Depuis septembre, les deux groupes étaient à couteaux tirés, LVMH souhaitant mettre fin à l’accord de fusion signé quelques mois plus tôt avec Tiffany. Les fiancées trouvaient finalement en octobre un nouveau deal, qui prévoit une baisse du prix d’achat. La fusion doit maintenant s’opérer dans un contexte sanitaire et politique incertain mais porteur de quelques espoirs.

La plus importante acquisition lancée par LVMH ira finalement à son terme. Le 29 octobre, le groupe de luxe français annonçait avoir trouvé un nouvel accord avec Tiffany. Accord lui permettant de s’offrir la maison internationale de haute joaillerie au prix "attractif" de 131,50 dollars par action. Pourtant la partie n’était pas gagnée d’avance. Début septembre, le groupe emmené par Bernard Arnault rompait les fiançailles sur fond de crise du coronavirus et de guerre commerciale, s’attirant les foudres judiciaires de la promise. Le calme désormais retrouvé, la finalisation de l’opération devrait intervenir début 2021, sous réserve de l’approbation des actionnaires de Tiffany.

"Cet accord équilibré trouvé avec le conseil d’administration de Tiffany permet à LVMH de travailler à l’acquisition de Tiffany en toute sérénité et de reprendre le cours des discussions menées avec le management de Tiffany sur les modalités d’intégration", commente Bernard Arnault qui a en grande partie construit son empire à coups d’opérations de croissance externe. Celle-ci devrait finalement lui coûter la modique somme de 15,8 milliards de dollars, soit une baisse d’environ 2,59 % par rapport au contrat de fusion conclu en novembre 2019. De son côté, Tiffany obtient le versement de son dividende trimestriel de 58 cents par action. Un sujet, jusque-là, de tensions entre les deux maisons, LVMH reprochant au groupe new-yorkais sa mauvaise gestion financière en pleine crise économique. Alors qu’il accusait une perte nette de 33 millions de dollars au premier semestre, le joaillier donnait son aval au versement de dividendes trimestriels de 0,58 dollar par action en mai et en août, comme le lui permettait l’accord de fusion.

Une lettre du Quai d’Orsay

Outre ces frictions, c’est une lettre du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui aurait conduit au coup d’arrêt de l’opération en septembre. "Le gouvernement américain a décidé d’instaurer de nouveaux droits de douane sur certains produits français, en particulier dans le secteur du luxe, en réaction à l’adoption par la France d’une taxe sur les services numériques." Les taxes seront mises en place contre les produits français le 6 janvier prochain aux États-Unis, selon les souhaits de Donald Trump. En ligne de mire notamment, certains cosmétiques ou produits de maroquinerie, listés par l’United States Trade Representative, et dont les droits d’entrée sur le territoire américain seront augmentés de 25 %.

La guerre entre les deux groupes valait-elle le coup pour obtenir un rabais de moins de 3% du prix de vente ?

Le Quai d’Orsay, qui espère encore dissuader la première puissance mondiale de mettre ses menaces à exécution, conseille aux entreprises des secteurs concernés de réévaluer leurs projets d’investissement. Alors que l’opération avait déjà été repoussée au 24 novembre, Tiffany demandait à ce que la date de closing soit à nouveau reportée, cette fois au 31 décembre 2020. Tandis que LVMH s’en remettait à l’accord originel, qui prévoyait une date limite de signature au 24 novembre.

Et actait que le groupe ne serait tout bonnement « pas en mesure de réaliser l’opération d’acquisition de la société Tiffany & Co ». N’entendant pas les choses de cette oreille, le joaillier engageait des poursuites contre LVMH aux États-Unis pour le contraindre à boucler le rachat. Il considérait alors que le groupe français n’honorait pas ses engagements. "Il s’agit de la seule transaction qui n’ait pas encore officiellement déposé une demande d’approbation antitrust dans l’Union européenne." Ajoutant : "L’accord ne permet pas à LVMH de repousser la fusion simplement parce qu’un ministre du gouvernement l’a demandé." La bataille s’annonçait corsée. La date du procès devant la cour de justice du Delaware était fixée au 5 janvier.

Stratégie et pandémie

Depuis, un accord a été trouvé mais soulève quelques questions. La guerre lancée entre les deux groupes valait-elle le coup pour obtenir un rabais équivalent à moins de 3 % du prix de vente ? "La pandémie – dont les effets pour Tiffany sont catastrophiques et durables – constitue indéniablement une situation défavorable [permettant d’activer la clause MAE]. Cette clause suffit à empêcher la réalisation de l’opération", arguait le groupe LVMH pour justifier sa rétractation. Depuis le nouvel accord, le Français tient un tout autre discours pour rassurer sur la santé de sa cible : "Nous sommes plus que jamais convaincus du potentiel formidable de la marque Tiffany. LVMH est fier de bientôt accueillir en son sein la maison Tiffany et ses salariés, afin d’écrire ensemble un nouveau chapitre." 

LVMH souhaite se développer dans l'horlogerie et la joaillerie où le groupe est plus faible que ses concurrents

Selon une note publiée par Flavio Cereda, analyste chez Jefferies, l’opération reste valable d’un point de vue stratégique. LVMH souhaite se développer dans l’horlogerie et la joaillerie, où le groupe reste plus petit que ses concurrents, comme Richemont, détenteur de la marque Cartier. Ces produits dits de « hard luxe » ne représentaient que 8 % des ventes et 6,5  % des bénéfices d’exploitation de LVMH l’année dernière. La plupart des revenus provenant du soft luxe, tels que les sacs à main Louis Vuitton.

Guerre commerciale

Les confinements et restrictions dus à la situation sanitaire pèsent néanmoins sur le secteur dans son ensemble, qui pourrait voir ses résultats chuter de 30 % cette année et mettre trois ans à récupérer sa forme d’avant-crise, rapporte le Financial Times. En espérant que les vagues ne se multiplient pas. Malgré ce contexte, quelques nouvelles – sur le plan politique cette fois – sont sources d’espoir pour le luxe. L’élection de Joe Biden pourrait-elle changer la donne et éviter la mise en place des taxes douanières en début d’année prochaine ? C’est en tout cas ce qu’espèrent en creux les principaux acteurs touchés par la guerre commerciale qui sévit depuis plusieurs années entre le Vieux Continent et le pays de l’oncle Sam. Fin du suspense dans quelques semaines.

Olivia Vignaud