Respecté des politiques comme des syndicats, homme de dialogue et de vision réputé pour sa courtoisie autant que pour son sens de la diplomatie, Jean-Dominique Senard coche toutes les cases. De quoi faire de celui qui reste pour deux mois encore le président de Michelin le profil idéal pour, au sein de l’Alliance, gérer l’après-Carlos Ghosn et dessiner l’avenir.

Rassurer. Telle semble être, aujourd’hui, la priorité de Renault qui, après la chute de son flamboyant PDG, se trouve confronté à un triple impératif : restaurer la confiance. Celle des collaborateurs, celle des consommateurs et celle des alliés japonais Nissan et Mitsubishi. Mais aussi gérer la sortie de crise et relancer l'Alliance. Un agenda sur mesure pour celui qui, le 24 janvier dernier, était nommé pour remplacer Carlos Ghosn à la présidence du groupe. Parfait connaisseur du secteur automobile et partisan du dialogue social, réputé aussi bon visionnaire que fin diplomate, Jean-Dominique Senard, 66 ans ce mois-ci et pour quelques semaines encore président de Michelin, semble cocher toutes les cases. Au point que son arrivée, annoncée alors que l’entreprise, en plein tsunami médiatique, subit le feu croisé des accusations mutuelles de son ancien président et de l’actuel numéro un de Nissan, fait l’unanimité. Jusqu’à l’homme par qui le scandale est arrivé, Hiroto Saikawa, qui aura vu en lui quelqu’un « avec qui on peut discuter ». C’est dire le capital sympathie dont jouit le nouveau sauveur ­­de l’Alliance.

« Loyal, exigeant, visionnaire… »

Diplômé de HEC, passé par Total, Saint-Gobain et Pechiney où il entre en tant que directeur financier en 1996, Jean-Dominique Senard se trouve en première ligne lorsque, courant 2003, survient l’OPA hostile d’Alcan. ­Contrairement à nombre de cadres dirigeants, il ne quitte pas l’entreprise à ce moment-là mais fait le choix de rester après la fusion « afin de se battre pour les salariés de Pechiney en veillant à ce que leurs droits soient respectés », se souvient une ancienne du groupe qui, des années durant, sera amenée à le côtoyer, chez Pechiney d’abord puis chez Michelin, où il entre deux ans plus tard. Elle se souvient d’une personnalité respectée ; appréciée tant pour son professionnalisme que pour ses valeurs. « C’est quelqu’un d’extrêmement loyal, un homme de principes, profondément humain, doté d’une vraie gentillesse et, en même temps, d’une grande ­exigence intellectuelle, explique-t-elle. Quelqu’un de toujours discret sur ses mérites et extrêmement soucieux des salariés. » À cette dimension humaniste s’ajoute la stature d’un authentique patron « exigeant, rigoureux et visionnaire », poursuit-elle, évoquant cette fois où, alors directeur financier de Michelin, il dressera devant Édouard Michelin et Michel Rollier un exposé implacable sur la montée de la concurrence, alertant la direction du groupe sur l’urgence qu’il y avait à s’adapter à un monde en pleine mutation. « Il s’est montré extrêmement brillant, tout le monde était captivé, se souvient-elle. C’est ce jour-là qu’Édouard Michelin l’a repéré. » La suite, on la connaît. Le décès prématuré du PDG du groupe, en 2006, propulse Michel Rollier à sa tête et six ans plus tard, fait de Jean-Dominique Senard son successeur.

Diplomate sans être béni-oui-oui

Fils d’ambassadeur doté d’un sens inné de la diplomatie, homme de dialogue et de concertation, il sera, dit-on, le premier patron de Michelin à recevoir les syndicats dans son bureau et celui dont l’attitude demeurera inchangée, quel que soit le statut de son interlocuteur. « Il respecte chacun et il est extrêmement bien élevé, témoigne une ancienne collaboratrice. Il saluera avec la même courtoisie un ministre et un ouvrier de l’usine. » De quoi faciliter l’instauration d’un rapport apaisé aux différentes parties prenantes, sans pour autant faire de lui un béni-oui-oui. « C’est un homme de dialogue, aucun doute là-dessus, mais c’est aussi un ­dirigeant avec un cap et la volonté pour le tenir, poursuit-elle. C’est quelqu’un qui sait trancher et qui, lorsque des décisions difficiles s’imposent, n’a pas peur de les prendre. »

À cela s’ajoute une dimension de patron responsable encore ­accentuée il y a un an par sa ­réalisation, avec Nicole Notat, du rapport sur le rôle social de ­l’entreprise à l’origine de la loi Pacte et appelant chaque dirigeant à prendre en compte d’autres intérêts que ceux des seuls ­actionnaires et, le cas échéant, du cours de Bourse.

