Les confinements destinés à endiguer l’évolution de l’épidémie de Covid-19 ont affecté des pans entiers de l’économie, soutenue par différents dispositifs d’urgence. En première ligne pour protéger les trésoreries d’entreprises, les banques voient les crédits s’envoler, sans en connaître les modalités dans le détail. Que nous réserve le « monde d’après » ?

Si les mesures de soutien déployées en urgence au printemps ont permis de maintenir les entreprises à flot en 2020 et d’éviter une vague de défaillances, celles-ci ne seront pas sans conséquences. Et ce, qu’il s’agisse de la capacité des entreprises à rembourser les crédits contractés et poursuivre leur activité, de celles des banques à les accompagner ou encore des réponses de l’État dans le traitement des différents dispositifs. L’année 2020 aura parfois été qualifiée d’annus horribilis, qu’en sera-t-il de 2021 ?

Des mesures exceptionnelles prolongées

"En mars dernier, les banques ont mis en place, en un temps record, d’abord des moratoires volontaires sur les crédits existants, puis, en lien avec l’État, des PGE", rappelle la Fédération bancaire française. Selon les données du 7 décembre 2020, les banques ont accordé 128 milliards d’euros de PGE à 627 000 entreprises, avec un faible taux de refus des demandes éligibles, de 2,8 %. L’annonce, fin octobre, de la possibilité de commencer à rembourser le PGE après deux ans, en plus de la première année de différé prévue, réduit les prévisions du nombre de faillites pour 2021. Ainsi, les dépôts de bilan ne devraient augmenter que de 16 % seulement par rapport à 2019, selon la Coface.

Dans une enquête menée en septembre par Bpifrance auprès de 600 entreprises, plus des deux tiers affirmaient n’avoir pas ou peu utilisé leur PGE. Alors que près de 20 % envisagent de le rembourser intégralement en 2021, 4 % estiment qu’elles ne pourront pas l’honorer. Des chiffres à prendre avec précaution, puisque le deuxième confinement est arrivé peu après.

"Une fois les mesures levées, les entreprises devront faire face à un mur de dettes contractées depuis le printemps"

Si une leçon peut être tirée de la crise née de la pandémie, c’est d’abord que tout change très vite. Les moratoires sur les crédits en sont une bonne illustration. Le dispositif permet de reporter les remboursements de crédits jusqu’à six mois. "Les moratoires accordés en mars/ avril ont représenté un report de trésorerie de 20 milliards d’euros pour les entreprises", indique la Fédération bancaire française. "Ils ont pris fin en septembre, pour les clients qui ont accepté ces reports, sauf pour les activités liées au tourisme, au sport et à la culture qui pouvaient, avant le 30 septembre, date limite fixée par les autorités européennes, les prolonger de six mois supplémentaires", poursuit la FBF. "À partir de la fin de chaque moratoire, la quasi-totalité des entreprises ont repris normalement le paiement de leurs échéances. Pour celles qui rencontrent des difficultés particulières, les banques étudient de façon personnalisée avec leurs clients, les possibilités correspondant à la situation : étalement, modulation, etc.". Face à la deuxième vague de la pandémie, l’Autorité bancaire européenne a réactivé la mesure dérogatoire en décembre. Une bonne nouvelle pour les débiteurs ; un coût non négligeable pour les créanciers.

Un mur de dettes qui ne cesse de croître

La rétractation de l’économie française de l’ordre de 10 % en 2020 s’avère quatre fois supérieure à celle de 2009 après la crise des subprimes. Ce sont donc près de 270 milliards d’euros de richesses produites en moins pour l’année qui vient de s’écouler. Au-delà de la perte de valeur ajoutée pour les entreprises, les répercussions sur les établissements bancaires sont désastreuses. En juin, avant le deuxième confinement, l’Observatoire français des conjonctures économiques prédisait une augmentation de 80 % des défaillances d’entreprises et la destruction de 250 000 emplois en 2020. Or, d’après le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, les trois premiers trimestres de l’année n’ont enregistré que 19 220 ouvertures de procédures collectives, contre 32 714 pour les neuf premiers mois de 2019, déjà un plus bas historique. La fermeture des juridictions commerciales pendant le premier confinement et les dispositifs mis en place par le gouvernement expliquent cette baisse, qu’il s’agisse des reports de charges, du chômage partiel ou encore des prêts garantis par l’État. Une fois ces mesures levées, les entreprises devront faire face à un mur de dettes contractées depuis le printemps. De son côté, la société d’assurance-crédit Euler-Hermes estimait la sous-capitalisation des PME françaises à 30 milliards d’euros en octobre. La chose est entendue, c’est bien de renflouer les fonds propres des sociétés françaises qu’il est question.

