Plus que jamais le distressed M&A est sur le devant de la scène. Même si les défaillances d’entreprises n’ont pas encore explosé, d’énormes opportunités en distressed M&A et d’opérations de carve-out se profilent déjà. Tour de table des prochaines tendances du marché avec six spécialistes de l’écosystème du restructuring.

Décideurs. Quelles sont les  tendances et les opportunités que la crise sanitaire a fait émerger en matière de distressed M&A ?

Baréma Bocoum. Beaucoup d’entreprises ont été sauvées par les aides d’État. Les opportunités ont donc été moins nombreuses ces derniers mois que ce que nous aurions pu attendre mais elles  arrivent. Nous avons cependant eu à accompagner des entreprises déjà en difficulté. Dans cette optique, l’objectif n’est pas de sauver l’entreprise entière mais d’en conserver les bons actifs. Les opérations de  carve-out risquent donc de se multiplier ces  prochains mois.

Thierry Le Guénic. Les aides d’État permettent actuellement de s’accorder le temps nécessaire pour mettre en place les transformations indispensables à la survie de l’entreprise. Cela peut aboutir à de belles opportunités pour les entreprises, si leurs managers réussissent à mettre en place des stratégies de retournement rapides et efficaces.

Patrick Puy. Il est intéressant de souligner également que tous les pays soutiennent massivement leur économie, plus ou moins de la même manière, avec pour conséquence principale l’augmentation de la dette. L’économie mondiale est actuellement irréelle. Pour s’en sortir, il faudra sans doute augmenter les taux d’intérêts, ce qui relancera l’inflation mais aura pour conséquence d’augmenter la pauvreté. Je suis très inquiet pour les dix ans à venir. Par ailleurs, avec l’augmentation des taux d’intérêt, d’énormes opportunités en distressed M&A apparaîtront car dans le même temps les liquidités vont continuer d’être très importantes.

"Les aides d’État permettent actuellement de s’accorder le temps nécessaire pour mettre en place les transformations indispensables à la survie de l’entreprise"

Baréma Bocoum. Depuis 1350, la dette ne cesse de croître. Les raisons en sont la démographie et la bascule vers une société de services. Les crises intensifient cette augmentation de l’endettement. Par la création de monnaie, les banques centrales entraînent une inflation sur le prix des actifs, ce qui aggrave les inégalités sociales. Les repreneurs devront avant tout être innovants pour faire face à ces problématiques. Aujourd’hui, reprendre une entreprise qui a déjà des difficultés en rajoutant de la dette ne fonctionne plus. Un énorme mouvement de rééquilibrage du portefeuille devra être opéré dans les grands groupes, pour lesquels les actifs en difficulté ou non essentiels (non core) seront sortis quand d’autres intéresseront l’univers du private equity. En ce sens, les procédures de restructuration auront un rôle essentiel à jouer, en amiable ou en matière de procédures collectives afin d’assainir les situations. Cette discrimination entre les entreprises financièrement saines et celles plus fragiles aura lieu après la crise sanitaire. L’urgence sera alors de traiter le problème social.

Florent Hunsinger. À mon sens, la difficulté majeure aujourd’hui consiste à trouver des acquéreurs suffisamment solides pour consolider le secteur. C’est une réflexion que mène le gouvernement actuellement, filière par filière. La première action d’urgentiste a été mise en œuvre avec l’injection de toutes ces liquidités, distribuées indistinctement aux bonnes comme aux mauvaises entreprises. Le moment des comptes arrivera plus tard, certainement en 2022. Delphine Caramalli. Nous n’éviterons pas des réorganisations complètes de filières et, au vu du contexte économique, cela passera nécessairement par des opérations de rapprochement et de consolidation. Le dispositif d’aide aux entreprises, en particulier le PGE, ne fait que retarder le processus mais ces opérations devront intervenir car elles semblent être la seule réponse aux difficultés rencontrées par plusieurs groupes industriels contraints de se redéployer pour résister à une nouvelle forme de concurrence.

Patrick Puy. Une autre tendance commence à émerger. Les grands groupes cèdent certains actifs, qui ne sont pas en difficulté, afin de pouvoir s’adapter. Ainsi, Engie accélère la vente de ses activités de services, Saint-Gobain s’est délesté de  Lapeyre. De même, de grands groupes tels que Veolia, Air France ou le groupe SNCF vont certainement suivre le même mouvement. L’habitude française de créer des conglomérats semble aujourd’hui contre-intuitive alors que dans le monde entier les structures  favorisent avant tout l’agilité.

