Les espoirs d’une croissance aux États-Unis et en Europe en 2020 se sont envolés en même temps que se propageait le coronavirus. Les principales économies mondiales à l’arrêt, les Banques centrales et les gouvernements sont à la manœuvre pour sauver ce qui peut encore l’être, quoi qu’il en coûte. Leurs mesures peuvent-elles favoriser un rebond puissant à la sortie de cette épreuve ? Christophe Barraud, chef économiste et stratégiste chez Market Securities nous répond.

Décideurs. Quelles seront les conséquences de la crise sanitaire sur l’économie américaine ? Les premières études anticipent une contraction de 12 % du PIB au second trimestre tandis que les inscriptions hebdomadaires au chômage seraient proches de 2,5 millions. Qu’en sera-t-il sur l’année 2020 ?

Christophe Barraud. Les chiffres du deuxième trimestre feront état d’une contraction bien supérieur à 12 %. Le T2 va être catastrophique et la chute devrait excéder 20 % en rythme trimestriel annualisé. Le choc est extrêmement violent. Les inscriptions hebdomadaires au chômage pourraient aller au-delà de deux millions durant la semaine du 21 mars. L’arrêt des économies est déjà visible sur les chiffres du premier trimestre, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. Depuis mi-mars, l’activité a commencé à se contracter significativement. La violence du choc sera d’autant plus puissante que les États prennent des mesures de restrictions les uns après les autres. Ces derniers partent du postulat que cet arrêt sera de courte durée, ils mettent donc sur la table des moyens colossaux pour amorcer rapidement un rebond. Sur l’ensemble de l’année la contraction du PIB pourrait dépasser 4 % aux États-Unis.

Quel regard portez-vous sur les annonces historiques de la FED qui s’est engagée à des rachats illimités des créances publiques et se prépare également à participer à des émissions obligataires d'entreprises privées ?

Les gouvernements partent du principe que le choc lié au virus sera transitoire. La demande est aujourd’hui mise en sommeil. Ils vont faire le maximum pour que le choc de confiance soit limité, qu’à la sortie les acteurs économiques retrouvent une situation comparable à celle précédant l’épidémie. Cet objectif est impossible à réaliser car il y aura nécessairement un choc de confiance. La réserve fédérale américaine veut remettre de la liquidité sur les marchés obligataires, notamment sur le segment du repo mais aussi celui du high yield. La Fed a été très claire dans son message : il n’y a plus de limite sur l’achat d’obligations. Ces décisions rassurent les investisseurs et viennent contenir la hausse des taux d’intérêts. Cela résout donc significativement les problématiques de liquidités. De telles mesures n’auraient cependant jamais été prises dans une situation différente.

L’institution présidée par Christine Lagarde a annoncé un programme de rachat d’actifs de 750 milliards d’euros. Avec les mesures prises précédemment, le montant d’intervention total dépasse désormais les 1 000 milliards d’euros. Quelle évaluation faites-vous de la politique de la BCE ?

C’est du jamais vu. Les montants annoncés sont historiques. La Banque centrale européenne a corrigé son précédent échec de communication. Elle a également voulu rassurer les acteurs économiques et montrer qu’un consensus en Europe était possible, malgré quelques contestations. L’Europe apporte ainsi un précieux soutien à l’Italie. Le taux à 10 ans italien est d’ailleurs tombé à 1,6% (lundi 23 mars). Le message est fort. L’Europe ne laissera pas tomber les pays sous pression. La Grèce a également bénéficié de l’aide européenne. Ces décisions envoient un signal d’unité et de solidarité.

"Sur l’ensemble de l’année la contraction du PIB pourrait dépasser 4 % aux États-Unis"

Les valeurs bancaires ont été les principales victimes de la chute des bourses mondiales. Peut-on douter de leur solidité ?

Aujourd’hui s’interroger sur leur solidité, c’est tout simplement douter des États qui sont derrière. Or, ceux-ci sont prêts à intervenir « quoi qu'il en coûte ».