"C'est un homme profondément humain mais d'une grande exigeance intellectuelle"

De quoi faire de lui la figure d’un capitalisme raisonnable et, comme il le qualifie lui-même, « apaisé », idéale en période de turbulences. Surtout lorsque, comme lui, souligne un analyste du marché automobile, « on a ses entrées au gouvernement », alors que les rapports entre Carlos Ghosn et le président de la République demeuraient ­tendus depuis que, ministre de l’économie, Emmanuel Macron l’avait contraint à diminuer son salaire. Une mesure qui ne sera pas nécessaire avec son successeur dont la première décision, en acceptant la présidence de Renault, aura consisté à faire réviser sa rémunération à la baisse de manière à compenser celle que Michelin lui verse jusqu’en mai. Vous avez dit effet de contraste ?

Social-démocrate vs autocrate

« Jean-Dominique Senard, c’est l’anti-Ghosn », résume l’expert pour qui cette opposition de tempérament aurait clairement joué dans le choix de Renault. « Jean-Dominique Senard, c’est le profil idéal, explique-t-il. Il n’a rien à prouver, il maîtrise le secteur de l’auto, il a un track record incroyable, c’est un diplomate né doté d’une image de social-démocrate, réputé pour son sens de l’équité et sa capacité à ­écouter. Ce n’est pas un homme d’argent, il n’est pas show-off… ». Un profil aux antipodes de celui de son prédécesseur dont chacun connaissait la réputation ­d’inflexibilité et le goût pour le pouvoir. Goût tellement prononcé qu’il l’aurait d’ailleurs empêché d’envisager sa succession à la tête de Renault. « Carlos Ghosn était dans une forme de toute-puissance, dans l’exercice du pouvoir non partagé », poursuit ce fin connaisseur du secteur pour qui les dernières années avaient vu le ressentiment de Nissan à l’égard de cette forme de gouvernance ­autoritaire croître sensiblement. « Avec le temps, la perception que les Japonais avaient de Carlos Ghosn s’était modifiée, explique-t-il. D’un côté, il restait le héros sauveur de Nissan, de l’autre, il était le « gaijin », (l’étranger, ndlr) qu’ils ne supportaient plus de voir truster toutes les décisions. »

Apaisement

Également très international mais plus soucieux des équilibres, le choix du patron de Michelin pour lui succéder devrait contribuer à apaiser le rapport de force. « Au lieu d’un chevalier kamikaze, les Japonais vont désormais avoir affaire à un négociateur diplomate, Jean-Dominique Senard étant un homme de compromis réputé pour avoir toujours été soucieux des gens, de l’emploi et des intérêts de chacun », conclut l’expert.

"Au lieu d'un chevalier kamikaze, les Japonais vont désormais avoir affaire à un négociateur diplomate"

De quoi faire de lui un choix d’autant plus ­stratégique pour Renault qu’il sera complémentaire de Thierry Bolloré, idéal, en tant qu’ancien bras droit de Carlos Ghosn, pour assurer une forme de continuité à la tête de l’entreprise et se ­charger de la gestion quotidienne « alors que le nouveau président se concentrera sur l’avenir de l’Alliance tout en négociant la sortie de crise ». À savoir le procès de Carlos Ghosn mais aussi les répercussions du scandale sur la marque, son impact sur ses collaborateurs, son public… Un défi qui exigeait une personnalité capable de rassurer et de fédérer. De trancher, aussi. Ce que Jean-Dominique Senard pourrait être amené à faire dès ­l’assemblée générale des actionnaires prévue pour la mi-avril durant laquelle un nouveau ­président de Nissan devra être désigné et peut-être, comme ­Carlos Ghosn semblait l’envisager, Hiroto Saikawa ­définitivement remercié.

Caroline Castets