Pour ce faire, le gouvernement crée un nouveau dispositif exceptionnel, celui des prêts participatifs. D’ores et déjà, la proposition de loi relative à la transformation des prêts garantis par l’État en quasi-fonds propres rend compte du poids des PGE, qui risque "d’obérer le potentiel d’emprunt et d’investissement des entreprises, voire même de les fragiliser pour certaines jusqu’à faire l’objet d’une liquidation judiciaire". Quant à Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, il met en avant "l’équation impossible" du "remboursement d’environ 6 % par an" des PGE, "alors que la rentabilité moyenne des PME ne dépasse pas 3 %". Destinés aux entreprises en difficulté de moins de 50 salariés, les prêts participatifs visent à rééquilibrer le ratio fonds propres/dette sans diluer le capital des sociétés. Malgré la garantie apportée par l’État, à hauteur de 25 % des encours, fin 2020, l’instrument ne semble pas attirer les investisseurs qui attendent une rémunération plus élevée au regard du risque. De sorte que les PME se mobilisent et sont même prêtes à payer un taux plus élevé.

La fragilité de l’économie pèse sur les banques

"La Covid est une crise conjoncturelle, qui peut accélérer la mise en évidence d’un problème structurel", souligne Marie-Laure Tuffal Quidet, directrice chez Philippe Hottinguer Finance. "Le PGE étant un prêt, les banques doivent apprécier la solvabilité des emprunteurs; c’est pour cette raison que l’État exige qu’elles conservent un risque résiduel dans leurs bilans", poursuit l’ancienne responsable d’activité affaires spéciales au Crédit agricole. En effet, le PGE est un nouveau financement qui ne surcharge pas la réglementation sur les fonds propres. Il a toutefois un impact sur le financement des entreprises, puisque ce sont autant de liquidités mobilisées sur les lignes des bilans bancaires, de fait, indisponibles. "Le principal sujet est que le PGE, prêt consenti, couvre la perte de chiffre d’affaires alors même que son remboursement est lié à la capacité de la société à affecter une partie de son chiffre d’affaires sans visibilité sur le retour au chiffre d’affaires normatif, base du montant de PGE", reprend la banquière.

Plus largement, la question est celle de la capacité des emprunteurs à rembourser les crédits, et donc la qualité des actifs. Un rapport de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) révélait en octobre l’envolée dans certains secteurs des non performing loans (NPL), ou prêts non performants, c’est-à-dire non remboursés au bout de 90 jours. 

"La BCE s’attend ainsi à 1 400 milliards d’euros de prêts non remboursés d’ici la fin 2021"

Ces nouveaux NPL viennent gonfler le stock existant de 528 milliards d’euros, héritage de 2008, dont 127 milliards d’euros en France. La BCE s’attend ainsi à 1 400 milliards d’euros de prêts non remboursés d’ici la fin 2021. Si la poursuite des moratoires exonère pour le moment les banques de provisionner ces créances douteuses dans leurs comptes, fin juin, 7,5 % des crédits aux entreprises et particuliers étaient sous moratoire, soit 870 milliards d’euros selon l’Autorité bancaire européenne.

"Avec l’arrêt progressif des programmes publics de soutien des entreprises et des particuliers, c’est aux banques qu’il va incomber de mobiliser des capitaux supplémentaires pour absorber les défauts de crédit et continuer à financer l’économie", indique Fabrice Asvazadourain, analyste chez Accenture. Aussi, pour éviter tout risque de resserrement du crédit, la BCE a déjà allégé ses exigences et la Commission européenne entend mettre en place un instrument de "bad banks" nationales, pour permettre aux banques de transférer les actifs douteux à une plateforme de marché. Un mécanisme qui ne s’applique pas aux prêts garantis par l’État.