La Commission européenne étudie la possibilité de mettre en œuvre des Corona Bonds. Elles seraient la première grande émission obligataire globale mutualisée en Europe. Est-ce une solution indispensable pour soutenir les États, notamment les plus fragiles ?

Sur le plan marketing, il serait peut-être plus judicieux de les appeler « Solidarity bonds ». Si cette mesure n’est pas prise maintenant, elle ne le sera jamais. Les européens rateraient une occasion inespérée. Mais pour quel montant ? La Commission européenne a annoncé la suspension des règles de discipline budgétaire. Les gouvernements nationaux peuvent ainsi injecter dans l'économie autant qu'ils en auront besoin. Les politiques de relance vont se multiplier en Europe. Chaque pays devrait ainsi mettre sur la table des montants au moins équivalents à 3 % de leur PIB à très court terme et probablement plus dans les mois à venir. Dans ce contexte, je pense que les Corona Bonds pourraient représenter de 1 % à 3 % du PIB européen.

Un grand nombre de sociétés américaines ont fait ces dernières années le choix de racheter leurs actions. Ces décisions ont, à court terme soutenu les cours. Mais ces entreprises, en brûlant ainsi leur trésorerie, ne sont-elles pas en train d’en payer les conséquences aujourd’hui ?

Tout à fait. L’exemple du secteur de l’aviation américaine est prégnant. Sur les dix dernières années, les compagnies ont en moyenne utilisé 96% de leur cash-flow pour racheter leurs propres actions. Les États-Unis ne les aideront pas gratuitement. Cela se fera au cas par cas. Il y aura probablement des options qui seront posées pour que l’État puisse en partie bénéficier d’une éventuelle future hausse de leurs titres.

"Les gouvernements partent du principe que le choc lié au virus sera transitoire"

Un large débat a animé ces derniers jours les économistes sur l’éventuelle fermeture des bourses mondiales. Quelle est votre position ?

Il ne faut absolument pas les fermer. Si les marchés financiers peuvent avoir des excès, ils constituent l’un des meilleurs indicateurs pour « pricer » le choc. Selon un indice compilé par Bloomberg, toutes capitalisations confondues, les bourses mondiales ont perdu plus de 25 trillions de dollars depuis la mi-février. Implicitement les marchés financiers ont estimé le coût financier de l’arrêt des économies et anticipé les mises en quarantaines renouvelées des populations. Cela donne une indication non biaisée sur la réalité. Les marchés financiers sont donc le reflet des anticipations de tout le monde, en direct. Ils ont été assez sensibles sur la courbe de l’épidémie. Par leur action, ils ont montré qu’il fallait faire plus pour en limiter l’impact.

Où en est aujourd’hui l’économie chinoise ?

La Chine redémarre lentement. Elle subit un deuxième choc, celui de la confiance des consommateurs en plus de la faiblesse de la demande externe. Ces derniers ne sont pas encore prêts à investir des sommes d’argent importantes pour acquérir un bien immobilier ou une voiture. A titre d’exemple, les ventes automobiles étaient encore en repli de 44% en rythme annuel durant la deuxième semaine du mois de mars. De plus, le plan de relance du gouvernement ne se sera pas mis en œuvre avant une disparition totale du virus. Il leur faudra un temps d’adaptation.

Peut-on espérer rattraper en partie les points de croissance aujourd'hui perdus ?

Sans stimulus fiscal, il est très difficile de l’imaginer pour le secteur de l’automobile et de l’immobilier. J’ai bâti mes prévisions sur la base d’un redémarrage au troisième trimestre, grâce au soutien des gouvernements. Ils tenteront d’orienter les dépenses vers les secteurs qui ont le plus souffert. Les entrepreneurs peuvent compter sur le soutien de l’État Français. Le cadre règlementaire sera probablement assoupli pour stimuler l’activité. Des mesures telles qu’une autorisation d’ouverture des magasins le dimanche ou une défiscalisation des heures supplémentaires pourraient être prises.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)