""Nous n’éviterons pas des réorganisations complètes de filières et, au vu du contexte économique, cela passera nécessairement par des opérations de rapprochement et de consolidation"

Comment les fonds d’investissement réagissent-ils face au marché actuel ?

Baréma Bocoum. En 2008, les fonds d’investissement avaient été pris de court. Cela a changé, ils ont appris. Ces derniers mois, nous avons accompagné plusieurs de ces acteurs sur la mise en place des mesures gouvernementales, société par société et dans une optique internationale. Les investisseurs sont devenus très agiles en matière de gestion de crise. Ils nous ont également sollicités pour identifier des repreneurs potentiels et des opportunités de build-up. Ils s’en sortiront bien mieux que lors de la crise précédente. Mais il n’y a pas que les fonds d’investissement. Une grande partie de l’épargne des Français finance l’économie via les grands assureurs. Les entreprises sont financées aujourd’hui par le crédit inter-entreprises, les banques et l’assurance. L’initiative intéressante de Bpifrance, qui a créé un fonds de fonds dans lequel les personnes physiques vont pouvoir investir, est en ce sens une nouvelle option pour des entreprises qui ont besoin de renforcer leurs capitaux propres. C’est une action complémentaire des aides d’État, qui majoritairement, ont consisté à ajouter de la dette à la dette.

Florent Hunsinger. À ce stade, il est encore tôt pour lancer toute une série de procédures. Comme l’a expliqué Baréma, les portefeuilles sont passés en revue pour classer les entreprises selon leurs besoins. Qu’il s’agisse de réinvestissement, d’attentisme ou de restructuration. Les enseignements de 2008 ont été compris, et les fonds d’investissement vont traiter les sujets sur la durée et avec sang-froid.

Jacques Ittah. La gestion de cette crise par les fonds d’investissement a effectivement été très différente de celle de 2008. L’analyse de la précédente crise montre que les fonds qui ont soutenu les entreprises s’en sont plutôt bien sortis. Ces moments sont souvent des révélateurs d’agilité pour les entreprises, leurs dirigeants et actionnaires, et peuvent, en fin de compte, constituer des opportunités. Leurs liquidités ont permis de soutenir les entreprises et l’économie au sens large. Ils ont été réactifs, solides et n’ont pas hésité à remettre au pot. Pour un fonds, cette crise comporte autant d’opportunités que de problèmes. Aujourd’hui, les fonds sont plus ouverts à tout type d’investissement qu’ils ne l’étaient auparavant.

"Avec l’augmentation de la dette, les entreprises ne pourront investir dans de nouveaux leviers de croissance sans réflexion stratégique sur leurs actifs"

Patrick Puy. Je ne suis pas complètement d’accord. Les fonds de private equity purs ne vont pas se mettre à faire du distressed. 
Certains, qui avaient d’ailleurs des fonds distressed, les ont depuis supprimés. En ce qui concerne les Hedge Funds, c’est très différent. Prenons l’exemple d’Hayfin Capital Management qui a pris les commandes de Frans Bonhomme en remettant 60 millions.
L’un des secteurs les plus touchés par la crise est celui du retail.

Quelles sont, selon vous, les solutions qui permettront à ce secteur de s’en sortir ?

Thierry Le Guénic. En matière de retail, une profonde transformation est en cours sur l’expérience client et le digital, mais je ne crois pas à une consommation exclusivement sur Internet au détriment des boutiques. Je fais le pari qu’il reste de belles opportunités dans le retail, notamment en investissant dans des marques.

Patrick Puy. J’abonde en ce sens. N’oublions pas qu’avant la crise, les dix premières entreprises de retail au monde étaient rentables et en croissance. Zara, par exemple, a su développer un modèle complètement différent en matière de gestion du BFR. Quant à Camaïeu, il est amusant de voir que les fonds qui y étaient déjà ont failli le reprendre et remettre de l’argent. En revanche, ce qui est frappant, ce sont les écarts de multiples entre les secteurs qu’on ne constatait pas il y a encore dix  ans. Alors que le laboratoire de cosmétiques Filorga a été valorisé trente fois l’Ebitda, des entreprises de retail, même in bonis, se vendent à peine deux ou trois fois l’Ebitda, y compris lorsqu’il y a un acheteur.

