Classé à plusieurs reprises par Bloomberg comme le meilleur prévisionniste au monde sur les statistiques américaines et de la zone Euro, Christophe Barraud, chef économiste et stratégiste chez Market Securities, nous dévoile ses anticipations pour 2020.

Décideurs. Les États-Unis et la Chine ont annoncé en décembre dernier un accord préliminaire prévoyant notamment une réduction par étapes des droits de douane américains. Est-ce une entente de façade ou les bases d’une relation durable ?

Christophe Barraud. Je parlerais plutôt d’une trêve pour 2020. Une escalade dans la guerre commerciale aurait provoqué un ralentissement de leurs économies. Les États-Unis se préparaient à taxer davantage les importations chinoises. La Chine avait de son côté prévu de faire passer de 12,6 à 42,6 % ses droits de douane sur les automobiles américaines. En cette année électorale, Donald Trump ne peut se permettre d’entacher son bilan économique. Sur les cinquante dernières années, le seul président qui ait subi une récession lors de la dernière année de son premier mandat était Jimmy Carter. Il avait alors perdu les élections. Parallèle intéressant, cette récession était due à la flambée du pétrole provoquée par une crise en Iran.

La Chine doit aussi faire face à quelques tensions, notamment dans le secteur bancaire.

Effectivement. Le marché de l’emploi est en plus sous pression. Cette trêve est une véritable bouffée d’air frais pour la Chine. Elle va lui permettre de stabiliser son économie. Son gouvernement a entamé une campagne de désendettement du secteur financier. Conscient des risques liés à l’expansion du shadow banking, il a multiplié les mesures pour renforcer la réglementation de ces activités financières non contrôlées. Un objectif sur lequel la Chine n’entend pas faire une croix. Au quatrième trimestre 2019, les indicateurs reflétant les tensions commerciales ont baissé, pour la première fois en sept trimestres. De nombreux analystes estiment désormais que le point bas de la croissance mondiale a été atteint.

Quelles sont vos anticipations économiques pour les États-Unis ? Écartez-vous l’idée d’une récession en 2020 ?

La récession n’a jamais été mon scénario. Attendue à 2,3 % en 2019, la croissance américaine va cependant ralentir. Elle devrait, cette année, converger vers son potentiel de long terme, proche de 1,7 %. Un chiffre qui se place finalement dans la continuité du ralentissement constaté lors du second semestre 2019. Deux autres facteurs vont soutenir ce scénario : l’atténuation des effets de la réforme fiscale portée par Donald Trump et les incertitudes liées aux élections présidentielles, une année où la croissance des investissements des entreprises est traditionnellement en baisse. En 2020, les États-Unis peuvent donc basculer d’une incertitude commerciale à politique.

"Aujourd’hui, le conflit avec l’Iran ne semble pas suffisant pour faire déraper l’économie mondiale et américaine"

Le marché immobilier américain peut-il encore éviter le Krach ?

L’immobilier américain a fait face à de sérieuses difficultés. Je pense toutefois que les points bas en termes de croissance des prix ont été atteints au troisième trimestre 2019. Nous anticipons un léger redémarrage en 2020, soutenu par la baisse des niveaux de stocks et des taux d’emprunt. D’ailleurs, les chiffres publiés en décembre dernier montrent une accélération de la croissance des prix au rythme le plus élevé depuis mai 2019.

Les regards sont désormais tournés vers les élections présidentielles américaines de novembre prochain. Donald Trump est-il le grand favori à sa succession ?

Je le pense. Il peut notamment s’appuyer sur la fidélité de sa base électorale. La procédure de destitution de Donald Trump n’a aucune chance d’aboutir. Son bilan économique est bon. Le taux de croissance est excellent tandis que le taux de chômage est historiquement faible. La renégociation des accords commerciaux avec la Corée du sud, le Mexique, le Canada, le Japon et la Chine est également à mettre à son crédit. Les résultats dépendront bien évidemment du profil du candidat qui lui sera opposé. Sur ce point-là, nous en saurons plus le 3 mars prochain dans le cadre du Super Tuesday. Le démocrate Joe Biden semble être le seul capable de mobiliser une large partie de l’électorat.

