Alors que le groupe qui détient les célèbres marques Sandro, Maje et Claudie Pierlot vient de publier un chiffre d’affaires excédant le milliard d’euros, Philippe Gautier, son CFO et directeur des opérations, détaille les prochains objectifs du groupe. Si la croissance externe n’est pas exclue, l’avenir se dessine également du côté du digital.

Décideurs. Quel est le périmètre de la direction financière au sein du groupe ?

Philippe Gautier. L’originalité de mon poste, et qui en fait toute la richesse, c’est que je dispose d’une double casquette : je suis à la fois CFO et directeur des opérations. À ce titre, j’occupe, d’une part, des fonctions opérationnelles puisque je chapote l’IT et la supply chain qui représentent environ 250 collaborateurs qui servent et accompagnent l’ensemble des trois marques qui composent le groupe SMCP. D’autre part, j’exerce également des fonctions financières plus classiques, qui regroupent une soixantaine de personnes, réparties entre les activités corporate (relations investisseurs, service juridique, audit, financement et trésorerie) et opérationnelles (comptabilité et contrôle de gestion). Sans compter nos deux business units internationales en Asie et aux États-Unis, dont les directions financières nous sont rattachées. L’un des enjeux clés de mon poste demeure la gestion des équipes et du recrutement. Lorsque je suis arrivé, le groupe affichait déjà une très forte croissance. Pour la soutenir et suivre son rythme, il a fallu développer nos effectifs en veillant à parvenir à intégrer de nouveaux collaborateurs à ceux qui étaient déjà en poste.

Les résultats de l’année dernière ont montré que vous avez quintuplé le chiffre d’affaires du groupe en neuf ans pour atteindre la barre du milliard d’euros. Quels sont les prochains objectifs ?

SMCP est un groupe encore jeune ; nous ne sommes encore qu’au début de l’aventure ! Nous réalisons 35 % de notre chiffre d’affaires en France et le reste à l’international, où nous sommes déjà présents dans quarante pays dans lesquels le succès de nos griffes est au rendez-vous. De ce point de vue, le plus dur est fait : nos marques sont identifiées et désirables sur tous ces marchés. Pour la suite, les projets ne manquent pas. Nous voulons évidemment nous renforcer dans les zones géographiques où nous sommes installés, mais aussi actionner les leviers de la croissance organique en développant de nouveaux points de vente, notamment en Chine, en poursuivant le travail remarquable déjà accompli en matière de digital ou en nous concentrant sur les accessoires ou la mode homme. Ce qui est certain, c’est que nos marques peuvent, au minimum, doubler de taille.

« Les nouveaux outils, comme l’IA, ne remplaceront jamais l’intuition sur le business dont dispose un DAF, un PDG ou un directeur régional »

Daniel Lalonde, directeur général du groupe, n’a pas exclu de recourir à la croissance externe. Comment êtes-vous associé à cette stratégie ? À quoi la cible idéale ressemble-t-elle ?

J’interviens dans ce type de projet pour en préparer les aspects financiers et économiques. Dans ce contexte, ma mission consiste à trouver le moyen le plus simple de déployer un maximum de synergies au sein du groupe. Quant à savoir quel type de marque pourrait attirer notre attention, il va sans dire qu’il faut qu’elle fasse partie du secteur du luxe accessible, qui est notre ADN. Pas nécessairement française, il pourrait s’agir d’une marque européenne. À cet égard, et dans de toutes autres proportions, nous nous considérons comme l’équivalent de Kering ou de LVMH pour le luxe accessible, à une moindre échelle bien sûr, puisque nous rassemblons différentes maisons du même segment. En tout cas, il faudrait que nous puissions apporter à cette cible potentielle une plus-value en partageant notre expertise. Nous l’avons déjà fait avec Claudie Pierlot, acquise en 2009, qui a notamment pu bénéficier du réseau de e-commerce mis en place pour Sandro et Maje ou de notre plateforme à Hong Kong pour s’implanter en Asie. Notre excellente connaissance de l’international et de marchés réputés compliqués comme la Chine, les États-Unis ou le Moyen Orient, peut bien sûr être mise à profit.

Quel bilan dressez-vous plus d’un an après votre entrée en Bourse ? Quel aura été votre rôle et quels changements cette cotation a-t-elle induit au sein de la DAF ?

En amont de l’opération, je suis intervenu en tant que business partner du CEO. En plus de la participation aux roadshows, il a fallu préparer les éléments financiers, définir un business plan et élaborer une equity story pour nos futurs investisseurs. Une fois l’introduction en Bourse concrétisée, le groupe a mené à bien plusieurs chantiers. Bien entendu, nous avons recruté de nouveaux profils exerçant des métiers nouveaux pour SMCP. La gouvernance a évolué : nous avons créé des comités d’audit et de rémunération et renforcé le contrôle interne. L’objectif était de parvenir à être encore plus précis dans notre pilotage. Depuis, nous n’avons pas relâché nos efforts, bien au contraire. Nous travaillons par exemple en ce moment à l’optimisation des frais financiers et au refinancement du groupe pour obtenir de nouvelles lignes de crédit bancaire.

« Avec la cotation, notre gouvernance a évolué : nous avons créé des comités d’audit et de rémunération et renforcé le contrôle interne »

Le digital transforme la fonction finance. Comment cela se manifeste-t-il chez vous ?

Le digital incarne le levier le plus important de changement pour une entreprise. Nous n’étions pas très en avance sur le sujet il y a encore peu, mais aujourd’hui nous réalisons 15 % de nos ventes par ce biais. Nous continuons à développer de nouveaux outils, comme le click and collect, que ce soit en utilisant des technologies mises au point par des start-up ou grâce à des services développés en interne. La mise en place d’un order management system devrait également nous permettre de faire évoluer notre gestion des stocks et de nous approcher encore davantage de l’omnicanal. Au sein de la direction administrative et financière, le constat est le même : il faut continuer de « surinvestir » dans l’IT en termes de ressources et d’outils. Nous utilisons désormais un PLM (product lifecycle management) pour améliorer la gestion du développement des produits, depuis leur design jusqu’à leur mise à disposition en boutique, nous poursuivons la mise en œuvre de notre CRM et nous nous appuyons sur le e-learning pour former nos forces de vente en magasin par de nouveaux outils.

Selon vous, à quoi ressemblera la direction financière de demain ?

Une chose est sûre : ce que l’on attend d’un CFO ne changera pas. Sa capacité à exposer sa vision, à faire valoir ses arguments pour accompagner au mieux le CEO et la direction dans leur prise de décision demeurera. Il n’y a rien de tel que l’échange pour sécuriser une stratégie, exactement comme le font un pilote et son copilote. Ce qui va évoluer en revanche, c’est la somme colossale de données que la direction financière est amenée à traiter. Il va donc falloir trouver un moyen de rendre accessibles et pertinentes ces informations, qu’elles soient financières ou non. Pour y parvenir, de nouveaux outils, comme l’intelligence artificielle, nous seront très utiles. Mais il faut bien garder à l’esprit qu’ils ne remplaceront jamais l’intuition sur le business dont dispose un DAF, un PDG ou un directeur régional, une fois toutes les données récoltées et traitées.

Propos recueillis par Sybille Vié