"Il faut penser à ces cessions, ces carve-out dès que la question se pose, avant de devoir basculer sur une procédure collective"

Delphine Caramalli. Les maux dont souffre l’industrie du retail sont spécifiques au retail et les faillites d’enseignes intervenues en 2020 s’inscrivent dans un processus déjà bien engagé. La crise économico-sanitaire n’en a été que l’accélérateur pour une grande majorité d’entre elles, prisonnières de business models de moins en moins viables. Tout dispositif visant à stabiliser le secteur devra tenir compte de la problématique du financement BFR et de celle des loyers décorrélés de l’exploitation. L’arsenal des procédures de traitement des difficultés constitue une véritable boîte à outils pour les dirigeants mais ces outils juridiques sont insuffisants s’ils ne s’accompagnent pas de mesures opérationnelles prises en profondeur.

Baréma Bocoum. Pour se projeter, il suffit de regarder ce qui se passe en Chine avec les smart cities ou la 5G. Aujourd’hui, c’est la technologie, l’innovation et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui facilitent l’expérience client. On se rappelle tous de Kodak, une société iconique dont le business model n’a pas su s’adapter et qui a disparu alors que d’autres ont émergé comme Apple, Facebook ou encore Google. Par ailleurs, je suis convaincu que les préoccupations sociales vont devenir essentielles dans le business model des entreprises.

Quelles entreprises auront les capacités d’investir et de s’adapter ? Comment peut-on utiliser le distressed M&A et les procédures de restructuration pour les aider à avoir des actifs compétitifs et capables de rebondir ? Avec l’augmentation de la dette, les entreprises ne pourront investir dans de nouveaux leviers de croissance sans réflexion stratégique sur leurs actifs. 

La dette est-elle finalement l’ennemie ?

Jacques Ittah. La dette est sans doute un mal nécessaire de notre société. Les liquidités qui continuent de se créer chaque jour doivent être investies, la dette (tant au niveau des États que des entreprises) est un de ces produits. Cependant, un endettement raisonnable, au-delà de la création de valeur, permet de rétablir une gestion saine, et une discipline.

Baréma Bocoum. La crise de 2008 était une crise de surendettement. À l’époque, la réaction des banques centrales a été d’émettre beaucoup plus de liquidités qui ont permis de neutraliser le marché. La crise de Covid-19 a entraîné des émissions monétaires dans chaque pays. Ces liquidités sont actuellement dans le bilan des banques mais je suis convaincue qu’elles vont sortir sur les bons actifs.

"Nous assisterons  à de grandes batailles boursières dans  les prochains mois"

Patrick Puy. La dette n’est pas un problème intrinsèque, c’est son rapport avec l’Ebitda qui peut le devenir. Ne faudrait-il pas que les commissaires aux comptes aient d’autres outils à leur disposition pour lancer des alertes plus tôt ? Cela nous permettrait d’intervenir in bonis et plus simplement qu’en faisant de la restructuration. Par exemple, Vivarte, il y a dix ans, avait 3 milliards d’euros de dette et 400 millions d’euros d’Ebitda ; ce qui n’est pas choquant mais cela est devenu un problème quand son Ebitda a chuté. Une intervention anticipée aurait sans doute permis de sauver la situation.

Les opérations de carve-out vont se multiplier dans les mois à venir. Quels sont les points d’attention à ne pas négliger pour qu’elles soient une réussite ?

Florent Hunsinger. La vraie question est celle de la viabilité de l’actif non-core en cause, en fonction de son positionnement sur la chaîne de valeur, et de son indépendance future vis-à-vis du groupe.

Patrick Puy. Il faut penser à ces cessions, ces carve-out dès que la question se pose, avant de devoir basculer sur une procédure collective. Les conseils d’administration doivent pousser les industriels à se délester de leurs actifs non-core avant qu’ils aient des conséquences néfastes pour la santé du groupe. 

Baréma Bocoum. Pour les industriels, le fait d’utiliser des procédures de restructuration pour sécuriser la sortie d’actif non-core est un outil encore méconnu. Ces options vont se renforcer.

"Les enseignements  de 2008 ont été compris,  et les fonds d’investissement 
 vont traiter les sujets  sur la durée et avec  sang-froid"

Quels sont les points d’attention dans le contexte d’une reprise ?

Patrick Puy. Concernant les fonds d’investissement en tant que repreneurs, il faut bien prendre en compte la notion du temps car un fonds, par essence, a une durée de vie limitée. Celle-ci est incompatible avec des entreprises où la contrainte de temps est longue. Dans le cas du retail, il faut penser à ce que sera la marque dans cinq ans et faire des investissements à long terme. Pour les fonds, s’ils sont un peu court-termistes, ce ne sont pas nécessairement de bons investisseurs. En outre, il est nécessaire qu’un vaste chantier de simplification des procédures soit entrepris. Les procédures françaises font peur notamment en matière sociale pour les repreneurs potentiels.