Le conflit en Iran peut-il avoir des incidences sur cette campagne ?

Bien sûr. Tout dépendra cependant de l’ampleur du conflit. Si le celui-ci s’enlise et que le pétrole flambe, la consommation des ménages pourrait se dégrader. La part du pétrole dans la consommation totale des ménages américains n’avoisine désormais que 3%. Et avec le pétrole de schiste les USA ont réduit leur importation d’or noir et sont capables de lisser les chocs en cas de hausse du prix du baril. Aujourd’hui, le conflit avec l’Iran ne semble donc pas suffisant pour faire déraper l’économie mondiale et américaine.

"Christine Lagarde souligne qu’on doit tendre vers une politique de relance fiscale" 

Christine Lagarde est la nouvelle présidente de la Banque centrale européenne (BCE). Quelle stratégie va-t-elle mener ? Dispose-t-elle de marges de manœuvre suffisantes pour agir ? Quelles seront les conséquences de la revue stratégique qu’elle est en train de mener ?

Toutes les banques centrales font actuellement des revues stratégiques. Cela devrait nécessairement avoir un impact. Le verdict est à mon sens très clair : elles disposent d’une marge de manœuvre réduite. La politique monétaire menée par les banques centrales peut avoir des effets pervers. Celle-ci a créé des inégalités entre ceux qui peuvent s’endetter et les autres. Elle pousse aussi les investisseurs à prendre plus de risques, créant ainsi des zones de surévaluation. Beaucoup d’industries profitant des taux d’intérêt ultra-faibles auraient dû disparaître. Le business model des banques et assureurs ne sera également pas soutenable à long terme. La question est désormais de savoir comment sortir de la politique des taux d’intérêt négatifs ? Dans ses premiers discours, Christine Lagarde souligne qu’on doit tendre vers une politique de relance fiscale. Les USA ont été les premiers à activer ce levier. L’Europe commence à peine à le faire. Nous sommes donc en train de sortir de la logique de l’austérité à tout prix. Christine Lagarde attache aussi beaucoup d’importance à sauver l’environnement et pousser les entreprises à investir dans les énergies vertes.

Quelle sera la météo économique de la France en 2020 ?

On anticipe une croissance de 1,3 % en 2019 en France. Ce chiffre devrait être légèrement inférieur en 2020 en raison notamment de la baisse des investissements publics au niveau local habituellement constatée lors des années d’élections municipales. Un ralentissement qui peut aussi s’expliquer par un double effet comptable : en 2019, les entreprises ont en effet bénéficié simultanément du crédit d’impôt recherche et de la réduction des charges. Un avantage qui ne se répétera pas en 2020. Les grèves vont aussi peser sur la croissance. À l’inverse, les mesures votées l’année dernière en faveur des ménages, notamment les réductions d’impôt, soutiendront la consommation.

Quels seront les points chauds à surveiller en 2020 ?

Le Super Tuesday ayant lieu aux USA le 3 mars prochain sera le premier tournant de l’année. On devrait alors connaître l’adversaire de Donald Trump lors des élections américaines. Autre événement capital, le congrès du Parti communiste chinois qui se tiendra en mars prochain. Au cours de ce rendez-vous, les objectifs en termes de croissance économique vont être dévoilés, alors que le pays doit faire face à une contraction marquée de son activité industrielle. Je garderai aussi un œil sur L’Italie. Même si cela serait une surprise, il me paraît légitime de s’interroger sur une possible implosion du gouvernement de Giuseppe Conte en 2020. Concernant l’Iran, personne n’a vraiment intérêt à ce que le conflit se durcisse. Les Chinois, grands importateurs de pétrole, ont d’ailleurs appelé au calme. Les vraies questions en 2020 porteront sur la politique monétaire et l’inflation. Les marchés financiers étant actuellement plus sensibles à la politique monétaire qu’à une politique d’expansion budgétaire.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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