En 2006 naissait aux États-Unis la communauté B Corp, destinée aux entreprises ayant fondé leur raison d’être sur une démarche d’intérêt général. Huit ans plus tard, le cabinet de conseil en développement durable Utopies était la première société française à la rejoindre. Élisabeth Laville, sa fondatrice et directrice, revient sur l’ambition de cette certification dont elle est également l’ambassadrice en France.

Décideurs : Il y a six ans, Utopies devenait la première entreprise française certifiée B Corp. Racontez-nous...

Elisabeth Laville : À sa création, il y a vingt-sept ans, Utopies avait le statut d’association. En 2014, j’ai pensé qu’il était temps de réaffirmer notre vocation de cabinet engagé. Nous étions très proches de Patagonia qui, deux ans plus tôt, avait obtenu la certification B Corp. Ce sont eux qui nous ont parlé de ce label américain créé en 2006 et conseillé de nous faire certifier. Notre dimension militante et notamment le fait que 20 % de notre activité soit consacré à un travail de think tank impliquant des publications gratuites et accessibles à tous sur les problématiques de RSE nous ont clairement aidés à l’obtenir. 

En quoi consiste précisement ce label ?

B Corp repose sur une idée simple selon laquelle la force de frappe d’une entreprise peut être utilisée pour faire le bien. Autrement dit, que celle-ci peut être à la fois à but lucratif et servir l’intérêt général ; « for purpose and for profit». Toutes les sociétés privées peuvent prétendre à la labellisation à condition d’obtenir la note minimum de 80 sur 200 à un questionnaire en ligne gratuit, adapté à leur secteur d’activité et à leur zone géographique. Cette certification est renouvelable tous les trois ans, ce qui oblige à améliorer constamment ses pratiques puisque les critères du questionnaire se durcissent à chaque nouvelle édition. À l’heure actuelle, 2 788 entreprises issues de 64 pays et de 150 secteurs d’activité sont labellisées B Corp.

Comment êtes-vous devenue ambassadrice du mouvement en France ?

Le cabinet effectuant déjà ce travail d’évangélisation auprès de nos clients, proposer dans la foulée de notre certification d’importer le label en France m’a semblé naturel. Cela permettait de formaliser notre rôle de mise en lien des entreprises engagées dans une démarche de type RSE. En 2015, nous avons donc lancé B Corp France, qui vient de passer la barre des cent entreprises regroupées en familles: bio, commerce équitable, consommation collaborative, made in France…

Quel impact l'arrivée de la loi Pacte a-t-elle eu sur votre action ?

Il est clair qu’elle a mis un coup de projecteur sur notre rôle et suscité un engouement nouveau pour la notion d’intérêt général. Celle-ci s’était d’abord manifestée au début des années 1980 lorsque les entreprises s’étaient mises à la philanthropie en créant des fondations mais sans rien changer à leur business model.

"Reste à vérifier si le statut d'entreprise à mission agit comme un levier de changement ou s'il se résume à du raison d'être washing"

Au milieu des années 1990, les consciences s’éveillent aux enjeux du développement durable. Pendant quinze ans, les agences de notation extra-financières et les normes ISO se multiplient et, pour les entreprises, l’idée devient de minimiser l’impact négatif de leur activité. En 2006, B Corp est créé sur une logique différente et elles passent de la quête du «less bad» à celle du «more good» en envisageant enfin le développement durable comme une opportunité économique à condition de transformer leur business model. B Corp est le seul référentiel à couvrir ces trois dimensions

Où se situent les entreprises à mission dans ce schéma ?

Je dirais qu’elles constituent un pas vers l’objectif du «purpose»; une première étape qui contribue à faire évoluer les mentalités. La loi Pacte a créé une nouvelle norme sociale chez les dirigeants d’entreprise qui, désormais, ne peuvent plus se permettre de passer outre cette notion de raison d’être. Reste, évidemment, à vérifier si les déclarations des entreprises à mission les engagent au point de les amener à renoncer à certaines pratiques et à en adopter de nouvelles. On verra d’ici quelques mois si ce nouveau statut agit comme un levier de changement ou s’il se résume à une forme de «raison d’être-washing».

Propos recueillis par Caroline Castets