Baréma Bocoum. Une autre dimension du temps existe également, celle entre le moment où l’entreprise commence à être en difficulté et celui où elle trouve un repreneur. Si les repreneurs sont à l’étranger, le temps qu’ils comprennent les procédures françaises et qu’ils estiment le risque, un temps précieux risque d’être perdu. Il faut prendre le sujet le plus en amont possible, et se faire aider d’outils de screening du marché et d’identification des cibles.

Delphine Caramalli. D’expérience, quand une société arrive en redressement judiciaire, cela fait déjà un moment qu’elle discute avec ses concurrents, ils sont souvent au rendez-vous s’il y a une opportunité de reprise à la barre.

Florent Hunsinger. Il est vrai qu’il est difficile d’aller chercher des repreneurs à l’étranger sur des entreprises de taille réduite. On retrouve les mêmes problématiques et les mêmes inquiétudes quand ces mêmes structures souhaitent ouvrir une filiale en France.

Jacques Ittah. Les fonds d’investissement sont de grandes chambres de résonnance de ressources humaines. La partie connue du travail du fonds sera de fournir une poche de liquidités, mais en réalité, une grande partie de la valeur ajoutée ou du savoir-faire relèvent du soutien à l’équipe de management en place ou des réseaux afin de renforcer ou remplacer les équipes de management, si la situation le nécessite. Avoir le bon management est la clé de la réussite d’une opération de LBO.

Que regardez-vous en priorité sur une boîte en difficulté ?

Patrick Puy. Quand je prends la direction d’une boîte en difficulté, la première chose que je regarde c’est le service après-vente afin de comprendre la source des problèmes avec les clients. Les concurrents et les représentants du personnel permettent également d’identifier les faiblesses de l’entreprise. Ensuite, bien sûr le business plan, le bilan et l’ensemble des conditions financières sont clés, mais vont être illustrés par ce qui précède. Une reprise, une opération de restructuration ne sont jamais une œuvre individuelle mais collective, et ce, grâce au travail couplé de la direction, des avocats, des commissaires aux comptes, etc. Il faut savoir les écouter. Plus on est roi plus on a besoin de fous du roi autour de soi.

Baréma Bocoum. Je suis parfaitement en accord avec cette approche. Il faut se rappeler qu’une entreprise c’est avant tout une organisation humaine portée par des personnes au service d’une cause spécifique. Pour mobiliser les gens, il faut un projet solide. Et savoir si le dirigeant sera capable de l’insuffler. Un manager de transition ou des conseils peuvent être des atouts afin de porter un regard extérieur sur ce qui ne va pas et convaincre le comité de direction des modifications à apporter.

Thierry Le Guénic. Toutes les problématiques doivent être résolues rapidement de manière défensive. Il faut ensuite être plus offensif pour dégager le potentiel et le positionnement de l’entreprise, et donner du sens à la nécessaire mobilisation des équipes.

"Une restructuration n’est jamais une œuvre individuelle mais collective, et ce, grâce  au travail couplé de  la direction, des avocats, des commissaires  aux comptes..."

Comment la consolidation des secteurs va-t-elle avoir lieu ?

Delphine Caramalli. Alors que l’on parle de consolidation industrielle, je ne serais pas surprise que les fonds d’investissement mènent le jeu sans pour autant apporter des solutions mieux adaptées que celles des industriels eux-mêmes qui, en toute logique, ont une meilleure connaissance de leur business. Si plusieurs opérations n’ont pas pu voir le jour, c’est précisément parce que les parties – toutes industrielles – à l’opération de rapprochement envisagée étaient enfermées dans des schémas de rivalité qui n’ont eu pour seul effet que de faire échouer les négociations.

Patrick Puy. Prenons l’exemple de  Smoby et Berchet qui étaient les deux leaders de la fabrication de jouets en France en 2008. La tentative de mariage opérée par les pouvoirs publics a été un échec total. 
En revanche, leur consolidation par un investisseur, un fabricant allemand, a été un succès. On le voit, la solution ne vient pas forcément des fonds d’investissement.

Thierry Le Guénic. On assiste à un mouvement qui a déjà eu lieu dans de nombreux secteurs de la distribution comme le textile : des multimarques disparaissent progressivement au profit de canaux de distribution exclusifs. Les enseignes multimarques sont concurrencées par des mastodontes comme Amazon. C’est là où les stratégies des marques sont très importantes face à des stratégies d’enseigne. Par ailleurs, les grandes enseignes sont en train d’essayer d’en acquérir et d’en lancer d’autres.

