaisantes. Notre communauté a en moyenne 30 ans mais surtout nous dénombrons 40% de femmes parmi nos traders actifs. Une réelle fierté lorsque l’on sait que seulement 18% des femmes investissent en bourse selon les statistiques de Black Rock. Ce développement et le succès de notre lancement a donné lieu à un second tour de table de 40 millions d’euros auprès des mêmes investisseurs.

Ces nouveaux flux financiers nous ont permis de recruter et de nous renforcer notamment en compliance. Un sujet fondamental pour nous, afin de garantir une mise en conformité totale avec les règles des autorités de régulation et permettre le succès de notre lancement en France. Fin juin 2023, Shares est devenue la première fintech à décrocher la double autorisation PSI (Prestataire de Services d’Investissement) et PSAN (Prestataire de Services sur Actifs Numériques). Ce premier agrément nous permet d’offrir un service d’achat-revente d’actions de sociétés cotées et la seconde autorisation, de proposer l’échange de cryptomonnaies. C’est une étape cruciale dans notre volonté de rendre la finance accessible à tous et nous nous réjouissons à l’idée de conquérir le marché français, où nous souhaitons concentrer notre stratégie.

Aujourd’hui vous annoncez le lancement officiel de Shares. Quels services complémentaires allez-vous mettre en place ?

Alors que le marché anglais est mature, celui de l’Hexagone est plus amateur. Nous aimons garder notre épargne "bien au chaud" sur notre livret A.  Celle-ci représente aujourd’hui 150 milliards d’euros. C’est pourquoi nous souhaitons accompagner les français dans leur parcours d’investissement afin de les aider à faire fructifier leur portefeuille et arrondir leurs fins de mois.

Deux services inédits en France vont être lancés. Nous avons tout d’abord prévu la possibilité d’avoir accès à son plan d’épargne en actions (PEA) directement sur Shares, avec des transferts instantanés possibles entre ses trades "classiques" et son épargne placée. Nous allons devenir la première plateforme de néo courtage permettant aux particuliers d’accéder à des actifs classiques comme LVMH ou Airbus, avec de faibles commissions fixes et des dispositifs fiscalement avantageux pour l’épargne individuelle accessibles gratuitement. Cette proposition accélère notre objectif de démocratisation de l’accès aux marchés financiers. Ajouter des actions à son PEA sera aussi simple que de commander un burger. On proposera des portefeuilles de plans d’actions types réalisés en partenariat avec la BNP, BlackRock ou Amundi et la possibilité de réaliser jusqu’à vingt transactions récurrentes par mois par plan d’investissement sur son PEA.

"Nous avons prévu d’avoir accès à son plan d’épargne en actions (PEA) directement sur Shares, avec des transferts instantanés possibles entre ses trades "classiques" et son épargne placée"

L’épargne salariale est aussi une manne financière insoupçonnée mais surtout méconnue. Elle fait aussi partie de vos objectifs ?

Nous cherchons à avoir une offre complète à 360 degrés, c’est pourquoi l’épargne salariale est aussi dans notre viseur. Elle représente environ 180 milliards d’euros dans l’Hexagone. En se penchant particulièrement sur cet avantage salarié, nous nous sommes rendu compte à quel point les Français sont, pour plusieurs raisons, perdus sur ce sujet. Effectivement, ce type d’investissement est opaque, peu qualitatif et avec des frais de gestion aberrants. Aujourd’hui, Amundi, BNP et Natixis se partagent 80% d’un marché encouragé par l’État lui-même, notamment depuis la loi Pacte de 2019. 

Dans le contexte actuel, une entreprise va passer un accord avec une société de gestion qui va proposer aux salariés, en moyenne 5 fonds d’actifs plus ou moins risqués avec des frais de gestion allant de 1 à 3%. Face à cela, l’employé est déboussolé, il se connecte généralement une fois par an sur sa plateforme, le plus souvent, pour retirer le montant de l’épargne en payant des impôts dessus et donc, sans profiter des avantages de ce mécanisme salarial.

De notre côté, grâce à notre agrément PSI, on bénéficie d’un marchepied pour innover sur ce marché. Dans l’optique d’offrir une offre globale et complète, nous allons proposer un espace "entreprise" sur notre application. Au sein de celui-ci, les salariés des sociétés avec lesquelles nous aurons signées un partenariat, vont avoir accès à leur épargne salariale pour la gérer en instantané. L’application bénéficiera d’une architecture libre ouverte à tous les fonds et pas seulement aux mastodontes. Nous avons déjà renseigné une quarantaine de fonds dans notre offre afin de proposer un choix plus large à nos utilisateurs pour une plus grande liberté d’action.

"Les salariés [...] vont avoir accès à leur épargne salariale pour la gérer en instantané"

Notre objectif est aussi de garantir une transparence totale, en ne mettant pas en avant un fonds plutôt qu’un autre. Cette stratégie sera basée sur des propositions de fonds "à prix coûtant", c’est-à-dire sans rétrocommission pour Shares, avec des frais de gestion allant de 0,15% à 1,25%. En prime, cela nous permettra d’offrir par le biais de l’épargne salariale une exposition aux ETF via des fonds indiciels, ce qui est là aussi, inédit en France. Ainsi, un salarié d’une entreprise partenaire, pourra réaliser son propre arbitrage entre les différents fonds proposés. Aujourd’hui nous sommes en discussion avec des sociétés pour qu’elles puissent proposer ce service à leurs employés dès le premier trimestre 2024.

Avec ce dernier produit, nous disposerons d’une plateforme à 360 degrés, avec une partie concernant le "trading social", avec la possibilité pour un débutant de suivre les stratégies des utilisateurs plus expérimentés, une partie investissement d’épargne personnelle et une partie d’épargne salariale. Cela va nous permettre d’accélérer notre ambition de démocratiser la finance pour tous, en facilitant l’accès aux différentes couches d’épargne par une double approche BtoB et BtoC complémentaire. En ce sens, nous allons nous déployer dans les 27 pays européens en mettant l’accent sur la France, un marché à fort potentiel encore inexploité. Les sœurs Williams, Serena et Venus, seront aussi les ambassadrices de notre marque.

Propos recueillis par Tom Laufenburger