Les associés de l’équipe fiscalité de Mayer Brown, Mayer Brown, Olivier Parawan, Laurent Borey, Benjamin Homo, Elodie Deschamps, Nicolas Danan et Christopher Lalloz reviennent sur les mutations entraînées par les nouvelles technologies dans leurs pratiques, sans omettre d’aborder les autres grosses tendances et dossiers de l’année.

 Décideurs. Quelle vision avez-vous du recours croissant à l’intelligence artificielle et aux données dans la fiscalité ?

Benjamin Homo. L’intelligence artificielle est un défi majeur des prochaines années pour nos cabinets, au niveau national comme international. Le métier d’avocat comporte deux composantes majeures. Dans un premier temps, pour l’analyse d’une situation, nous recensons l’état du droit sur la base des données, des textes de loi, des décisions de jurisprudence. Cette partie est largement réalisable par un algorithme automatique et c’est une opportunité immense. Mais dans un second temps, il faut interpréter ces éléments et les adapter à des contextes particuliers. Sur cet aspect, l’avocat est difficilement remplaçable, il est donc important de bien segmenter nos approches pour maximiser l’efficience de ces nouveaux outils sans exacerber leurs effets négatifs. En outre, la formation est probablement le domaine qui sera le plus affecté. Une partie de l’apprentissage des jeunes collaborateurs se fait lors de ce travail préalable d’analyse, or ce qu’ils peuvent réaliser en quelques heures, l’intelligence artificielle peut le faire en quelques minutes. Cela remet en question l’organisation du métier. Certes nous gagnerons en efficacité mais certains fondamentaux seront perturbés.

Nicolas Danan. Le principal risque réside effectivement dans la formation de la jeunesse. Grâce à un accès immédiat à une multitude d’informations, leur vision du métier est différente de la nôtre. Le défi entraîné par cette mutation sera aussi d’adapter notre manière de qualifier les jeunes talents.

Christopher Lalloz. À mon sens, il est aujourd’hui trop tôt pour parler déjà d’influence de l’IA dans la fiscalité. Cela étant dit, depuis la réforme du prélèvement à la source, entré en vigueur en 2019, l’automatisation des déclarations et la mise en place de nouvelles procédures de récupération d’informations, l’importance des données dont dispose l’administration est décuplée.

Olivier Parawan. Cet usage massif des données dans les déclarations préremplies des contribuables est aussi une manière pour l’administration fiscale de récupérer des informations tout en simplifiant les démarches déclaratives des contribuables. L’usage des déclarations préremplies est sur ce point une avancée indéniable.

B. H. Le développement de cette technologie contribue aussi à la croissance d’une transparence privée comme publique que la plupart des acteurs appellent de leurs voeux. La multiplication des données à la disposition de l’administration fi scale va dans ce sens. Une fois que ces nouveaux outils seront bien implantés et acceptés, de grands progrès se feront à ce niveau.

"La formation est probablement le domaine qui sera le plus affecté par le recours croissant à l’IA " Benjamin Homo

Quelles autres tendances de marché avez-vous pu identifier au cours de ces douze derniers mois ?

Laurent Borey. Tout d’abord, les craintes que nous avions il y a un an quant à une contraction drastique du marché ne se sont pas concrétisées. Malgré un pipeline réduit à moyen terme et un reflux du large cap vers le mid-cap, là aussi moins important que prévu, nous avons tout de même fait une très bonne année. Les crises précédentes avaient engendré une fermeture des crédits sur les grosses transactions, mais cette année nos équipes ont travaillé sur plusieurs opérations valorisées en milliards d’euros, ce qui montre que cette catégorie de transactions reste dynamique.

O. P. Les fonds de continuation continuent de se développer fortement dans le secteur du private equity, notamment en raison du ralentissement des transactions et du renchérissement du coût de la dette. Le fonds d’investissement classique a une durée de vie limitée. Après un certain nombre d’années, il doit réaliser ses investissements. Toutefois, pour certaines participations, il peut être opportun de prolonger leur détention par le biais d’un nouveau véhicule d’investissement (le fonds de continuation) créé sur mesure et géré par la même équipe de gestion. L’opération consiste tout simplement à mettre en place une nouvelle opération de LBO dans laquelle le fonds de continuation investira aux côtés d’autres investisseurs. Chez Mayer Brown, nous avons eu l’occasion de travailler sur trois transactions de ce type ces douze derniers mois.

B. H. Une autre tendance nous a beaucoup occupés cette année, celle du développement de plateformes par les fonds. Historiquement, un fonds de private equity prenait une participation dans une société existante, qu’il faisait croître, avant de la revendre. Désormais, on observe des stratégies de buy and build. L’objectif est de créer un groupe, en faisant l’acquisition d’une première entreprise, de la faire grandir en y adjoignant une autre structure, puis une troisième, et d’aller ainsi jusqu’à la création d’un groupe solide financièrement, bien installé sur son marché mais créé de toutes pièces en agrégeant des sociétés entre elles. Par la suite, le fonds peut revendre ce groupe avec un effet d’échelle, de taille et de multiples entrées et sorties extrêmement favorables. C’est un type de stratégie que l’on observe chaque année davantage, dans différents secteurs comme le digital ou l’hôtellerie. Ainsi, nous avons pu accompagner le fonds Montefiore Investment, associé à l’entrepreneur Vincent Klingbeil, dans le montage de la plateforme European Digital Group (EDG). Ce groupe, qui a débuté en 2019, avec l’acquisition de la société "Les Big Boss", l’expert de la mise en relation d’affaires, inclut aujourd’hui plus de 60 entreprises.

"Nous sommes parfois amenés à engager des recours devant le Conseil d’État pour faire annuler les positions de l’administration fiscale" Christopher Lalloz

Quels autres dossiers vous ont particulièrement occupés ?

Élodie Deschamps. Nous avons été très actifs d’un point de vue transactionnel. Durant l’été 2022, nous avons ainsi accompagné une opération historique dans le monde du sport, avec la prise de participation de la société d’investissement CVC dans la filiale commerciale de la Ligue de Football Professionnel (LFP). Celle-ci régit les droits médiatiques du Championnat de France de football (Ligues 1 et 2), et c’était la première fois en France qu’une entité privée entrait dans le capital d’un véhicule de ce type. Nous avons également assisté le groupe de services funéraires Funecap dans la mise en place d’un nouveau LBO. Après, plusieurs opérations de croissance externe au sein de l’Hexagone, l’entreprise s’est tournée vers les marchés voisins : Italie, Allemagne et Pays-Bas. Le groupe, qui était auparavant très français, est devenu cette année le leader européen du secteur. Cette opération de large cap témoigne de la globalisation du marché sur des domaines jusqu’à présent fragmentés.

C. L. Concernant le contentieux, nous avons été plus actifs que jamais. Notre force réside dans notre capacité à assister nos clients, qu’ils s’agissent de groupes internationaux, de fonds d’investissement ou de particuliers, sur un large spectre de problématiques fiscales. Nous avons travaillé cette année sur des contentieux fiscaux en France et à l’étranger, notamment en Afrique, sur des sujets allant de la TVA aux prix de transfert, en passant par les management packages. Nous travaillons avec l’ensemble des services de l’administration fiscale (DVNI, Dircofi, DNVSF) et sommes parfois amenés à engager des recours devant le Conseil d’État pour faire annuler les positions de l’administration fiscale qui nous semblent illégales. Notre cabinet vient par exemple de former un recours contre la position récente de l’administration fiscale en matière de BSPCE.

 

Propos recueillis par Tom Laufenburger