Jacques Ittah. C’est comme un balancier. Au départ tout le monde veut des boutiques en propre avant de passer sur du tout digital. La bonne solution, c’est d’avoir les deux. On ne pas tout le temps reprocher aux fonds d’investissement de ne pas être réactifs. Souvent ce sont les dirigeants eux-mêmes qui n’agissent pas assez rapidement.

Du "social" à "l’humain", quels sont les stratégies à mettre en place pour remotiver tout le monde après la reprise ?

Patrick Puy. Lorsqu’il y a une cession, une fusion ou une restructuration, il faut modifier les choses et la plupart des acteurs sont assez réticents au changement. Les banques ne sont pas un problème, l’État et les représentants du personnel, non plus. Les actionnaires et le comité de direction sont en revanche plus sensibles car ce sont eux qui ont mené la structure vers les difficultés qu’elle traverse.

Thierry Le Guénic. Dans le cadre du rachat d’une entreprise en transformation, après les process légaux et la présentation du plan aux instances représentatives du personnel, il est primordial d’expliquer aux salariés les modifications à apporter. Il faut aussi prendre du temps avec les membres des comités de direction pour leur expliquer que certaines décisions prises peuvent désormais être obsolètes. C’est souvent une source de difficultés. Une étude de Harvard business Review, sortie il y a une dizaine d’années, montrait d’ailleurs qu’une majorité de managers étaient en performance décroissante à partie de la troisième année du fait de cette difficulté.

Florent Hunsinger. Du point de vue de l’administrateur judiciaire, le sujet est différent selon qu’il s’agisse d’un plan de sauvegarde ou d’un plan de cession. Dans un contexte de redressement ou de sauvegarde, la logique est celle de la transformation. Dans un contexte de cession, c’est le plan du repreneur qui compte et donc sa stratégie. Quoi qu’il arrive, il est primordial de préserver les fonctions nécessaires et d’aligner les intérêts de chacun. Il faut agir vite car, plus cette période d’incertitude dure, plus le risque de perdre les bons éléments est élevé.

"Il faut se rappeler qu’une entreprise c’est avant tout une organisation humaine portée par des personnes au service d’une cause spécifique"

Que peut-on déjà anticiper pour les mois à venir ?

Baréma Bocoum. Le mouvement de consolidation va s’accélérer, j’en suis convaincu. Il faudra l’accompagner au mieux grâce aux procédures et à un travail d’information et de pilotage. Son niveau de brutalité variera selon l’impact de la crise sur les différents secteurs.

Thierry Le Guénic. Cela va aussi dépendre de la réforme européenne qui arrive en France et qui sera déclinée avant juin prochain. Il s’agira sans aucun doute de l’un des outils complémentaires déployés par les pouvoirs publics comme un catalyseur de ces consolidations. L’effet pervers sera peut-être d’éloigner certaines sociétés des procédures de prévention.

Jacques Ittah. Je m’attendais à une vague de restructurations mais le re-confinement a été en quelque sorte une opportunité pour l’économie. Désormais, il faudra attendre 2022. D’ici là, nous assisterons à de grandes batailles boursières dans les prochains mois.

Patrick Puy. Nous aurons à faire face à de grandes problématiques sociales. Les impôts vont exploser et il faudra réformer et activer des mécanismes d’aide et de solidarité. D’un autre côté, entre l’explosion des liquidités et la baisse de valeur des actifs, des opportunités incroyables se présenteront. L’écart entre la France et les autres pays va s’agrandir, ce qui nous impose, à nous industriels, de voir ce qui se passe ailleurs. La boussole du monde indique clairement l’Est et le Sud. La population africaine évolue et va générer des opportunités extraordinaires comme la Chine. Les business plans devront être revus à l’aune de tout cela.

Florent Hunsinger. Le re-confinement a effectivement permis aux personnes physiques de remettre au pot. Cependant, l’échéance électorale de 2022 est désormais trop proche pour de grands bouleversements. Il faudra être patient.

Baréma Bocoum. Bpifrance comme le Medef font un travail formidable pour voir ce qui se passe à l’étranger et accompagner les entreprises dans le bon sens. Tout d’abord, un premier tri selon la santé des entreprises est nécessaire, pour sélectionner celles qui sont viables à rebondir. Se pencher ensuite sur les marchés et les secteurs d’avenir afin de se projeter et rebondir sur des zones de croissance, s’impose.