La banqueroute express de la plateforme d’échanges de cryptomonnaies, FTX, fait déjà date dans la courte histoire des monnaies virtuelles. Les acteurs du secteur plaident aujourd’hui pour plus de régulation privilégiant de rétablir la confiance des investisseurs.

Une faillite qui fait déjà date

C’est un scénario digne des meilleurs blockbusters américains sur le monde de la finance. En une semaine, la fortune estimée de Sam Bankman-Fried (SBF), PDG et fondateur de FTX, est passée de plusieurs dizaines de milliards de dollars à zéro. Tout commence le 8 novembre avec l’annonce du rachat de FTX par Changpeng Zhao (CZ), le fondateur de la plateforme leader du marché, Binance. Alors que celui-ci avait émis des doutes quant à la santé financière de FTX, mettant en lumière de potentiels manques de liquidités pour rembourser ses clients en cas de chute des cours, notamment après les révélations du média spécialisé en cryptomonnaies CoinDesk. La procédure de rachat permet à CZ d’accéder aux documents internes de FTX et de confirmer ce que les rumeurs faisaient craindre. Après l’examen des comptes, le leader des plateformes d’échanges renonce à un rachat qui aurait pu lui permettre de consolider fortement sa position.

Conscient de sa faillite imminente, SBF cherche désespérément des investisseurs

Le scénario catastrophe se précise et la plateforme créée par SBF tombe alors de Charybde en Scylla. Privé du soutien de Binance, le trentenaire, conscient de sa faillite imminente si "aucune injection de trésorerie" n’aboutit, cherche désespérément des investisseurs à hauteur de 8 milliards de dollars. Trois jours plus tard, le 11 novembre, FTX est déclarée en faillite et placée sous tutelle de l’administration américaine ; son PDG quitte son poste. Les fonds et retraits par les usagers sont aussitôt bloqués et, par effet domino, les cours du Bitcoin dégringolent sur fond de soupçon de pyramide de Ponzi et de détournements de fonds, non sans comparer cette chute à celle de la faillite de Lehmann Brothers au cours de la crise des subprimes de 2007-2008.

La transparence comme première solution

Désormais, l’enjeu est de rétablir la confiance des investisseurs pour que cette crise ne soit qu’une mauvaise passe sur le marché des monnaies virtuelles et pas une fin en soi comme l’appellent de leurs vœux plusieurs banques traditionnelles. Si la blockchain a établi un haut niveau de transparence en permettant à quiconque de vérifier les transactions sur la chaîne, les marchés cryptos sont encore considérés comme une boîte noire. De fait, les fonds sont déposés et retirés, sans déploiement de garde-fous ou d’institutions protectrices.

Le fondateur de Binance, s’engage à mettre en place une "transparence totale"

A fortiori, les acteurs natifs des cryptos qui prônent leur adoption et démocratisation, ont bien compris cet obstacle majeur. Ainsi, le fondateur de Binance s’est engagé à mettre en place une "transparence totale", exhortant tous les autres acteurs à faire de même. Il prévoit aussi la création d’un "fond de redressement de l'industrie", destiné à aider les plateformes du monde entier à faire face à cette crise de liquidités mais aussi à garantir la présence d’un auditeur tiers, gardien de leur capacité de remboursement. Enfin, l’un des hauts responsables de la Réserve fédérale américaine (FED), Michael Barr, a déclaré qu’une "surveillance plus stricte des cryptomonnaies était à l’ordre du jour". Il souhaite notamment instaurer un système de garanties afin de s'assurer que les sociétés sont soumises à des règles similaires à celles des autres sociétés financières.

La décentralisation des cryptomonnaies remise en question

Cependant, ces régulations soulèvent une limite majeure. Dans quelle mesure le marché des cryptomonnaies pourra-t-il rester décentralisé avec ces politiques de protection ? L’objectif initial de cette monnaie est effectivement de n’être reliée à aucun pays, ni aucune banque centrale ou institution. Ces plans de régulation projetteraient irrémédiablement le marché sous la coupe d’un organisme privé leader du marché ou bien d’une institution, même indépendante, mais qui surveille déjà les marchés boursiers classiques. Ainsi, les investisseurs seraient mieux protégés mais au détriment de la liberté offerte initialement par la décentralisation des monnaies virtuelles.

Sam Bankman-Fried aura beau se repentir en déclarant fin novembre qu'il n'avait consacré "ni le temps ni les efforts nécessaires à essayer de gérer les risques chez FTX" et que c'était "évidemment une erreur", les conséquences pour le marché des cryptomonnaies et plus généralement pour le Web 3 n’en sont qu’à leurs prémisses. Les autorités n’ont pas adhéré à ses excuses et la star déchue des cryptomonnaies a été arrêtée, le 12 décembre, pour infractions financières aux lois des États-Unis et des Bahamas.

Tom Laufenburger