"Si les banques cèdent les créances PGE, la créance de prêt reste valable, mais elles perdent le bénéfice de la garantie", explique Vincent Hatton, associé du cabinet Herbert Smith Freehills. Si elles peuvent transférer les créances en garantie à la banque centrale, elles en conservent le risque. "D’un point de vue prudentiel, pour que l’exposition de la banque soit contre l’État et non contre l’emprunteur, la garantie de l’État doit être appelable à première demande et pas uniquement lorsque l’entreprise est à la barre du tribunal de commerce". Pour cette raison, les PGE prévoient la possibilité d’une avance sur indemnité puis du solde, proche d’autres mécanismes de garanties étatiques. "Le risque, pour les finances publiques, est que les banques appellent la garantie dès qu’il y a un défaut de paiement", avance l’avocat. "Si la réglementation européenne a permis de ne pas considérer, pour le PGE, un choix d’amortissement à la date anniversaire comme un élément de forbearance [ou état de restructuration des crédits, Ndlr], avance Marie-Laure Tuffal Quidet, une franchise de deux ans risque, à l’inverse, de faire entrer le PGE dans la catégorie de forbearance. Les conséquences sont alors une dégradation automatique de la note Banque de France de l’emprunteur et, par ricochet, de celle de l’assureur-crédit, avec un effet immédiat sur le BFR". 

Le sort des entreprises en difficulté

La forbearance, ou état de restructuration des crédits, intervient lorsqu’une modification du contrat de crédit est concédée à un emprunteur en difficulté financière, notamment dans le cas d’un défaut de plus de trois mois. "Si elle devient un sujet, alors ce sera systémique, car la forbearance s’applique à l’ensemble des créances", prévient Vincent Hatton. "Or, en période de moratoire, on peut se demander si celui-ci suspend également le défaut ou s’il peut être constaté", poursuit-il, "endant les mois d’urgence, les banques n’ont pas déclaré de défaut à la demande de l’Autorité bancaire européenne". Du point de vue prudentiel, reste à savoir si la survenance d’un moratoire range la position de la banque vis-à-vis de l’emprunteur dans la catégorie des expositions en renégociation. "Si dans le cadre d’une renégociation, sans appeler la garantie, la banque accorde un moratoire à l’entreprise, il ne faut pas que celle-ci bascule dans une catégorie différente et que l’emprunteur entre en défaut ou en forbearance", explique l’avocat d’affaires, "ce qui changerait la qualité du prêt, alors qu’aujourd’hui les PGE bénéficient d’un traitement prudentiel avantageux".

"Les banques supportent le choc, en partie grâce à des fondamentaux solide"

L’autre point concerne les cas de réorganisation des PGE pour les entreprises en difficulté. Le risque pour les banques amenées à faire des concessions est qu’elles ne pourront pas accepter la restructuration, sous peine, là encore, de perdre le bénéfice de la garantie. Celle-ci étant limitée dans le temps, les établissements de crédit devront donc mettre en balance l’accompagnement des entreprises et la perte du traitement favorable du PGE, et du bénéfice de la garantie. Par ailleurs, si l’emprunteur fait défaut pendant les deux mois qui suivent l’octroi du PGE, la banque est en carence et porte 100 % du risque. Le traitement des prêts dans le cas où l’entreprise fait défaut après les deux mois de carence n’est pas encore arrêté. "La « garantie » de l’État doit-elle être traitée comme une garantie autonome ou une indemnité d’assurance ?", s’interroge Marie-Laure Tuffal Quidet. "L’État, via Bpifrance, devrait alors être consulté pour toute restructuration des dettes et la banque être en conflit entre sa position au regard de son exposition globale et sa qualité d’assurée", poursuit-elle.

Alors que la crise s’installe dans la durée, que les mesures d’aides se multiplient, il reste encore à en détailler les conséquences pour les établissements de crédit, et donc leur capacité à continuer à financer l’économie. Ceux-ci supportent le choc, en partie grâce à des fondamentaux solides. À l’occasion de la conférence de l’ACPR fin novembre, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, indiquait avoir "toutes les raisons de penser que les institutions financières françaises, y compris dans des scenarii économiques sévères, seront suffisamment solides pour traverser cette crise" et que si "leur rentabilité pourrait en être affectée ; leur solvabilité resterait suffisamment élevée". Reste à savoir si le manque de rentabilité des banques européennes, qui se verraient contraintes de réduire leurs coûts face à la crise, représentera un obstacle au financement du tissu économique.

Anne-Gabrielle Mangeret