Scientifique et entrepreneure, Aurélie Jean appelle à lever toutes les barrières : celles auto-imposées, celles héritées, celles artificielles entre le public et le privé.

Décideurs. Dans votre livre De l’autre côté de la machine, vous soulignez votre "caractère hors catégorie". Que vous apporte cette particularité ?

Aurélie Jean. Je suis une femme dans un milieu encore majoritairement masculin, bien loin des stéréotypes qu’on peut avoir à tort sur les développeurs en informatique. Comme je l’écris dans mon livre, j’aime autant les équations mathématiques que les chaussures et la mode ! En général, j’essaie toujours de voir le verre à moitié plein en transformant une situation a priori contraignante en un avantage. Le fait d’être souvent la seule femme a l’avantage que les membres des équipes avec lesquelles je travaille se souviennent toujours de moi.

De l’univers de la recherche au monde de l’entreprise et du conseil : que répondez-vous à ceux qui considèrent d’un mauvais œil un tel grand écart ?

Qu’ils font malheureusement fausse route. Au lieu de confronter ces deux milieux en les plaçant à deux positions diamétralement opposées, il faut au contraire reconnaître les bénéfices à créer des ponts entre eux en tirant avantage de leurs différences. Les échelles de temps sont différentes, les objectifs aussi, mais les compétences sont beaucoup plus similaires qu’on ne l’imagine. En cela, notre culture diffère fortement de la culture anglosaxonne par exemple. Le simple fait de voir aux USA des personnes de l’université allant travailler dans le privé et inversement, est révélateur de la différence de perception et d’organisation. La science doit avoir une voix, peu importe qu’elle s’élève depuis le bureau d’un laboratoire de recherche ou qu’elle s’exprime entre les murs d’une entreprise. Je plaide pour s’affranchir de la distinction public/ privé dès lors qu’est interrogée la place de la science. Cessons de penser qu’un scientifique ou un ingénieur a forcément un conflit d’intérêts du fait de son rattachement à une entreprise. Cette vision est étroite et bien loin de la réalité.

"Cessons de penser qu'un universitaire a forcément un conflit d'intérêts du fait de son rattachement à une entreprise"

Qu’est-ce qui chez vous a fait germer cette fibre entrepreneuriale ?

Cela s’est fait naturellement grâce à ma formation. Dans le domaine de la recherche, on apprend très vite à lever des fonds, à monter des équipes et à développer de nouveaux produits, que ceux-ci prennent la forme de modèles, de protocoles expérimentaux voire d’outils tangibles. Et, surtout, nous n’avons d’autre choix que de faire preuve de la plus grande créativité. Cette vision entrepreneuriale est très présente aux États-Unis où la majorité des chercheurs développent des start-up en parallèle de leurs travaux.

Sur quels projets vous concentrez-vous actuellement ?

Je participe justement à un projet entrepreneurial issu de travaux de recherche conduits avec des collaborateurs en Israël dans le domaine de la médecine prédictive et de précision appliquée au cancer du sein. Un projet passionnant, à fort impact et intellectuellement très stimulant. Je travaille également, entre autres choses, sur mon prochain livre à paraître aux Éditions de l’Observatoire, et sur mes prochains cours….

Propos recueillis par Marianne Fougère